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4.2 Des composants aux multiples comportements plastiques

4.2.2 Plasticité synaptique « hebbienne »

Les comportements plastiques décrits dans la partie4.2.1demeurent d’un intérêt limité en termes de capacités de traitement de l’information, notamment en l’absence de comportements additionnels, tels que des effets hebbiens. Ces derniers permettent en effet des apprentissages basés sur les coïncidences entre signaux d’entrée et signaux de sortie, comme par exemple les comportements de type Spike-Timing Dependent Plasticity présentés dans les chapitres précédents.

Dans les systèmes biologiques, les événements présynaptiques et postynaptiques sont défi-nis de manière univoque en raison du caractère intrinsèquement unidirectionnel des méca-nismes biochimiques ayant lieu au sein des connexions synaptiques. Les cellules électrochi-miques métalliques étudiées constituent quant à elles des connexions bidirectionnelles, ce qui nécessite de pouvoir différencier autrement les interactions entre événements présynaptiques et événements postsynaptiques. Une stratégie envisageable à l’échelle du système repose sur l’hypothèse d’être en mesure de contraindre la distance temporelle minimaleδthebbentre deux événements synaptiques de même nature. Ceci peut par exemple être réalisé en imposant une période réfractaire de durée ad hoc à l’échelle des neurones. Seule une interaction entre un neu-rone présynaptique et un neuneu-rone postsynaptique est alors en mesure de produire une paire d’impulsions séparées par une duréeδt inférieure à δthebb.

4.2.2.1 Résultats expérimentaux

Dans cette partie, nous présentons des résultats expérimentaux qui démontrent que les cel-lules électrochimiques métalliques Ag2S disposent, outre les comportements plastiques décrits précédemment, d’une forme de plasticité supplémentaire qu’il est possible d’utiliser pour met-tre en œuvre un apprentissage de type hebbien. En adoptant la stratégie présentée ci-dessus, ces nanocomposants permettent d’obtenir de façon intrinsèque un comportement plastique de type Spike-Timing Dependent Plasticity, basé sur la distance temporelle entre impulsions présynaptique et postsynaptique. La règle de type Spike-Timing Dependent Plasticity obtenue est symétrique, ne distinguant pas les paires d’impulsions causales de celles d’événements anti-causaux. Ce type de comportement plastique a également été observé en biologie, au sein du système GABAergiqueIdes neurones de l’hippocampe263.

Les échantillons sont soumis à des impulsions de tension toutes identiques (0,4 V durant 50µs)II. Le protocole expérimental est analogue à celui présenté à la partie4.2.1.2, si ce n’est que les stimulations sont désormais constituées d’un train à fréquence fixe de paires d’impul-sions séparées par une duréeδt. Différentes fréquences de trains de paires, ainsi que plusieurs

distances temporellesδt entre les impulsions d’une paire sont étudiées.

I. Lié à l’acide gamma-aminobutyrique (GABA), qui est un neurotransmetteur. 263. L. F. AB B OT Tet S. B. NE L S O N, Nature Neuroscience, 2000.

II. Pour un échantillon donné, les impulsions sont toutes appliquées sur la même électrode. Ceci est équivalent à un cas réaliste dans lequel certaines de ces impulsions sont appliquées sur l’autre électrode, avec une polarité opposée.

La conductance atteinte à l’issue d’un train de paires d’impulsions est notée Gfinalet illustre la potentialisation synaptique, tandis que G100 sdésigne la conductance mesurée 100 s après l’arrêt des stimulations. Le rapport G100 s/Gfinalconstitue une mesure de la rétention synaptique à long terme. La figure4.5montre une augmentation de ces deux quantités lorsque la distance temporelleδt entre les impulsions d’une même paire est inférieure à la centaine de

micro-secondes. Cet effet est d’autant plus marqué que la distance temporelleδt décroît jusqu’à 50 µs,

constituant ainsi une forme de Spike-Timing Dependent Plasticity. Des expériences témoins, de stimulation par un train d’impulsions non appairées, sont représentées à l’aide de disques verts sur ces mêmes figures. Elles montrent quant à elles une potentialisation modérée (Gfinal de l’ordre du millisiemens seulement) et une rétention à long terme très faible (G100 s/Gfinal proche de zéro). Les distances temporellesδt inférieures à 50 µs correspondent à des situations

de superposition des impulsions de tension : le doublement de tension qui en résulte tend à potentialiser fortement et à long terme les cellules mémoires électrochimiques, comme le montrent les symboles carrés sur les figures4.5(a) et (b).

(a) (b)

Train d'impulsions

non appairées

2 kHz 5 kHz

Trains de paires

δt [s] δt [s]

FI G U R E4.5 – Évolutions (a) de la potentialisation Gfinalà l’issue d’un train de paires d’impul-sions et (b) de la rétention après 100 s en fonction de la distance temporelleδt

entre les deux impulsions d’une même paire, mettant en évidence un comporte-ment plastique additionnel aux temps courts. Les symboles sont les résultats des mesures, tandis que les lignes en trait plein correspondent aux ajustements du modèle présenté ci-après (V2). Deux fréquences de trains d’impulsions sont présentées : 2 kHz (

) et 5 kHz (N). Des points de mesures analogues aux expéri-ences précédentes sont également ajoutés (

). Les couleurs d’arrière-fond corres-pondent aux différents régimes : superposition des impulsions (cyan), similaire aux précédentes expériences aux temps longs (rose) et nouveau aux temps courts (blanc). Source : adapté d’une figure de S. LABA R B E R A.

4.2.2.2 Extension du modèle précédent

Le modèle constitué des équations (4.2) à (4.4), qualifié de V1 sur les figures, ne permet pas de reproduire le comportement observé à la figure4.5pour les distances temporellesδt

infé-rieures à 100µs. Nous allons voir comment modifier ces équations pour obtenir une nouvelle version du modèle (V2 sur les figures), capable de mieux décrire le nouveau comportement plastique découvert pour les délais courts.

Adoptons l’idée de ne plus considérer nécessairement indépendants de la distance tem-porelleδt les paramètres A (la conductance d’une cellule totalement potentialisée) et U (qui

module l’incrément de potentialisation apporté par une impulsion). Au contraire, pour cha-cune des distances temporellesδt étudiées expérimentalement, ajustons numériquement ces

paramètres A et U avec les points de mesures. Les figures4.6(a) et (b) montrent le résultat de ces ajustements sur les données présentées à la figure4.5(trains de paires d’impulsions à une fréquence de 2 ou 5 kHz). Pour des distances temporellesδt comprises entre 50 et 100 µs,

l’accroissement de la potentialisation et de la rétention observé lorsqueδt diminue peut être

modélisé par un accroissement analogue des paramètres A et U . Par ailleurs, dans le cas de valeurs deδt inférieures à 50 µs, il est considéré que les paramètres A et U sont de valeur

cons-tante en raison de la superposition des impulsions de tension, qui tend à faire saturer les cellules électrochimiques métalliques.

La conductance d’une cellule totalement potentialisée A (exprimée ci-après en siemens), est désormais décrite par une fonction continue affine par morceaux

A(δt) =          3,4 × 10−3 siδt < 50 µs, σA× δt + bA si 50µs ≤ δt < 100 µs, 2,7 × 10−3 sinon, (4.5)

avecσA= −18 S·s−1et bA= 4,32 × 10−3S. Par ailleurs, la modulation de l’incrément de poten-tialisation d’une impulsion U (sans unité) est désormais modélisée par un plateau suivi d’une décroissance exponentielle U (δt) =    85 × 10−3 siδt < 50 µs, σU× exp³−δtτU´+U sinon, (4.6)

avecσU= 271,7 × 10−3,τU= 34,1 µs et U= 2,67 × 10−3. Ces modélisations sont tracées en trait plein et en pointillé sur les figures4.6(a) et (b).

Le nouveau modèle est ainsi composé des précédentes équations (4.2) à (4.4), dans lesquel-les sont réinjectées lesquel-les équations (4.5) et (4.6). Les traits pleins de la figure4.5montrent que ce modèle améliore sensiblement la description qualitative de la potentialisation et de la rétention à long terme induites par des paires d’impulsions de faible distance temporelleδt, en

δt [s]

(a) (b) δt [s]

FI G U R E4.6 – Évolution des paramètres A (a) et U (b) du modèle, ajustés sur les expériences de stimulation par des trains de paires d’impulsions, en fonction de la distance temporelleδt entre deux impulsions d’une même paire. Les symboles sont les

résultats des mesures, tandis que les lignes en trait plein sont le modèle moyen adopté. Les couleurs d’arrière-fond correspondent aux différents régimes : su-perposition des impulsions (cyan), similaires aux précédentes expériences aux temps longs (rose) et de type Spike-Timing Dependent Plasticity aux temps courts (blanc). Source : adapté d’une figure de S. LABA R B E R A.

le cas de paires à 2 kHz (traits pleins rouges) de celui de paires à 5 kHz (traits pleins bleus), là où les relevés expérimentaux indiquent une différence quantitative. Ceci suggère l’existence dans les expériences précédentes d’une dépendance des paramètres synaptiques A et U à la fréquence des trains d’impulsions non appairées, qui n’aurait pas été observée en raison de la forte variabilité des caractéristiques de commutation entre les différents échantillons, tandis que les conséquences de cette dépendance se trouveraient exacerbées aux faibles distances temporelles entre impulsions. Néanmoins, en attendant de mieux comprendre les sources de la forte variabilité entre échantillons, ce qui permettrait d’affiner le modèle que nous venons de présenter, par exemple en adoptant une approche partant d’une modélisation physique de la commutation, nous utiliserons la description qualitative du modèle développé dans cette partie pour illustrer dans la suite du chapitre l’intérêt des cellules électrochimiques métalliques comme synapses artificielles.

4.2.2.3 Hypothèse sur l’origine de ce comportement additionnel

Plusieurs hypothèses sont envisageables pour expliquer l’existence de ce comportement plastique de type Spike-Timing Dependent Plasticity au sein des cellules électrochimiques mé-talliques Ag2S.

Différents régimes de relaxation ? La première possibilité est une relaxation non linéaire, telle que récemment proposée par DUet coll.131pour des cellules mémoires à base d’oxydes de métaux de transition, selon laquelle la dynamique de relaxation de la conductance est modulée

par une seconde variable d’état. Les auteurs proposent ainsi un modèle mémristif du second or-dre dans lequel les deux variables d’état retenues sont dotées de constantes de temps différentes pour associer les effets à court et à long terme aux multiples dynamiques ioniques internes qui peuvent exister au sein de cette famille de nanocomposants mémristifs. Cette modélisation a notamment permis d’expliquer les effets de plasticité à court terme et de type Spike-Timing

De-pendent Plasticity sans superposition des impulsions de tension observés expérimentalement

au sein de cellules mémoires utilisant une couche intermédiaire faite d’oxyde de tungstène. Dans le cas des cellules électrochimiques métalliques Ag2S, des mesures de la relaxation de conductance au cours du temps ont été réalisées, de 500 ns à 100 s après la fin de la stimulation. À l’issue de ces mesures, la présence de plusieurs régimes de relaxation n’a pas été observée, ce qui suggère que l’origine des multiples comportements plastiques présentés auparavant est à trouver ailleurs.

Effet de la température ? Une seconde origine possible des effets plastiques observés dans le cas d’impulsions rapprochées est la dissipation thermique liée à un échauffement de la cellule mémoire programmée. Une seconde impulsion rapprochée pourrait bénéficier d’un échauffe-ment local de la région du filaéchauffe-ment concerné, ce qui permettrait d’accroître l’effet potentialisant de cette deuxième impulsion.

Afin d’évaluer les effets de la température sur le comportement plastique des cellules élec-trochimiques métalliques Ag2S, de nouvelles mesures avec des trains de paires d’impulsions ont été réalisées sur des échantillons portés à une température de 420 K. Ces expériences ont permis d’observer une nette augmentation de la potentialisation maximale et de la rétention à long terme des cellules mémoires par rapport aux expériences précédentes effectuées à tem-pérature ambiante. Dans le cas d’une situation à 300 K, l’accroissement des paramètres A et U lorsque l’intervalle temporelδt entre impulsions d’une même paire diminue pourrait ainsi être

la signature d’une température locale plus élevée lorsque la seconde impulsion est appliquée. Si ces expériences ne sont pas suffisantes pour attribuer de manière exclusive une nature ther-mique aux effets d’interaction entre impulsions rapprochées, elles suggèrent néanmoins que la température y joue un rôle.