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L’analyse des données : entre interprétation analytique et reconstruction

Chapitre 4 – Pour une sociologie interprétative des inégalités de logement : bases

4.2 La démarche de la recherche

4.2.3 L’analyse des données : entre interprétation analytique et reconstruction

Notre conception d’une démarche ethnographique et phénoménologique a également orienté la façon dont nous avons analysé les données pour répondre à la question de recherche. Nous nous sommes inspiré des travaux de Demazière et Dubar (1997), qui dégagent trois postures à prendre face aux discours des acteurs : illustrative, restitutive ou analytique. Ces postures se distinguent épistémologiquement face à la question de « la valeur et de la place à accorder à la parole des gens » par rapport à celle du chercheur (Demazière et Dubar, 1997 : 16). La première posture, « illustrative », s’inscrit dans une démarche explicative où « la parole des gens », comme disent les auteurs, est mise au service des démonstrations du chercheur, car

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c’est lui qui donne sens au discours des acteurs, cette parole étant utilisée pour appuyer, confirmer, illustrer la pertinence du propos du chercheur et de son hypothèse explicative.

Afin de respecter notre démarche, qui cherche à relever l’expérience, nous avons adopté dans un premier temps, la deuxième posture, « restitutive » où le chercheur sert de porte-parole pour faire entendre le discours des acteurs. Puis, dans un deuxième temps, nous avons opté pour la posture « analytique », en mobilisant notre cadre théorique pour interpréter les données. Les prochaines sections expliquent davantage notre démarche analytique.

4.2.3.1 Objectif 1 : L’expérience du logement, une posture restitutive

L’analyse de l’expérience du logement des locataires vise à répondre à notre premier objectif de recherche : décrire les expériences de logement telles que vécues individuellement par des locataires. Pour ce faire, nous avons adopté une approche inductive et émergente pour l’analyse des données, inspirée par la théorisation ancrée (Corbin et Strauss, 2008; Glaser et Strauss, 1967), qualifiée par Demazière et Dubar (1997) de posture restitutive. Concrètement, après avoir nous-même transcrit les entrevues, nous avons d’abord effectué une première lecture de celles-ci. À partir du discours des locataires rencontrés, des informations ont été relevées et classées en trois dimensions de l’expérience du logement : financière, interactionnelle ou relationnelle et spatiale. Nous avons par la suite codé les données, à l’aide du logiciel Atlas-TI, en assignant les discours à chacune de ces trois catégories. Ce sont les catégories les plus générales que nous avons dégagées pour commencer le travail d’analyse, ce que Paillé et Mucchielli (2012) nomment les lectures et relectures phénoménologisantes.

Par la suite, dans un deuxième niveau d’analyse, des catégories émergentes ont été conçues afin de classer l’expérience du logement. Pour chaque énoncé nouveau et pertinent, une nouvelle catégorie a été créée. Les énoncés que nous estimions pertinents devaient nous ramener à nos objectifs de recherche (Rudin et Rudin, 2012). Nous nous posions la question suivante : la thématique de l’énoncé permet-elle de répondre à notre question et d’atteindre nos objectifs ?

Ces deux premières étapes visent à condenser les données, c’est-à-dire qu'elles visent à conserver celles pertinentes pour l’analyse et à les organiser. Afin d’organiser ces catégories, nous avons constitué un arbre thématique que nous bonifions chaque fois qu’une nouvelle catégorie apparaissait. Après une première constitution de l’arbre, nous avons par la suite reconsidéré les données et nous avons recodé les entrevues en fonction de l’arbre en assignant une catégorie aux énoncés. Plusieurs tentatives de schématisation des catégories obtenues et d’organisation sous forme d’arbre ont été effectuées selon une démarche itérative dont le but était d’établir des liens entre les catégories et de théoriser progressivement le phénomène étudié (Paillé, 1994).

À la suite de l’analyse des entrevues, ce sont les données d’observation qui ont été analysées. Tout d’abord, à l’aide de notre journal de bord et des notes de terrain, nous avons reconstruit les séances, les visites et les rencontres observées en racontant ce qui s’est déroulé de manière narrative. Ces informations ont été soumises à la même procédure d’analyse que les entrevues afin de trianguler les données et de compléter le processus de catégorisation et de théorisation. Ces étapes ont permis de reconstruire les histoires des participants, qui constituaient des représentations biographiques, en représentations scientifiques, pour utiliser la proposition de Becker (2002). Quoique reliées à des individus et à des parcours ou à des trajectoires qui sont uniques, ces histoires sont racontées à partir des processus de l’expérience (Desmond, 2014). Nous avons séparées ces histoires en fonction des trois dimensions de l’expérience du logement (financière, interactionnelle et spatiale) au sein desquelles les processus sont présentés.

4.2.3.2 Objectif 2 : L’analyse phénoménologique des rapports sociaux inégalitaires, la posture analytique

Ensuite, afin de répondre à notre deuxième objectif de recherche qui est de dégager les analyses des rapports sociaux inégalitaires qui traversent les expériences de logement des locataires, nous avons analysé les données à partir des propositions théoriques. Le corpus discursif à analyser était constitué de l’ensemble des citations des entrevues ainsi que des données d’observation consignées en forme narrative. Ainsi, l’analyse de l’expérience des

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locataires a permis de condenser le corpus des données et d’organiser ces dernières en fonction des trois épreuves induites des premières lectures du corpus. Ce sont ces récits d’expériences regroupés en épreuve qui faisaient l’objet de l’analyse. Nous cherchions à relever, dans ces récits d’expérience, comment les rapports sociaux inégalitaires étaient évoqués, analysés et/ou rapportés Pour cette étape, nous avons pris comme point de départ les trois processus de production de rapports sociaux inégalitaires : 1) l’appropriation par autrui de la capacité de produire et de reproduire (l’exploitation), 2) l’appropriation monopoliste de territoires et de ressources (l’exclusion et la ségrégation) et 3) l’appropriation par autrui de la capacité de réfléchir et de décider (la domination et la violence symbolique) présentés dans le cadre théorique afin d’interpréter l’expérience du logement comme lieu de rapports sociaux inégalitaires.

Ainsi, nous avons codé nos données une deuxième fois, en assignant un ou plusieurs rapports aux citations qui composaient les différentes dimensions de l’expérience. Cette codification nous a permis de créer un autre corpus, mais cette fois-ci divisé selon les rapports sociaux inégalitaires. À partir des discours des entretiens et à partir des observations, nous avons relevé comment le discours des locataires sur leur expérience du logement est traversé, voire même construit, par les rapports sociaux inégalitaires.