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8. En guise de conclusion : au bout de la souffrance

8.3. Après la pluie le beau temps

« Qu’est-ce que je serais heureux, si j’étais heureux » (Woody Allen).

Je l’emmènerais à la montagne, je lui montrerais qu’il y a d’autres côtés qui sont plus importants. Que tu fais partie d'un monde plus large et que l'on est souvent dans une étroitesse d’esprit qui ne reflète pas le reste du monde. Je lui apprendrais à lire des histoires, je lui apprendrais à s'évader comme j'ai réussi à le faire. Je lui dirais : « Ne t’inquiètes pas, cela dure six ans et après c’est fini ». Parce que je saurais à ce moment-là que ça a une fin. (Entretien de Julie p. 203)

Je lui dirais que ça ne sera pas toujours comme ça, qu’après ce sera merveilleux, que dans ce qui l’attend il y a beaucoup de bonheur, que c’est juste une étape. Voilà, juste une étape. Que c’est son chemin et qu’il y a beaucoup mieux qui l’attend dans le futur.

(Entretien d’Alice p. 130)

En arrière-fond de ce mémoire, au gré des chapitres, il a toujours été question d’une seule chose : la souffrance. Souffrance au quotidien des enfants, souffrance de l’enfance transmutée chez l’adulte. Ne serait-il pas plus vrai de dire que dans ce que vous avez lu jusqu'à présent, il n’a été question que d’une seule chose : le négatif de la souffrance ; le bonheur ou comment y accéder malgré les aléas de la vie ?

Avez-vous rencontré des instants de bonheur parfait ?

Aristote (1961) écrivait « sur la nature même du bonheur, on ne s’entend plus et les explications des sages et de la foule sont en désaccord » (cité par Ricard, 2003, p. 13). Les grands penseurs des siècles passés et présents ont des définitions très diverses du mot bonheur.

Pour Kant, nous ne somme pas à même de savoir ce que nous entendons par le mot bonheur.

« Le concept de bonheur est un concept si indéterminé que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut » (Kant, 1997, p.131).

Le bonheur est certes un terme difficile à définir, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’existe pas, même si Schopenhauer, le pessimiste, pense qu’il est chose impossible à atteindre car l’homme est prompt à être las de tout.

Pour Epicure, tout comme pour Compte-Sponville, le bonheur et la sagesse sont intimement liés. Si l’on en croit l’ouvrage de Compte-Sponville intitulé Le bonheur, désespérément, c’est vers la philosophie qu’il faut nous tourner pour être heureux car son but est la sagesse. Le bonheur ne doit rien espérer, il se vit dans l’instant présent au travers des petites joies.

Pour d’autres, le bonheur est présent quand tout va selon son désir et sa volonté, que l’on aime la vie qui est la nôtre.

Certains pensent que le bonheur ne serait qu’une « impression ponctuelle, fugitive, dont l’intensité et la durée varient avec la disponibilité des biens qui le rendent possible » (Bruguière, 1988, cité par Ricard, 2003, p. 13).

Chacun de nous a connu ces moments de grâces, où les conflits intérieurs disparaissent comme par enchantement, où seul l’instant présent et une incommensurable paix existent. Ces ataraxiques instants magiques, pour le commun des mortels, finissent toujours par disparaître.

Le bonheur parfait et constant dont parle Matthieu Ricard (2003) dans son ouvrage intitulé Plaidoyer pour le bonheur, est celui d’un :

Etat acquis de plénitude sous-jacent à chaque instant de l’existence et qui perdure à travers les inévitables aléas la jalonnant. […] un état de bien-être qui naît d’un esprit exceptionnellement sain et serein. C’est […] un bonheur si profond que rien ne saurait l’altérer […]. C’est aussi un état de sagesse, affranchi des poisons mentaux et de connaissance, libre d’aveuglement sur la nature véritable des choses. (p. 16)

Le bonheur, tel qu’il est décrit par le philosophe bouddhiste, semble tellement inaccessible aux gens ordinaires, incompatible avec le système de fonctionnement des sociétés capitalistes empreintes de la doctrine judéo-chrétienne, et pourtant il existe. D’un côté, le bonheur fugace qui file entre les doigts comme une savonnette humide, qui prend un malin plaisir à nous échapper lorsque nous pensons le tenir pour de bon, de l’autre, la souffrance qui colle à la peau comme la sueur.

Ricard (2003) nous dit que notre recherche du bonheur se fonde sur des leurres, des illusions plutôt que sur la réalité. « Or, ne vaudrait-il pas mieux transformer notre esprit plutôt que de nous épuiser à modeler le monde à l’image de nos fantasmes ou à modifier artificiellement nos états de conscience » (Ricard, 2003, p. 55) ? Grâce à l’entraînement et à la vigilance, nous dit l’auteur, il est possible d’identifier et de mieux gérer l’émotionnel et le mental. Cela implique d’être plus empreint d’émotions saines comme l’amour altruiste, la compassion et l’empathie. La lucidité doit être constamment cultivée afin « de réduire l’écart entre le réel et les pensées que nous projetons sur lui » (Ricard, 2003, p. 55).

Je pense qu’il s’agit d’une entreprise vaine que de chercher le bonheur dans le monde extérieur car il réside au tréfonds de notre être. S’évertuer à essayer de modeler la réalité à notre guise nous fait courir à notre perte. C’est à nous de travailler en notre for intérieur pour faire tomber le masque des leurres. Les illusions créées par le mental limitent grandement notre compréhension : de la vie, de ses aléas et de l’essence du bonheur. Notre spécieux intellect, allié à notre ego surdimensionné, interprète dans un même élan certains événements comme négatifs, comme une atteinte. Or je crois que nous sommes responsables de l’impact que l’extériorité a sur notre intériorité. Toute chose a le pouvoir que nous lui accordons.

Une jeune femme, qui fréquente mon cours de théâtre et qui est porteuse d’une infirmité motrice cérébrale, m’a dit un jour : « Tu sais, il n’existe pas de soleil sans nuages ». Il est vrai que, trop souvent, le bonheur ressemble à cela. A peine est-il caché par quelques nuages que nous oublions son omniprésence, dupés par les jeux de la conscience momentanément ombragée. Le bonheur, à l’instar du soleil, est toujours guetté, espéré, menacé. Il est le roi du jour qui s’éclipse majestueusement devant son alter ego ; la déesse lune annonciatrice de l’obscurité, de la montée des grandes eaux. Une entité séparée en deux astres ni bien ni mal, chacun indispensable à la vie terrestre.

La recherche constante du bonheur ne finirait-elle pas toujours par trouver son ombre : la souffrance ? Bonheur et souffrance sont indissociables bien que nous courions éperdument après l’un et fuyons l’autre. Le bonheur n’est pas un droit, c’est un chemin. Celui qui conduit à la connaissance de notre être profond.