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Cadre d’analyse: des épreuves de logement à l’expérience des inégalités

Chapitre 3 –L’étude de l’expérience des inégalités

3.3 Cadre d’analyse: des épreuves de logement à l’expérience des inégalités

Le logement apparait comme un élément structurant de l’expérience humaine à travers trois dimensions selon van der Klis et Karsten (2009) : sa dimension matérielle, sa dimension d’utilité ou d’usage et sa dimension sociale. Nous avons présenté le logement comme un fait social total (Mauss, 2007 [1925]). Effectivement, le logement est une expérience qui est partagée (et vécue) par tous, même ceux qui en sont privés. Pour répondre à notre premier objectif de décrire le vécu du logement tel qu’exprimé par les locataires eux-mêmes, nous avons recours à quatre notions : les parcours de logement des locataires, les situations vécues, leur expérience de ces situations et, dans ce contexte, les épreuves auxquelles ils font face. La présente section vise à présenter comment ces notions s’articulent dans l’analyse et permettent de répondre au deuxième objectif (dégager les inégalités sociales du logement qui traversent les comptes rendus de leurs expériences).

Le point de départ de notre recherche se situe dans les situations de logement à travers les parcours de logement des locataires, c’est-à-dire toute situation rapportée par les locataires, dans leurs récits de logement, comme ayant été vécue. Vivre avec des punaises, vivre la cueillette de paniers de banque alimentaire afin de payer le loyer ou partager des repas avec une voisine représentent des situations vécues de logement. À cet égard, toute situation qui est reliée

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au vécu du logement, dans les dimensions que nous avons présentées plus tôt, est considérée comme une situation de logement. Les récits de logement, comme nous le verrons dans le prochain chapitre, se construisent à partir des représentations des locataires lorsqu’ils viennent parler d’une situation auprès des intervenants dans le domaine du logement, ou dans des entretiens portant de façon plus globale sur leur parcours de logement.

En outre, nous avons soutenu que ces situations de logement sont éprouvées et ces

épreuves émergent dans des situations récurrentes qui représentent des enjeux pour les

locataires. À cet égard, si les situations spécifiques vécues peuvent différer dans le temps, dans l’espace et entre les locataires, elles se tissent ensemble dans une expérience globale donnant lieu à des épreuves aussi partagées, ce qui constitue l’expérience. Effectivement, notre recherche a permis de dégager des situations récurrentes (par exemple, payer le loyer) donnant lieu à des épreuves que nous avons classées en trois catégories (distinguées pour des motifs analytiques, mais imbriquées dans le vécu) : des épreuves relationnelle, financière et spatiale23. Ainsi, « payer son loyer » constitue une situation de logement simple et récurrente, mais qui peut engager plusieurs épreuves : financière (le paiement); relationnelle (en rapport avec le propriétaire, une compagnie de gestion, ou le concierge) et spatiale (s’il faut se déplacer pour faire le paiement ou accueillir la personne qui collecte le loyer). Ces épreuves peuvent représenter des défis individuels pour les locataires, et en le faisant, elles construisent et différencient l’expérience globale du logement, selon la façon dont elles ont été éprouvées (voir la figure 3.1).

Les expériences individuelles du logement sont « situées », puisque chaque logement constitue un espace social donné, dans lequel évoluent des relations et des transactions entre un ensemble d’acteurs donné. Ainsi, les expériences se distinguent par des déménagements ou par des changements importants dans la manière d’éprouver son logement. En effet, les changements dans la composition du ménage ou les changements dans le rapport à la propriété sont des exemples de transformation de l’expérience du logement. La suite de ces expériences,

23 Le chapitre méthodologique détaillera la démarche analytique nous ayant mené à utiliser ces trois épreuves.

où les locataires apprennent sur et se positionnent face à ces situations vécues, compose le parcours du logement d’une personne. Ce parcours donne ainsi lieu à des expériences, qui seront analysées en tant qu’épreuves et qui relient l’individu et la société.

Ensuite, de la description de ces épreuves, dégagées de l’analyse des expériences des locataires, nous chercherons à faire ressortir les inégalités du logement qui structurent l’expérience. Nous relèverons l’expérience des rapports sociaux inégalitaires présents dans les récits de ces mêmes épreuves du logement, et ce, en fonction des trois grands rapports que nous avons définis sur le plan théorique plus tôt dans ce chapitre : l’exploitation, ou l’appropriation d’une partie de la production des locataires pour la location; la ségrégation et l’exclusion, ou l’enfermement dans des espaces (urbains ou intimes) ou des identités; la violence symbolique, ou l’appropriation de la capacité de réfléchir et de faire des choix résidentiels. Les épreuves constituant des défis à être surmontés par les locataires, elles mettent en œuvrent des rapports inégaux à travers des interactions sociales qui façonnent les épreuves.

Figure 3.1 L’articulation des notions et concepts et les étapes de la démarche analytique

La situation montréalaise et laurentienne du logement Situations vécues

Expérience de logement Expérience de logement Expérience de logement

É pr eu ve s fi na nc re s É pr eu ve s re lat ion ne lle s É pr eu ve s sp at ial es Parcours de logement Rapports sociaux inégalitaires d’appropriation Exploitation Exclusion/ségrégation Violence symbolique

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Toutefois, il nous apparait important, et conséquent avec notre approche, que nous contextualisions cette expérience des rapports sociaux inégalitaires dans le logement en présentant les grandes caractéristiques du logement montréalais. Plus qu’une simple description d’un cas, nous nous inspirons de la notion de « définition de la situation » proposée par Thomas (1923) afin de présenter certains éléments qui encadrent l’expérience du logement (sans la déterminer). En effet, la géographie, le cadre bâti, les politiques d’habitation et les politiques économiques représentent des éléments qui contribuent à la définition des situations de logement par les locataires. Ainsi, avant de décrire les épreuves et d'analyser l’expérience des inégalités, nous présenterons les bases qui pourraient servir de repères aux locataires lorsqu’ils définissent leur situation, constituée d’épreuves et d’expériences.

Chapitre 4 – Pour une sociologie interprétative des