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Chapitre 4 – Pour une sociologie interprétative des inégalités de logement : bases

4.2 La démarche de la recherche

4.2.2 La collecte de récits d’expérience

4.2.2.1 L’observation participante

Pour relever des récits d’expérience, l’objectif des activités d’observation était d’accéder au savoir des locataires, à leurs analyses et non à des pratiques et/ou des interactions sociales, ou à la vie en train de se vivre. Pour ce faire, nous avons, en collaboration avec le comité logement, choisi de privilégier deux types de situations : a) des visites de logements et b) des visites de locataires au local du comité logement. Chacune de ces situations à l’étude respectait les critères développés par Laperrière (2000), c’est-à-dire que ces situations étaient accessibles, délimitables et récurrentes. En outre, elles mettaient en scène des acteurs qui étaient susceptibles de parler de problèmes vécus en rapport avec leur logement, c’est-à-dire des récits d’expérience.

En effet, nos activités d'observation ne nous amenaient/obligeaient pas à être présent lors des interactions de logement, mais bien à être présent lorsque les locataires parlaient de leur(s) situation(s). Ces actions d’observation se transformaient en occasion d’effectuer des entrevues

in situ, ou selon Rubin et Rubin (2012) des « conversations impromptues ». Pour colliger ces

récits, les grilles d’observations ne nous paraissaient pas adaptées à ce type de collecte. Celui- ci requiert une consignation souple, permettant de laisser toute la place à l’expérience. Nous avons plutôt pris des notes sur ces récits que nous avons retranscrits dans un journal de bord, et ce, immédiatement après nos rencontres. Le journal de bord visait à raconter la « petite histoire » de l’activité de recherche. Nous y avons consigné le déroulement de l’activité, les conditions, les citations marquantes, les moments forts, les résumés de discussions, les remarques sur le déroulement et des courtes analyses. Nous avons intégré les énoncés et analyses des locataires au journal et nous avons consigné les données dans un seul support. Ce journal de bord est un document important non seulement pour consigner des notes de terrain, des descriptions détaillées et contextualisées de ce qui s’est passé, et des idées analytiques, mais aussi pour

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assurer la crédibilité de interprétations. Aussi nous y reviendrons dans la section 4.3. Par ailleurs, le degré de participation de notre observation était moyen, se situant davantage du côté de l’observation que de la participation. En utilisant la typologie de Adler et Adler (1987)26 nous avons pris un rôle périphérique-actif, c’est-à-dire entre l’observateur plus distant qui ne participe pas aux activités, surtout en relation avec les locataires, et l’observateur impliqué dans les activités du groupe, dans le cas de notre relation avec le comité logement. Ces rencontres ont permis de construire, petit à petit, les canevas d’entretien pour les observations, mais également pour les entretiens. Les questions que nous avons posées aux locataires les amenaient à analyser leur expérience de logement à partir de leur possible (in)satisfaction.

Les visites de logements, qui visaient à informer les locataires sur l’existence du comité logement dans certains secteurs de l’arrondissement et de prendre note des problèmes de salubrité qui seraient vécus (l’activité s’inscrivant dans la participation du comité logement au projet de revitalisation urbaine intégrée de la Place Benoit), nous permettaient de visiter des appartements, mais surtout de questionner les locataires sur leur situation à partir de cas réels et visibles. Nous avons développé une grille (semblable à la grille d’entretien) afin d’orienter les discussions et qui visait à recueillir des récits d’expérience (voir l’annexe A). Il y a eu trois grands moments de collecte de récits lors de visites de logement. Tout d’abord, au printemps 2013, en mars et en avril, nous avons visité des logements dans trois secteurs de Saint-Laurent, dans le cadre d’une intervention post-extermination. Par la suite, nous avons effectué une deuxième tournée afin d’informer les locataires de Place Benoit du rôle du comité logement. Finalement, le troisième moment correspond à notre visite de janvier 2014 lorsque des locataires se sont plaints du manque de chauffage dans leur immeuble. Nous en avons profité pour les questionner sur l’ensemble de leur situation. Ces visites, quoiqu’éclairantes, n’ont pas été effectuées dans plusieurs types de logement, mais dans des immeubles de plus de cinq logements avec aires communes (espaces de rangement et buanderies, par exemple). De plus, les logements visités appartenaient à des propriétaires « professionnels » ou des compagnies, ce qui signifie que les locataires devaient faire affaire avec des représentants gestionnaires et/ou des concierges qui ne sont pas propriétaires. En outre, les locataires rencontrés vivaient tous des problèmes de

salubrité, ce qui donnait une dimension particulière aux observations. Chaque visite pouvait durer entre dix ou quarante minutes et nous permettait d’aborder des thématiques également présentes dans d’autres moments de la collecte. Pendant ces visites, nous avons rencontré 28 ménages pour un total de 32 locataires. La moitié était des ménages immigrants (provenant d’une pluralité de pays, avec une majorité importante de participants d’origine marocaine), tout comme à Saint-Laurent en général. Les locataires rencontrés n’étaient pas engagés dans une démarche afin de changer leur situation. Par ailleurs, leurs situations de logement étaient assez variées puisqu’il y avait une diversification importante des types de ménages, mais également des années passées dans leur logement. Nous avons effectué ces observations de janvier à juillet 2013 (voir l’Annexe B).

L’autre activité d’observation visant à recueillir des récits nous demandait d’être présent dans les locaux du comité logement afin de profiter des visites impromptues ou des rencontres de locataires avec l’intervenante, ce que nous avons désigné comme des « rencontres d’accueil des locataires ». Les comités logement proposent des heures durant lesquelles ils accueillent des locataires ayant des questions ou des problèmes en relation avec la question du logement. Ces rencontres peuvent par exemple servir à conseiller ou à orienter un locataire ou à l’aider à remplir une demande de logement social, par exemple. Les locataires, dans ces moments-là, expliquent leur situation, voire effectuent une analyse de leur situation lorsqu’ils présentent leurs problèmes au comité. Nous considérons que cela représente une occasion de relever des analyses de leur expérience de logement. Chacune des évocations d’analyse de situations de locataires a été consignée. En effet, nous racontions dans le journal de bord comment le locataire analysait ses problèmes de logement. Nous avons été présent dans les bureaux du comité à l’hiver 2013 et à l’hiver 2014. Ces observations constituaient en quelque sorte le début et la fin de notre collecte de données. Le tableau des observations des rencontres d’accueil est consigné à l’Annexe C et montre que nous avons, à travers près d’une trentaine de journées passées au comité et plus de 50 heures d’observations de rencontres, eu accès à plus de 80 ménages locataires qui ont raconté leur histoire. De plus, le tableau démontre également la diversification des locataires rencontrés. En effet, quoique la majorité de ceux-ci étaient des immigrants, les profils migratoires ainsi que les situations de logement sont diversifiées. En outre, les secteurs à forte proportion de locataires de Saint-Laurent sont représentés, notamment à Place Benoit,

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Chameran, Norgate et Du Collège. Ces locataires ont tout de même un profil particulier : ils vivent des problèmes de logement assez grave pour consulter le comité logement et à cet égard, ils sont en situation de vulnérabilité. Toutefois, ces situations ne sont pas nécessairement liées à la précarité de l’espace du logement mais peuvent aussi être liées aux relations avec leur propriétaire ou leurs voisins. Pendant les observations, nous ne prenions que des notes limitées sur les données sociodémographiques et, par conséquent, le portrait des participants (voir les tableaux 4.1 et 4.2) ne présente que des éléments liés au ménage, au type de logement, à l’âge et au statut migratoire.