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Les enjeux de crédibilité et les considérations éthiques

Chapitre 4 – Pour une sociologie interprétative des inégalités de logement : bases

4.3 Les enjeux de crédibilité et les considérations éthiques

La recherche qualitative, par son positionnement épistémologique distinct, implique un rapport à la scientificité particulier qu’il importe de présenter et d'expliquer en situant notre recherche. Ce rapport, quoique particulier, s’inscrit dans la tradition de la rigueur scientifique, mais en se basant sur une logique différente cherchant la crédibilité plutôt que la validité, mais également par une réflexion sur le statut accordé à la parole des acteurs et ses conséquences sur l’objectivité et la neutralité en recherche. Ce positionnement amène des considérations éthiques que nous évoquerons également à la fin du présent chapitre.

La recherche qualitative implique de reconnaitre que le travail méthodologique en est un de construction des données. Cette position ne signifie pas que ces dernières soient manipulées, mais que leur existence repose sur l’interaction entre un chercheur et un terrain. Ainsi, les données n’ont pas à être validées, c’est-à-dire à être comparées à ce qui est vrai, parce qu’elles n’existent pas sans l’intervention du chercheur. Le véritable enjeu est donc celui de la crédibilité des données, et celui de la rigueur de la collecte, qui permet à la recherche en général d’être valide scientifiquement (Gohier, 2004). Pour ce faire, en tant que chercheur, il faut faire preuve de transparence et évoquer, expliquer et critiquer les choix qui ont été faits avant, pendant et après le travail de terrain. Ainsi, afin de garantir la crédibilité des données, nous exposerons brièvement la façon dont nous nous sommes préoccupé de cet aspect méthodologique lors du déroulement de la collecte des données.

En premier lieu, pour nous assurer de la crédibilité des données, nous avons pris en compte le contexte social des interviewés, c’est à-dire leur identité socioculturelle, afin de diminuer la distance entre ces derniers et le chercheur et afin d'éviter une possible résistance dans l’évocation du vécu. Il s'agit là d'un phénomène de pouvoir présent dans toute situation d'interaction, notamment lorsqu’elle est inégale comme dans le cas d’une interaction scientifique. Il est d'ailleurs reconnu qu'une entrevue effectuée entre personnes socioculturellement « proches » se déroule généralement mieux (Boutin, 2000). Dans ce sens, nous nous sommes toujours présenté de façon conviviale aux participants rencontrés. Nous avons donc pris soin de nous assurer que la relation interviewé-interviewer (et observé- observateur) soit relativement la même d'un participant à l'autre, toujours en respectant l’idée selon laquelle les contenus, les durées et les logiques de discours pouvaient différer. En outre, les questions formelles des entrevues celles plus informelles lors des observations ne se construisaient pas en fonction du cadre théorique, mais plutôt en fonction du vécu des participants. Par ailleurs, étant donné que nous étions avec l’intervenante du comité logement lors de la majorité des rencontres, nous lui avons, à plusieurs reprises, demandé de relever si, selon elle, certaines nos interventions étaient mal indiquées.

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évoquée afin que puisse s’établir clairement un contrat de communication avec les participants à la recherche. À cet égard, à tout moment de la recherche, nous nous sommes toujours présenté en explicitant clairement les objectifs de la recherche et l’importance de connaitre leur expérience de locataires. Le caractère des statuts et les rôles étant sans équivoque, garantissant la crédibilité de la démarche, les participants étant conscients de la situation de recherche et de collecte de données. Pour ce faire, lors des observations, l’intervenante nous présentait toujours comme un chercheur doctoral partenaire du comité logement et nous avons toujours précisé notre rôle.

En troisième lieu, afin de nous assurer de la crédibilité des données, nous avons utilisé plusieurs stratégies de triangulation (Mucchielli, 2002). Tout d’abord, notre présence prolongée (plus d’un an) sur le terrain a permis une meilleure compréhension du contexte de l’étude, mais également, une plus grande contextualisation des données elles-mêmes. En outre, nous avons eu recours à plusieurs outils de collecte de données, ce qui permet de baser l’analyse sur une variété de discours (entretiens et observations) et, par la suite, de les comparer en mettant en évidence les convergences, les divergences et des nuances dans les discours. De plus, tout au long de notre recherche, nous avons tenu un journal de bord dans lequel nous avons d'une part consigné les données d’observation de façon détaillée après chaque activité et dans lequel nous avons, d’autre part, inscrit toutes les décisions, les réflexions, les justifications et les motivations prises pendant la recherche sur les outils de collectes et sur leurs modes opératoires. Le journal de bord est constitué de traces écrites, dont le contenu concerne la narration d’événements27 contextualisés (le temps, les personnes, les lieux, l’argumentation) dont le but est d’établir un dialogue entre les données et le chercheur à la fois comme observateur et comme analyste, assurant aussi la crédibilité du processus de recherche. À cet égard, dans notre travail de réflexion, nous nous positionnions également sur la saturation possible des données. En effet, la question suivante nous orientait : est-ce que cette activité nous apprend quelque chose de nouveau ? Permet-elle de contraster nos données ou de les confirmer? Après plus d’un an sur le

27 Au sens très large, les événements peuvent concerner des idées, des émotions, des pensées, des décisions, des faits, des citations, des descriptions de choses vues ou des paroles

terrain, nous estimons que nous avions un corpus assez varié pour effectuer notre analyse.

À la suite de l’analyse, nous avons produit un document résumant les expériences du logement, qui a été présenté à des locataires de Saint-Laurent à deux moments. Tout d’abord, lors de notre participation au Forum de 2013, une version préliminaire d’un rapport de recherche portant sur l’expérience des locataires de Saint-Laurent a été présentée. À cette occasion, nous avons pu corroborer la crédibilité des interprétations (accord entre le langage, valeurs et lectures interprétatives du chercheur et celle des participants, Gohier, 2004). Par la suite, lors d'une table ronde à l’hiver 2017, nous avons à nouveau confronté nos analyses à des locataires de Saint- Laurent en compagnie du comité logement. Pour ce faire, les locataires ont été invités à lire une nouvelle version de notre rapport de recherche final, qui résumait en une vingtaine de pages les résultats de notre travail. Notre objectif était de confronter nos résultats, notre interprétation du vécu des rapports sociaux inégalitaires évoqués dans nos analyses, avec des locataires de Saint- Laurent, afin de nous assurer que notre lecture soit crédible pour ceux-ci. À cet égard, nous cherchions à « vérifier » les analyses en les communiquant aux acteurs les plus concernés par notre recherche. Ce travail de triangulation des regards sur les données s’est effectué avec des locataires engagés dans une expérience du logement, mais également en compagnie d’acteurs qui sont confrontés à ces expériences dans leur travail et qui les mettent en commun pour défendre le droit au logement. Ce travail des acteurs collectifs comprend aussi une dimension analytique que nous estimions susceptible d’éclairer nos analyses. D’ailleurs, tout au long de la recherche, nous avons confronté notre interprétation avec des locataires et avec les intervenants du comité logement, mais aucune de ces tentatives n’avait été formellement organisée. Nous estimons donc que ces activités de transfert des données aux participants ont permis d’ajuster certaines de nos propositions, et qu'elles ont aussi grandement contribué à les rendre crédibles puisque les principaux intéressés, les locataires, se sont sentis représentés dans nos analyses.

4.3.2 Les considérations éthiques

En plus de ces critères de rigueur méthodologique, des considérations éthiques ont été respectées. À cet égard, les aspects déontologiques et éthiques de la recherche ont été approuvés par le Comité d’éthique de la recherche de la Faculté des arts et des sciences (CERFAS) de

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l’Université de Montréal. Ainsi, nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour que la recherche n’ait pas d’impacts négatifs pour les participants. Nous avons également obtenu le consentement des participants aux entrevues et celui du Conseil d’administration du comité logement pour les observations en compagnie du comité.

Pour ce faire, un formulaire de consentement approuvé par le CERFAS a été présenté à chaque participant afin de respecter les principes d’éthique et afin d'obtenir leur consentement pour la tenue de l’entretien et pour son enregistrement audio. Tous les formulaires de consentement comprennent une section dans laquelle nous nous engagions à préserver l’anonymat de tous les participants aux entretiens et aux observations. Tout au long de la recherche, les données n’ont été accessibles qu’au doctorant et à sa directrice de recherche. Les enregistrements et leur transcription ainsi que les données d’observation du journal de bord seront détruits dans les délais prescrits et, pendant l’étude, ils ont été conservés sous clé dans un endroit sécuritaire et à la discrétion du chercheur. Afin de garantir l’anonymat des participants, toutes les entrevues et les observations ont été codifiées par des chiffres et des lettres.

En outre, des critères d’ordre relationnel ont été pris en compte : ils traduisent le caractère « dynamique, collaboratif et socioconstructiviste » de la recherche (Savoie-Zajc, 2011 : 142). Nous nous sommes assuré de prendre en compte tous les points de vue, correspondant aux « différentes voix » des participants, ce qui respecte le critère d’équilibre (Manning, 1997). Aussi, nous nous sommes préoccupé de savoir quels effets la recherche pouvait avoir pour les participants. En ce sens, on peut affirmer que les quatre critères d’authenticité (Lincoln, 1995, Manning, 1997) ont été respectés. En effet, les interprétations et les résultats de la recherche ont permis aux participants de : 1) élargir leurs connaissances sur la problématique du logement (authenticité ontologique); 2) comparer leurs points de vue respectifs à celui des autres (authenticité éducative); 3) faire des apprentissages et des outils conceptuels (authenticité catalytique); pour 4) passer à l’action dans leur propre réalité (authenticité tactique).

Chapitre 5 – La situation montréalaise et laurentienne du