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Points de rencontre et de rupture entre les acteurs de la RAI

Top-down approach

Chapitre 2. Tendances, cadrages et acteurs de la recherche agricole internationale pour les services climatiques internationale pour les services climatiques

IX. Chronologie du cadre

2.3 Des services climatiques pour l’adaptation de l’agriculture dans les pays en développement : les acteurs de la recherche développement : les acteurs de la recherche

2.3.4 Points de rencontre et de rupture entre les acteurs de la RAI

Le CCAFS et l’IRI ne sont pas des structures déconnectées. Au contraire, l’IRI a pris une part

déterminante dans la mise en place du CCAFS. Lorsque le GCRAI propose de mettre en place des

programmes de recherche thématiques, une réunion informelle se tient à Oxford, en février 2007, pour proposer un programme liant les défis du changement climatique, de l’agriculture et de la sécurité alimentaire. La première proposition n’aboutit pas, mais le GCRAI considère que soumettre une nouvelle proposition plus détaillée sur ce thème est d’importance. L’IRI répond à cet appel en formulant une série de recommandations, et est conséquemment invité à rejoindre le groupe de leadership qui représente le GCRAI, composé de neuf membres, et chargé de développer une proposition de mise en place du CCAFS (Hansen et al., 2014). L’IRI intègre dans la structure du CCAFS l’approche GRC qu’elle défend, qui devient l’un des éléments de l’agenda du CCAFS avec l’adaptation et l’atténuation. Surtout, elle contribue à familiariser le CCAFS à la question du recours aux services climatiques et particulièrement les prévisions saisonnières pour les agriculteurs, la mise à l’échelle des prévisions, et la production d’informations personnalisées aux besoins des petits agriculteurs. Les collaborations entre l’IRI et le CCAFS sont continuelles depuis lors ; le programme phare du CCAFS portant sur les services climatiques étant d’ailleurs dirigé par un chercheur de l’IRI.

Il n’est ainsi pas étonnant que les thématiques couvertes par les deux instituts de recherche soient

similaires. Ils se sont influencés l’un et l’autre et sont des partenaires naturels. Ils s’inscrivent tous deux

dans les arènes du développement, reposent dans une large mesure sur les sciences et les technologies pour atteindre leurs objectifs et ils développent finalement une expertise particulière sur la question des services climatiques pour l’adaptation de l’agriculture dans les PED. Le CCAFS, et dans une moindre mesure l’IRI, s’inscrivent par la suite également dans le paradigme plus large de l’agriculture intelligente face au climat, qui repose d’ailleurs sur une croyance commune dans les technologies pour augmenter la productivité (Lugen, Article n°3, 2019). Par ailleurs, les deux instituts sont influencés par trois développements clés qui modifient la recherche agricole internationale depuis la moitié des années 1970 : (i) la promotion du projet néolibéral ; (ii) l’émergence des mouvements environnementaux et (iii) la montée de l’agenda participatif dans la recherche agricole (Sumberg et al., 2012). Ces trois éléments modifient et contribuent à cadrer les logiques d’élaboration de la RAI pour les pays en développement, et se retrouvent dans les approches défendues par chacun de ces acteurs.

On retrouve par exemple, chez l’un et l’autre, une tendance à apporter des réponses techniques aux

problèmes qu’ils traitent, pourtant profondément sociétaux. Ainsi, la mise à l’échelle des prévisions

est perçue comme une manière de répondre aux besoins des petits agriculteurs. Or, il est aisé d’imaginer que réduire les échelles spatiales et temporelles d’un modèle ne suffit probablement pas à favoriser la prise de décision. En outre, l’approche GRC de l’IRI, reprise par le CCAFS, met en exergue le facteur climatique comme facteur de risque principal, à contre-courant des approches de la vulnérabilité

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contextuelle : pour réduire la vulnérabilité, les chercheurs insistent sur la résilience au climat futur et aux chocs climatiques. Les facteurs de contexte, par exemple politiques, économiques ou institutionnels, sont peu discutés. Enfin, outre les moyens privilégiés que sont les informations scientifiques et les technologies au niveau des deux centres, ils privilégient tous deux également des

approches par le marché.

En dépit de leurs points de rencontre nombreux, les fonctions que le CCAFS et l’IRI remplissent

dans l’arène internationale des services climatiques divergent grandement. Cela tient notamment

à leurs statuts respectifs, fondamentalement différents.

Le CCAFS est un programme, une structure informelle, et une collaboration entre quinze centres de recherche indépendants. Son budget est revisité annuellement, avec plutôt des tendances à la baisse. Les membres qui le composent sont répartis sur plusieurs continents et des dizaines de centres et de partenaires, qui ont peu de liens directs entre eux. La formidable productivité en termes de publications dont le CCAFS fait preuve traduit probablement un besoin constant de prouver les impacts de ses recherches aux donneurs, mais trahit également la déconnexion entre ses membres. Enfin, les thèmes sur lesquels le CCAFS travaille, en particulier l’agriculture, la sécurité alimentaire et le changement climatique, sont des thèmes florissants dans les arènes du développement aujourd’hui – ce qui expose le Programme à des formes de compétition. Son système de gouvernance est flou, ambigu, et les exemples de chevauchements de recherche et compétences sont nombreux. Bien que la structure soit plutôt florissante aujourd’hui, il est probable que son fonctionnement soit aussi influencé par les conditions de son existence. Les problèmes de fonctionnement que nous avons montré au niveau du GCRAI, par exemple les réformes laborieuses et répétées, sont susceptibles d’affecter le fonctionnement et la raison d’être du CCAFS. Ainsi, il serait impossible d’affirmer que la pérennité du CCAFS est garantie.

L’IRI a pour sa part une constitution plus solide. Il s’agit davantage, comme nous l’avons dit, d’un centre de recherche climatique plutôt qu’agricole, et les chercheurs qui y travaillent valident en réalité une expertise dans de nombreux domaines. L’IRI est par ailleurs relié à une université de renom, et a longtemps été financièrement soutenu par la NOAA, qui reste son premier ‘patron’. Ce soutien signifie aussi que l’IRI ne dispose pas d’une pleine autonomie, et l’influence exercée par la NOAA sur la définition de son agenda (par exemple, dans la mise en place de projets pilotes pour son volet de recherche appliquée) reste forte (Agrawala et al., 2001). A cet égard, Agrawala et al. (2001) estiment que la perception de l’IRI comme institution états-unienne plutôt qu’internationale, dans certains contextes géopolitiques, a aussi agi comme entrave pour créer des collaborations. De même, le rattachement de l’IRI à une université conditionne l’existence d’un examen minutieux et continu de ses performances académiques et des implications sociales de ses actions, ce qui est inhabituel pour une institution de ce genre (Ibid.)

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Quoi qu’il en soit, s’il connait les mêmes défis de financement que ceux inhérents au milieu de la recherche, la réputation de l’IRI, la place de leader qu’il s’est octroyé sur la définition de l’agenda des services climatiques et son ancrage sont des garanties suffisantes de sa pérennité. Quoi qu’il advienne d’un projet particulier, son existence en soi n’est pas compromise.

Ceci a des implications, à notre avis, sur la manière dont ces acteurs représentent et expérimentent les services climatiques. Si nous appliquons notre analyse de cadrages reprise supra, nous situons le

CCAFS principalement au niveau du cadre de l’interface, et partiellement celui du marché. En

effet, les études de cas menées par le CCAFS sur les services climatiques se focalisent considérablement, nous l’avons dit, sur l’approche plus large de l’AIC. Si nous exprimons des réserves par rapport à cette approche (Lugen, Article n°3, 2019), le CCAFS a par contre contribué de la sorte à appréhender les services climatiques dans un cadre davantage holistique, incluant une variété de facteurs, et largement basé sur la conduite de projets pilotes directement mis en place avec des agriculteurs (e.g. Kadi et al., 2011 ; Tall et al., 2014a ;Coulibaly et al., 2015 ; Coulibaly et al., 2017). A cet égard, leur approche, mais également les thèmes spécifiques qu’ils traitent par rapport aux services climatiques (par exemple, les besoins en termes d’informations climatiques chez les agriculteurs, l’accès aux informations ou le recours à certaines TIC pour favoriser l’accès aux informations), relève assez largement du cadre de l’interface. Par ailleurs, les contraintes financières avec lesquelles le CCAFS travaille, et le contexte particulier des études de cas qu’ils privilégient (les ‘petits agriculteurs’) fait que le CCAFS tend à privilégier une approche commerciale dans la diffusion des services climatiques. Leur stratégie est d’initier des projets pilotes, pour inciter ensuite les agriculteurs à « consommer » (c’est-à-dire payer) les informations climatiques et d’autres produits conseillés, comme les assurances, afin que ceux-ci se retrouvent dans un cycle de ‘décisions intelligentes face au climat’ (ITV 21).

L’IRI, en revanche, produit des discours sur les services climatiques qui relèvent de logiques différentes et correspondent, quasi à parts égales, aux cadres technologiques et du risque. Le cadre

du risque (limité à sa composante climatique) est évident dans le discours de l’IRI. Il s’agit même de l’approche conceptuelle sur laquelle ils s’appuient. A cet égard, ils s’intéressent davantage à la résilience qu’à l’adaptation. Par ailleurs, l’intérêt de l’IRI pour la production de nouveaux produits d’informations climatiques est manifeste, et de nombreuses publications qui en émanent visent d’ailleurs à en présenter les bénéfices potentiels. Les études de cas, au sens d’une méthodologie de recherche en sciences sociales, sont moins nombreuses. L’ancrage initial de l’IRI comme centre de recherche pour les prévisions climatiques (et donc, de climatologie) est toujours prédominant. Les outils en ligne qu’ils proposent (cartes, bases de données, bibliothèques…) sont ainsi de nature extrêmement technique.

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Le CCAFS (dépendant du GCRAI) et l’IRI sont au final deux acteurs déterminants au niveau des arènes internationales des services climatiques, plus particulièrement ceux qui sont conçus pour l’adaptation du secteur agricole dans les pays en développement. La capacité du CCAFS à avoir

développé une visibilité forte sur le sujet, et la conduite d’un grand nombre de projets de services climatiques depuis sa création, l’expliquent de son côté. L’influence de l’IRI sur l’agenda international des services climatiques, de même que son visage de pionnier sur le thème des prévisions climatiques, l’expliquent du sien. A titre d’illustration, sur base de la liste d’articles que nous avons constituée pour l’analyse des cadrages (cf. supra), le CCAFS et l’IRI ensemble représentent un cinquième des articles recensés (31/161), ce qui n’est pas nécessairement impressionnant. En revanche, si nous filtrons cette base de données pour ne regarder que les publications se concentrant sur des pays en développement, ils concentrent à eux deux 41% des publications concernées (22/54). Enfin, si nous resserrons encore le filtre pour ne garder que les publications centrées sur l’Afrique ou les pays en développement pris dans leur ensemble, le CCAFS et l’IRI sont à l’origine de la moitié des articles concernés (18/36).

Il est intéressant de noter, par ailleurs, que l’importance prise par ces deux acteurs, du moins en termes de visibilité, supplante celle de l’OMM dont on a pourtant vu qu’il était l’instigateur initial des services climatiques. A titre de comparaison, l’OMM est à l’origine d’un seul article sur les 161 qui ont constitué notre base de données119. Dans le chapitre suivant, nous aurons l’occasion de discuter des obstacles ayant pesé sur le développement du Cadre mondial pour les services climatologiques, et qui expliquent partiellement ce constat. La difficulté de l’OMM à conserver une visibilité forte dans les arènes climat, d’après nous, reste quoi qu’il en soit une tendance transversale, et qui se vérifie pour d’autres aspects que les seuls services climatiques. Comprendre les raisons de ce constat n’est pas l’objet de notre thèse, mais nous le relevons ici à titre de question ouverte.

En nous employant à décrire les logiques et trajectoires de recherche classiques issus de la RAI, notre

objectif est au final de comprendre comment celles-ci se reflètent ensuite dans les politiques et projets de services climatiques. Les chapitres qui suivent visent à décrire des mises en œuvre concrètes

de services climatiques dans un pays en développement, à un niveau national d’abord (chapitre 3) et local ensuite (chapitre 4). Nous verrons comment ces niveaux s’influencent réciproquement et quel est leur interdépendance. Certaines leçons tirées de ce second chapitre seront ainsi analysées plus en aval dans la thèse, après exposition de nos études de cas.

119Ce chiffre n’est pas indicatif de la capacité de publication de l’organisation, qui dispose de son propre outil à cet effet (le

Bulletin de l’OMM). En revanche, il montre la place limitée de l’OMM au sein des publications académiques et même de

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