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Top-down approach

Chapitre 1. Les services climatiques : une arène de construction de systèmes de connaissances face au changement climatique systèmes de connaissances face au changement climatique

1.2 Eléments de contexte historique

Bien que le terme de services climatiques soit émergent et relativement récent, ainsi que nous l’avons exposé, les programmes d’observation et de recherche climatiques, hydrologiques et

océanographiques sur lesquels repose aujourd’hui la capacité scientifique à offrir des services d’informations liés à la météo et au climat remontent à plus d’un siècle. Un grand nombre de ces

programmes étaient conçus dans l’idée de fournir un bénéfice à la société et dans l’objectif d’être orienté vers les utilisateurs (Vaughan et Dessai, 2014). Historiquement, les premières recherches climatiques sont conduites au niveau des services météorologiques et hydrologiques nationaux (SMHN). A l’échelle globale, ceux-ci sont rassemblés sous la coupole de l’OMM, dont le rôle est déterminant dans le développement des services climatiques.

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1.2.1 L’Organisation météorologique mondiale : créatrice de normes mondialistes

L’Organisation météorologique mondiale, et son prédécesseur l’Organisation météorologique internationale (OMI)50, sont investies dans la recherche climatique, la mise en place d’un cadre

coopératif et l’échange de données à l’échelle internationale depuis la fin du 19ème siècle. Le réseau

de données météorologiques mondial, couplé à ses cousins des sciences géophysiques – en particulier la sismographie et l’océanographie, est l’un des plus anciens représentants de ce que Martin Hewson appelle la « mondialisation de l’information » : soit des systèmes et institutions dédiés à la

production et transmission d’informations à l’échelle planétaire (Hewson et Sinclair, 1999).

En 1839, John Ruskin, écrivain et poète anglais, écrivait (cité par Shaw, 1939) :

« La Société Météorologique … n’a pas été formée pour une ville, ni pour un royaume, mais pour le monde. Elle désire être le point central, le pouvoir mouvant, d’une vaste machine. … Elle souhaite avoir sous son commandement, à des périodes établies, des systèmes parfaits d’observations méthodiques et simultanées ; elle aspire à ce que son influence et son pouvoir soient omniprésents sur le globe… pour connaître, à n’importe quel instant, l’état de l’atmosphère à chaque point de sa surface »51

.

Aujourd’hui, la réalité a probablement dépassé les frontières du rêve de Ruskin. Les satellites, les

radars, les systèmes de télécommunication instantanés, les superordinateurs sont les composantes essentielles de cette « vaste machine », terme repris et développé par Paul N. Edwards pour décrire ce

système complexe de données collectées par senseurs sur terre, dans la mer, l’atmosphère et l’espace, assimilés en temps réel par des ordinateurs et redistribués dans l’ensemble des instituts nationaux de météorologie du monde (Edwards, 2004).

Dès 1950, la vocation de surveillance planétaire de l’OMM est beaucoup plus forte que la plupart des autres systèmes se voulant globaux de l’époque. L'avènement des ordinateurs numériques permet de réaliser des simulations météorologiques basées sur la physique, suffisamment rapides pour être utiles dans la prévision. Les modèles de prévisions informatiques requièrent des grilles de données tri-dimensionnelles régulières sur de très larges zones. Initialement régionales ou continentales, les modèles de prévisions se déplacent à l’échelle hémisphérique dès la fin des années 1950. Au même moment, des prévisions informatisées sont prévues ou opérationnelles aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Union soviétique, au Japon, en Suède, en Israël, en Allemagne de l’Ouest, en Belgique, au

50 L’OMI est fondée en 1879 lors du Congrès météorologique international qui se tint à Rome, et résulte d’une proposition en 1872 et de discussions subséquentes conduites par le professeur Buys Ballot, alors directeur de l’Institut royal météorologique des Pays-Bas. L’OMI vise à faciliter l’échange des données météorologiques entre les pays en promouvant la coopération internationale, en encourageant les recherches météorologiques et surtout en uniformisant les pratiques des instituts météorologiques nationaux. En 1950, l’OMM remplace et reprend les missions de l’OMI. La création de l’OMM s’explique principalement par l’optimisme d’après-guerre, qui se traduit par une volonté de se lier à la nouvelle Organisation des Nations Unies (ONU) malgré une perte d’indépendance potentielle, et l’espoir qu’une forme intergouvernementale contribue à renforcer le pouvoir limité de l’OMI. Cette volonté n’était pas extraordinaire : d’autres structures avec lesquelles les services météorologiques collaborent durant la guerre sont nouvellement agences de l’ONU ; en particulier l’Organisation internationale de l’aviation civile et l’Union internationale des télécommunications (Sarukhanian et Walker, 2004).

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Canada et en Australie. Pour des raisons techniques, la disparition de données était beaucoup plus problématique pour les modèles informatiques qu’elle ne l’était avec les modèles synoptiques des prévisionnistes avant eux. C’est pourquoi améliorer le réseau de données devient un impératif. Avec l’arrivée des prévisions météorologiques informatisées, l’ambition est relevée à la fourniture et l’échange des données planétaires en temps réel pour alimenter les modèles de prévision. L’échange

de données en temps réel ne nécessite pas seulement une meilleure technologie, mais aussi une meilleure infrastructure : des normes standardisées, une coordination améliorée et des connaissances et compétences mieux distribuées à travers le monde (Edwards, 2006).

En 1961, la résolution 1721 de l’Assemblée générale de l’ONU invite toutes les nations à participer, via l’OMM, à la coopération internationale dans la recherche et les analyses météorologiques, de l’atmosphère et du climat et à développer les moyens des centres nationaux météorologiques (Assemblée générale de l’ONU, 1961)52. Sous cette impulsion, mais également grâce au support du président Kennedy, des moyens sont investis la même année pour développer le réseau de satellites (Edwards, 2004). Dans l’optique d’accroître son infrastructure, l’OMM agglomère dans les années

1960 l’entièreté des réseaux de données existants pour former un système d’informations mondial (global information infrastructure, GII) : il s’agit d’un réseau pour la collecte automatique, le

traitement et la distribution d'informations météorologiques et climatiques pour l'ensemble de la planète (Edwards, 2006). Ce « réseau des réseaux » (Borgman, 2000), dont le World Wide Web est aujourd’hui l’un des représentants le plus évident, est alors le premier du genre. Baptisée la Veille météorologique mondiale (VMM), cette infrastructure a selon Paul N. Edwards une signification particulière, en ce qu’elle est une infrastructure des technologies de l’information et de la communication et pas seulement l’un des canaux non spécifiques des TIC. Les canaux de communication internationaux comme la poste, le télégraphe ou les téléphones facilitent en effet les flux globaux d’information mais ne participent pas à la production ou au contrôle de qualité des informations. En revanche, une infrastructure qui fixe des normes uniformes pour l’information à l’échelle mondiale produit activement une compréhension partagée du monde dans son ensemble. Dans ce sens, l’OMM est une structure de mondialisation à la fois de l’information et de l’infrastructure, c’est-à-dire une structure construisant de manière permanente et unifiée un complexe institutionnel et technologique à l'échelle mondiale (Edwards, 2006).

D’après Paul Edwards (2006), l’OMM s’est inscrite dans ce projet de mondialisation de

l’information en développant plusieurs types de pouvoir institutionnel. D’abord, à travers la

mission déjà attribuée à l’OMI de négociation des standards techniques. Les commissions techniques de l’OMM et les Congrès de météorologie internationaux, se tenant tous les quatre ans, en sont les arènes de négociation. Progressivement intégrés dans l’infrastructure, les décisions qui en découlent

52 La résolution est consultable en ligne :

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deviennent des instruments ou des systèmes technologiques (comme les ballons météorologiques ou les stations météorologiques automatisées) dont la construction, l’usage, le calibrage et l’interprétation des données sont gouvernés par l’OMM. Ensuite, l’OMM cherche à exercer un contrôle sur ses pairs dès sa création, à travers l’organisation de réunions et des publications officielles. Faible toutefois, le Secrétariat de l’OMM ne parvient pas à imposer ses standards dans la recherche, toujours essentiellement menée par les instituts nationaux53. Les bureaux de l’OMM s’installent de manière permanente à Genève en 1955 et dans leur propre édifice en 1960. Symboliquement, cela a une importance majeure. L’OMM lance alors une série de programmes et rencontres mondiales : l’année de géophysique internationale en 1957–1958, la VMM et le programme global de recherche atmosphérique (Global Atmospheric Research Program, GARP).

Hewson décrivait la notion de mondialisation de l’information dans l’idée émergente que les connaissances sur le monde ont une valeur pratique et une légitimité sociopolitique (Hewson et Sinclair, 1999). Paul Edwards ajoute que la mondialisation de l’infrastructure est la dimension matérielle de cet impératif. Parler d’infrastructure est intéressant en ce que ce vocable, dans la vie courante, est utilisé pour se référer aux systèmes tant institutionnels que technologiques. « L’infrastructure » implique aussi l’invisibilité que ces systèmes acquièrent lorsqu’ils sont intégrés à la vie et au travail ordinaires, tout comme le degré important de confiance qui leur est généralement attribué au niveau sociétal. Leur durée de vie et rythme de croissance contribuent à limiter et structurer le facteur humain, en tant qu’agent social, bien que celui-ci en soit à l’origine. En d’autres mots, des infrastructures d'informations

mondiales durables et fiables contribuent à créer une légitimité politique et scientifique pour les connaissances qu’elles créent. Parallèlement, la dépendance à long terme qu’elles induisent peut

contribuer à éroder progressivement tout espoir de contrôle par l’Etat, comme les cas les plus récents de GII, de l’internet et du World Wide Web, l’ont démontré. Ce mondialisme d’infrastructure, s’il réussit, est intrinsèquement un agent particulièrement efficace de la mondialisation (Edwards, 2006).

En résumé, cinq grands développements scientifiques, technologiques et géopolitiques dans les