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Chapitre 3 –L’étude de l’expérience des inégalités

3.2 Les rapports sociaux inégalitaires

3.2.2 Les interactions et la production des rapports sociaux inégalitaires

3.2.2.1 L’exploitation

Le premier rapport, l’exploitation, fait référence implicitement à l’appropriation des rapports de production et de la force de travail et la question qui le sous-tend est la suivante : quels rapports sociaux empêchent une personne (ou un groupe de personnes) de contrôler ses

20 Cette conceptualisation des rapports sociaux inégalitaires provient également du cours de Christopher McAll au département de sociologie de l’Université de Montréal intitulé SOL6857

activités économiques et sociales et de profiter des revenus qu’il contribue à créer?21 Quels rapports permettent l’appropriation, même en partie, de la production d’un individu ou d’un groupe d’individus? Ce type de questionnement s’inspire directement des travaux de Marx (2010 [1867]) sur les classes sociales, qui sont essentiellement basés sur les rapports (ou même relations) de production. Selon Wright (2005), l’approche des classes sociales et des rapports de classe de Marx se caractérise par le concept d’exploitation, qui permet d’expliquer les inégalités inhérentes aux rapports de production ou aux positions de classes. Chez Marx, l’exploitation représente l’écart entre la valeur d'échange de la force de travail (salaire), qui revient au salarié, et sa valeur d'usage (ce qu'il produit), qui appartient à l'employeur. En ce sens, le salaire masque l’exploitation parce que le travailleur est « compensé » pour sa force de travail, mais pas au même niveau que la valeur de ce qu’il produit. Ici, les différences entre les individus deviennent des inégalités parce que cette différence se construit à partir de l’appropriation de l’activité productive. Chez Weber, toutefois, l'exploitation réside dans les moyens mis en place pour que ceux qui possèdent les moyens de production, mais également la propriété, les conservent. L’exploitation est liée à l’exercice du pouvoir qui accorde des ressources à certains et non à d’autres, donc au travail d’appropriation de ces ressources (McAll, 1990). Les différences proviennent donc de l’appropriation du pouvoir liée aux moyens de production.

L’utilité du concept d’exploitation pour notre démarche est qu’il permet de se tourner vers la question de « l’appropriation » selon trois principes interreliés : l’exploitation se base sur (1) l’interdépendance du bien-être, signifiant que le bien-être matériel des exploitants dépend de la privation matérielle des exploités; cette interdépendance amène (2) l’exclusion des exploités dans l’accès aux ressources productives; et finalement cela permet (3) l’appropriation de la force de travail des exploités par l’exploitant (Wright, 2005 : 23). À cet égard, l’exploitation renvoie à l’instrumentalisation des capacités de production d’un individu au profit d’un autre individu sans que d’autres alternatives se présentent à la victime de l’exploitation qui perd tout droit sur les profits futurs de sa production (reproduction). Elle se met donc en œuvre

21 Personne ne contrôle totalement ses activités ni ne jouit totalement de ses revenus. Tout est une question de rapport : certaines personnes sont davantage contraintes.

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à travers les interactions. En résumé, l’exploitation est le procédé par lequel les inégalités de revenus se transforment en inégalités de droits et de pouvoirs (Wright, 2005, Weber, 1971) et permet d’illustrer ce que l’on entend par des rapports sociaux qui empêchent de contrôler ses activités économiques.

Pour notre recherche, cette précision est d’une grande utilité parce qu’elle permet l’application du concept d’exploitation à tous les rapports sociaux dans tous les domaines, notamment ceux existant dans le logement et l’habitation. Par exemple, dans le marché du logement locatif, les propriétaires ne s’approprient pas la force de production des locataires. Toutefois, le logement constitue la dépense la plus importante des budgets des ménages et la location ne permet pas de réinvestir cette dépense comme dans le cas des propriétaires. En outre, même pour les propriétaires ayant des prêts hypothécaires, les dépenses de logement représentent des dépenses en quelque sorte incontrôlables puisqu’ils ne contrôlent pas l’évolution des taux d’intérêts et, au bout de vingt-cinq ans de remboursement hypothécaire, ils auront déboursé plus de la moitié de la valeur originale de l’immeuble en intérêts. Dans les deux cas, une autre instance s’approprie une partie des revenus des ménages sans même qu’il y ait violence ou coercition. En revanche, dans le cas du marché locatif, la situation du locataire est plus précaire, c’est l’exploitation de sa situation et de ses revenus par le propriétaire qui permet à l’institution financière détenant le prêt hypothécaire de s’approprier les revenus du logement. Un propriétaire averti refilera la facture de son « exploitation », les intérêts du prêt, au locataire et s’assurera que la force locative (la production redonnée pour se loger : le loyer) soit plus élevée que la valeur du logement. En ce sens, l’accès à la propriété, et en particulier pour les immeubles à revenus, confère des droits et des pouvoirs qui sont réservés au propriétaire. Tout comme le salaire le fait dans la perspective de Marx, le loyer cache l’exploitation qu’elle contient parce qu’une contrepartie est proposée. L’exploitation dans ce sens se situe dans l’écart entre le prix du loyer et du coût, pour le propriétaire, de possession du logement. Afin de tirer un avantage financier, le propriétaire doit contrôler les coûts et parfois cela signifie laisser de côté la qualité. L’exploitation, comme rapport social inégalitaire qui s’approprie tant la production que les revenus de cette production, pave la voie à d’autres rapports sociaux tout aussi importants et interreliés.