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Les « plex » : les logements montréalais typiques

Chapitre 5 – La situation montréalaise et laurentienne du logement

5.2 L’espace du logement montréalais et laurentien

5.2.1 Les « plex » : les logements montréalais typiques

L’espace intérieur du logement montréalais est particulier. Certaines de ses formes sont grandement répandues, notamment pour les logements dans les petits « plex ». Commençons tout d'abord par un élément de nomenclature incontournable pour définir le logement montréalais, qui est sa typologie par nombre de pièces, déterminant ainsi sa grandeur, en accordant à la salle de bain la valeur d’une demi-pièce. On ne définit pas donc le logement par sa surface, par son nombre de chambres. Par exemple, un appartement de quatre pièces fermées ou semi-fermées avec une salle de bain est un « quatre et demi ». Nous présentons dans cette section, ce que constitue généralement l’organisation de ces pièces.

Dans les années 1960, une vaste équipe de cinéastes de l’Office National du Film du Canada, sous la direction de l'écrivain Hubert Aquin, a envahi le quartier montréalais de Saint- Henri pour en faire une ethnographie. En effet, ils filment le quartier, mais ils entrent également dans des logements pour interroger leurs habitants. Les discussions se déroulent dans la pièce centrale du logement montréalais, non pas physiquement mais symboliquement : la cuisine.

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Cette importance de la cuisine s’explique par le fait que dans le développement du logement à Montréal, surtout dans la première période mais également dans la deuxième, les appartements étaient chauffés au bois et le poêle se trouvait dans cette pièce. Les gens s'y rassemblaient donc pour les activités familiales telles que les repas, les fêtes, la période des devoirs scolaires, etc. C’est à partir de cet espace que s'organisait la vie des ménages. Les portes y sont nombreuses, vers la cour arrière, la salle de bain et la chambre des maitres, par exemple. À cet égard, les cuisines montréalaises sont souvent plus spacieuses que les cuisines européennes et latino-américaines, qui ne servent souvent seulement que d’espace pour cuisiner. Aujourd'hui, c'est plutôt sa localisation dans l'appartement qui lui donne son importance, quoique, notamment lorsqu’on invite des gens à la maison, la cuisine redevienne le point de rencontre, de ralliement. La cuisine a également un lien direct avec l'entrée de l'appartement, puisqu'elle est souvent reliée par un corridor. En fait, en entrant dans le logement, la cuisine se trouve face à nous au fond de l’appartement. En outre, en plus d’y faire les repas, les appareils ménagers se trouvent très souvent dans cette pièce et c’est à cet endroit que l’on fait « le lavage ».

Les autres pièces de vie, telles que le salon et la salle à diner, avaient une appartenance davantage symbolique, et visaient à accueillir des invités prestigieux ou importants. Or, depuis une quarantaine d'années, le salon, parce que la télévision occupe une place importante dans la vie des familles, est devenu beaucoup plus important. On y travaille, on y joue, on y mange, alors qu'autrefois c'était un sanctuaire, un lieu interdit aux enfants. D'ailleurs, autrefois, il n'était pas rare pour les familles nombreuses de convertir salon et salle à diner en chambres afin de permettre à chacun d'avoir un minimum d'intimité. Aujourd’hui, le salon est davantage un lieu de rassemblement familial, remettant en cause l'hégémonie de la cuisine. La plupart du temps, les chambres sont à l’avant, sauf s’il y en a plus qu’une. Dans ce cas, la chambre des maitres (la chambre la plus grande et ayant le plus de rangements) est adjacente à la cuisine. En résumé, on retrouve une chambre et le salon à l’avant, c’est-à-dire du côté de la rue, une chambre et la cuisine à l’arrière, et au centre, la deuxième pièce du salon-double (considéré comme la salle à diner) et la salle de bain. Dans les plus vieux immeubles (ceux construits avant la Deuxième Guerre mondiale), on retrouve parfois la salle de bain à l’arrière, réduisant l’espace de la cuisine. Un autre élément important des logements est lié à l'aménagement urbain sur le modèle des rues

avec ruelles, les fenêtres des appartements étant situées à l'avant et à l'arrière seulement. Ce détail explique en partie l'aménagement intérieur avec la présence de salon double puisque les pièces du milieu n'ont pas accès à la lumière naturelle.

Dans la section sur les dimensions architecturales de la ville, nous avons évoqué la présence des escaliers en fer forgé. Ces escaliers mènent très souvent à des balcons qui constituent une partie importante de l'espace des logements montréalais, et on les retrouve la plupart du temps à l'avant et à l’arrière. Même si l'utilisation de ces espaces est liée directement au temps de l'année, c’est-à-dire qu'ils sont investis l'été, ils représentent des lieux importants de la vie en ville. La littérature et la musique montréalaises sont remplies de références aux balcons, aux perrons et aux escaliers de la ville.

Ces balcons et escaliers font partie de l’identité de Montréal, même si leur présence parait peu avisée, obligeant les montréalais à les déneiger pendant les mois d’hiver. Les entrées intérieures, ou les immeubles à plusieurs logements avec une seule porte principale, simplifient la vie des locataires justement parce qu’ils n’ont pas à assurer la gestion des tempêtes de neige. Les locataires de ces petits immeubles doivent avoir en leur possession une pelle parce que dans la très grande majorité des cas les baux n’incluent pas le déblaiement de la neige. À cela s’ajoutent les possibles blessures particulièrement lors d’épisodes de verglas, notamment à cause de la pente assez raide des escaliers. Cette gestion de l’hiver amène certains propriétaires et locataires à installer des abris provisoires en toile de vinyles (appelées « tempo ») afin de réduire les temps de déneigement et afin de protéger leurs voitures. Ils apparaissent dans le paysage au début du mois de novembre et sont présents jusqu’en avril. Encore là, ils représentent une extension de l’espace de vie des occupants des logements. Pas qu’ils y vivent, mais ces espaces extérieurs prolongent leur occupation du territoire.

Les balcons à l’arrière, spécifiquement, servaient davantage aux travaux ménagers et au rangement. Un autre élément important du paysage des ruelles montréalaises, les cordes à linge, sont accessibles depuis ces balcons. Les cuisines étant en général l'endroit où est faite la lessive, et comme les balcons arrières donnent sur la cuisine, c’est à cet endroit que l'on étend le linge, les vêtements. Les pièces de théâtre de Michel Tremblay, dramaturge montréalais tant par son

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origine que par les thèmes de ses œuvres, se déroulent souvent entre la cuisine et le balcon, cet espace ouvert de mai à septembre. Ces balcons donnent également sur les ruelles qui multiplient par dix l’aire de jeux des enfants. En effet, l’été, les ruelles sont envahies par les jeunes cyclistes, footballeurs ou autres partisans de jeux extérieurs. La plupart du temps cimentées, les ruelles sont de plus en plus verdies et investies par des Montréalais de tout âge. Les rencontres entre voisins se font essentiellement dans les ruelles. Dans plusieurs quartiers où l’immigration d’Europe du sud a été importante, les potagers tapissent les cours arrière de tomates, d'aubergines, de concombres, de fèves et d'autres légumes. Plusieurs Montréalais vivant au premier étage ont un potager et ceux des étages supérieurs ont des plants dans des pots sur les balcons. L’été est une période de socialisation importante pour les locataires de ce type d’immeuble, et cette socialisation se déroule plutôt à l’arrière, entre les cours et les ruelles.

Les appartements montréalais se caractérisent également par les matériaux qui les composent. Tout d’abord, les planchers sont en bois, généralement en érable ou en merisier. Dans le cas des appartements plus vieux, la qualité des planchers et des matériaux varie en fonction des étages. Au rez-de-chaussée, les planchers sont faits de lattes de bois franc plutôt larges, alors qu’aux étages, les lattes sont soit moins larges, soit dans une autre essence comme le pin ou l’épinette. La présence du bois dans les appartements est due principalement à la proximité et à la disponibilité du matériel puisque les planchers de bois nécessitent davantage d’entretien que la céramique. L’utilisation du bois pour les planchers, et la structure, rapproche le voisinage, car il conduit le bruit lorsqu’on se déplace dans l’appartement. Ces planchers qui « chantent », c’est-à-dire qui craquent, constituent une caractéristique importante des logements montréalais. De plus, les murs sont la plupart du temps en plâtre et, encore une fois, les appartements du rez-de-chaussée comprennent également des ornements faits dans ce matériel. Des colonnes aux rosaces et aux appliqués sur les murs, les appartements montréalais sont ponctués de ces détails décoratifs. Le plâtre n’est pas appliqué sur des blocs de ciment ou d’argile, mais sur du treillis de bois. Ainsi, les murs des appartements sont la plupart du temps vides ce qui, encore une fois, permet au son de passer en laissant peu d’intimité aux occupants. Seuls les murs mitoyens (entre immeubles) sont séparés par du ciment.

Nous avons évoqué l’impact de la forme des multiplex et la présence des ruelles pour rendre compte des relations de voisinage dans ces immeubles. Les gens ne partagent pas nécessairement des espaces dans l’immeuble, mais ils partagent les espaces autour de l’immeuble ou ceux adjacents, comme les escaliers et les balcons ou la ruelle. Cependant, en termes relationnels, une des caractéristiques importantes de ce type d’immeuble est que, très souvent, le propriétaire occupe un des logements. Ainsi, les locataires partagent des espaces avec leur(s) propriétaire(s). La proximité entre ces acteurs est une dimension importante de la situation du logement montréalais. Toutefois, ce type de relation est moins présente dans des immeubles de plus de cinq logements.

Encadré 5.1 Le propriétaire, une chanson de La Bolduc (1930)

J’avais un propriétaire ça c’était une vraie commère Il venait écornifler près d’la maison à la journée

Quand il voyait quelqu’un rentrer il v’nait sentir dans l’escalier Si je bal’yais ma galerie c’était pas long qu’i’ était sorti

Quand mon mari fend du bois il nous crie d’arrêter ça Si ma fille joue du piano i’s’met à cogner sur les tuyaux Quand je pratique mes chansons et que je joue du violon Il me crie d’attendre le soir avec le chat p’faire mes concerts Quand l’boulanger vient sonner lui et sa femme viennent regarder Si ça lui prend ben du temps pour délivrer un p’tit pain blanc Quand je fais venir des liqueurs ça l’énerve ben de pas savoir Si c’est d’la bière ou du porter ou ben du vin de gadelles noires