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7. L’analyse

7.2. La transmutation de la souffrance

7.2.2. La résilience

Je me suis demandé comment ces enfants qui ont été des victimes émissaires ont pu reconstruire leur vie ? Est-il possible de transmuter la souffrance ? La théorie de la résilience m’a semblé s’avérer être la plus intéressante pour répondre à ces questions.

La résilience, selon Cyrulnik (2001), comporte trois points essentiels.

Nous avons en premier lieu l’importance de l’acquisition, dès les premières années de vie, lors des interactions précoces verbales, des ressources internes qui sont imprégnées dans le tempérament. Ces ressources, en disposant de tuteurs de développement plus ou moins efficaces, expliqueront les réactions d’un être face aux agressions de l’existence.

[En second lieu], la structure de l'agression explique les dégâts du premier coup, la blessure ou le manque. Mais c'est la signification que ce coup prendra plus tard dans l'histoire du blessé et dans son contexte familial et social qui expliquera les effets dévastateurs du second coup, celui qui fait le traumatisme. (Cyrulnik, 2001, p.20) En troisième lieu les tuteurs de résilience, disposés autour du blessé par la société, qui lui offrent la possibilité d’aller à la rencontre d’activités, de lieux d’affections ou de paroles et lui permettent de reprendre le cours d’un développement à l’origine infléchi par la blessure. La résilience est dépendante non seulement du type d’agression dont l’enfant a été l’objet mais aussi de la signification que l’enfant va lui attribuer et surtout de la qualité du soutien de sa famille à son égard.

Cyrulnik (2001) nous dit que le tout petit est imprégné du monde psychique de ses parents. La manière dont le couple s’associe et ses styles relationnels vont influencer la capacité de résilience de l’enfant. Mais d’autres facteurs comme la famille élargie, l’art, le sport ou l’engagement philosophique peuvent aussi étayer l’enfant. « Un environnement, constitué de plusieurs attachements, augmente les facteurs de résilience du petit » (Cyrulnik, 2001, p. 89).

C'est-à-dire qu’un enfant ne peut pas être résilient tout seul, il est primordial qu’il rencontre

« un objet qui convienne à son tempérament pour devenir résistant ». Si bien qu’on peut être résilient avec une personne et pas avec une autre, reprendre son développement dans un milieu et s’effondrer dans un autre » (Cyrulnik, 2001, p. 97). Ce processus est toujours

5 Pour plus d’apports théoriques concernant la thématique de la résilience selon Cyrulnik, veuillez vous référer aux annexes en pages 229 à 233.

possible à partir du moment où l’on rencontre un objet signifiant. Les personnes interviewées illustrent merveilleusement l’importance de l’appui sur l’environnement humain et dans un engagement de type artistique ou philosophique.

Julie était habitée par l’amour des mots et de la littérature, cela lui a permis de s’échapper de la dureté de son quotidien et de trouver refuge dans un monde imaginaire. Elle bénéficiait aussi d’un soutien important au niveau de la famille élargie, en l’occurrence auprès de sa tante et de sa grand-mère, qui sont omniprésentes dans les récits de son enfance.

Christelle s’est vu soutenue par la psychologue de son école, elle nous dit à cet égard :

Avec elle j'avais un vrai contact, je sentais qu'elle s'intéressait à moi. Elle me posait des questions, elle me cherchait un peu. C'est-à-dire qu'elle mettait le doigt sur des choses qui me tenaient à cœur. J'ai beaucoup parlé avec elle, […]. Elle m’a aidé à me soulager. (Entretien de Christelle p. 168)

La danse et le piano ont constitué, pour elle, des moments de plaisir et de détente non négligeables qui lui ont fait l’effet d’une bulle de douceur et d’oxygène. Le fait de réussir à se construire un réseau d’amis a été très important pour le bien-être de Christelle mais aussi pour celui d’Alice et de Fabienne.

Alice a trouvé son mode d’expression salvateur par le biais du dessin qui, de plus, suscitait une approbation admirative de la part de ses parents. Elle dit à ce propos : « Je dessinais beaucoup à la maison. Et mes parents me valorisaient par rapport à cela » (entretien d’Alice p. 127). Cyrulnik (2001) parle en ces termes de l’importance de la fantaisie et des productions artistiques : « la fantaisie constitue la ressource interne la plus précieuse de la résilience. Il suffit de disposer autour du petit blessé quelques papiers, quelques crayons […] et des mains pour applaudir pour que l’alchimie de la fantaisie opère » (p.164).

Benjamin, qui était plus âgé que les autres interviewés au moment où il a été brimé par ses camarades, a plongé dans les paradis artificiels offerts par le biais de la drogue. Raccroché à un autre réseau, il a vu sa situation de bouc émissaire disparaître en fumée. Il a réussi à se sortir, d’une part de la drogue et de la petite délinquance et, d’autre part de ses échecs scolaires et sportifs - affres de la vie qui ont tous découlé de la victimisation qu’il a subie auparavant – grâce à sa passion pour la radio et une relation amoureuse.

La personne placée […] dans une position de victime cherche à être insensible aux afflictions que lui impose le « destin » et tente de trouver des aides prothétiques et compensatoires au travers d'éventuelles conduites addictives. […] L'agir addictif sert, en effet, de procédé défensif pour échapper à la souffrance. Ainsi, il permet également de changer le principe de réalité par une recherche de jouissance. (Maïdi, 2003, p. 52-53)

Benjamin a aussi été très soutenu par ses parents, même si cela n’était pas évident pour lui à l’époque, l’âge faisant que l’on désire se détacher de l’emprise parentale vécue souvent comme intrusive. Enfin, son âme d’artiste a pu s’exprimer librement lorsqu’il a entamé une formation dans une école d’art. Il a pu exprimer au grand jour la différence qui était la sienne et en a récolté les fruits merveilleux.

Fabienne souligne, en premier lieu, l’importance qu’a revêtu pour elle sa passion pour les poneys. En second lieu, les opportunités offertes par les centres aérés et les camps qui lui ont donné la possibilité de vivre des contacts agréables avec des enfants. Enfin, elle nous parle aussi des bienfaits qu’elle a su retirer de séances en groupe menés par un pédopsychiatre. Elle nous raconte :

Ma grande passion pour les poneys et les chevaux m’a beaucoup aidée. Quand j’étais enfant, je me rendais pendant pratiquement tout mon temps libre au poney club de la Gavotte. Je me suis occupée de plusieurs poneys. C’était chouette de voir les adultes te faire confiance en te rendant responsable. […] Avec le recul, je pense que c’est ce qui m’a le plus aidée durant les périodes où ça n’allait pas à l’école. Le fait d’être dans un cadre hors de l’école me permettait de sortir de mon rôle. Je n’étais plus Fabienne la fille dont on se moque toujours. Je me sentais dans mon élément, libre.

Je me souviens aussi que quand j’étais triste, m’occuper de mon poney me faisait du bien. Je me consolais auprès de lui. Il fallait aussi développer une relation de confiance, les animaux sont très sensibles. J’ai eu des échanges très tendres, je crois que cela me donnait un équilibre […]. (Entretien de Fabienne p. 154)

Pour Cyrulnik (2001), la résilience se tricote toute la vie durant, elle est un art, celui de

« naviguer dans les torrents » (p. 259).

Un trauma a bousculé le blessé dans une direction où il aurait aimé ne pas aller. Mais puisqu’il est tombé dans un flot qui le roule et l’emporte vers une cascade de

meurtrissures, le résilient doit faire appel aux ressources internes imprégnées dans sa mémoire […] jusqu’au moment où une main tendue lui offrira une ressource externe, une relation affective, une institution sociale ou culturelle qui lui permettra de s’en sortir. (Cyrulnik, 2001, pp. 259-260)

Le fait de renouer avec le lien social permet au blessé de remanier l’image qu’il se fait de lui-même, c’est cela qui fait germer en son sein le désir de s’en sortir. Cyrulnik, en prenant la métaphore du vilain petit canard, nous dit qu’il faudra du temps au cygne en devenir pour comprendre que la cicatrisation de sa blessure ne sera jamais sûre.

C'est une brèche dans le développement de sa personnalité, un point faible qui peut toujours se déchirer sous les coups du sort. Cette fêlure contraint le petit canard à travailler sans cesse à sa métamorphose interminable. Alors, il pourra mener une existence de cygne, belle et pourtant fragile, parce qu'il ne pourra jamais oublier son passé de vilain petit canard. Mais, devenu cygne, il pourra y penser d'une manière supportable. (Cyrulnik, 2001, p. 16)

Contrairement à ce que l’on serait susceptible de croire, ce n’est pas l’individu, la personne qui est plus ou moins résiliente. La résilience est comprise comme un processus, un devenir qui se construit de mots en mots et d’actes en actes. Elle est inscrite dans un milieu, une histoire et une culture. C’est donc l’évolution et l’historisation d’un être qui est résiliente.

Certes, l’entourage du petit blessé et la signification que son histoire va prendre dans un contexte culturel sont primordiaux. Le long et continu processus de la résilience se met en marche grâce à eux. Mais chaque individu se comporte intrinsèquement différemment face aux difficultés de la vie.