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Comparaison avec les jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin . 155

4.3 Preuve de concept d’un apprentissage

4.4.1 Comparaison avec les jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin . 155

L’usage synaptique des cellules électrochimiques métalliques Ag2S se révèle assez différent de celui des jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin étudié au chapitre3, chacune de ces familles de nanocomposants présentant ses avantages et ses inconvénients.

Des états de résistance extrêmes différents. En termes de rapport ROFF/RONentre la valeur de résistance à l’état OFF et celle à l’état ON, l’avantage est nettement aux cellules électro-chimiques métalliques Ag2S, puisqu’il est de trois ordres de grandeur même au sein des com-posants académiques étudiés dans ce chapitre, alors qu’il peine à dépasser quelques fois l’unité dans les meilleures jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin. Par ailleurs, l’état OFF des premières est de meilleure qualité puisque leur résistance y est de plusieurs centaines de kiloohms voire du mégaohm, contre quelques dizaines de kiloohms tout au plus pour les com-posants spintroniques. Ces deux caractéristiques font à priori des cellules électrochimiques métalliques Ag2S des bons candidats pour une matrice synaptique sans composants de sélec-tion (structure de type « 1R »), là où une étude plus approfondie des problématiques au niveau circuit pourrait révéler la nécessité d’ajouter des composants de sélection dans une matrice de synapses exploitant des jonctions tunnel magnétiques (structure de type « 1T-1R »), notamment lorsque les dimensions de cette dernière deviennent importantes. Toutefois, l’usage binaire des jonctions tunnel magnétiques proposé au chapitre3permet d’utiliser des circuits de lec-ture spécialisés190capables de distinguer aisément l’état synaptique malgré le faible rapport

ROFF/RON, là où l’usage analogique des cellules électrochimiques métalliques est davantage exposé au bruit et à la variabilité entre composants. Il est cependant à noter que l’utilisation d’une architecture neuromorphique permet dans les deux cas d’être tolérant à des niveaux significatifs de variabilité entre composants.

Énergie consommée. En termes de consommation énergétique des composants synaptiquesI, l’avantage semble pour le moment aux composants spintroniques : avec les paramètres utilisés pour le chapitre3, un événement de programmation d’une jonction magnétique requiert une énergie de l’ordre du picojoule, tandis que dans le cas des cellules électrochimiques métalliques Ag2S étudiées, cette énergie est typiquement de l’ordre de la centaine de picojoules voire du nanojoule. En effet, bien que les amplitudes des impulsions de tension et les états de plus faible résistance soient de valeurs similaires, les composants filamentaires souffrent d’une durée d’im-pulsion supérieure de trois ordres de grandeur à celle des composants spintroniques. En outre, en séparant les phases d’écriture de celles de lecture à l’aide de circuits de lecture spécialisés

190. W. S. ZH AOet coll., IEEE Transactions on Magnetics, 2009.

I. Les valeurs sont calculées en considérant uniquement les synapses, c’est-à-dire en faisant abstraction des possibles circuits de contrôle externes.

qui utilisent des impulsions d’amplitude réduite, les jonctions tunnel magnétiques permettent possiblement de réduire encore davantage la consommation associée aux phases d’inférenceI, là où les cellules électrochimiques métalliques Ag2S utilisent des impulsions identiques durant les deux types de phase.

Une différence d’approche à propos de la Spike-Timing Dependent Plasticity. Dans les deux cas, le schéma d’apprentissage de type Spike-Timing Dependent Plasticity adopté est original en comparaison de la règle d’évolution généralement recherchée avec d’autres nanocomposants de la littérature120. Les caractéristiques de la règle retenue et sa mise en œuvre diffèrent néan-moins sensiblement entre les cellules électrochimiques métalliques du présent chapitre et les jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin.

Dans le cas des composants d’électronique de spin, l’apprentissage reste contrôlé par un ensemble de circuits externes aux synapses, à priori dans une technologie CMOS. Un exemple de tel circuit est celui chargé de définir le caractère causal ou non de l’association d’un événe-ment postsynaptique et d’une impulsion présynaptique, en fonction d’une fenêtre temporelle qui dépend de l’application visée. Seul l’aspect probabiliste des phases de programmation, nécessaire pour pallier le caractère binaire des synapses en question, bénéficie des propriétés intrinsèques des nanocomposants. Ceci n’est cependant pas négligeable puisque le recours à des circuits CMOS pour générer des nombres aléatoires demeure une solution coûteuse en surface de silicium, comme nous avons par exemple pu le constater dans le cas de la puce TrueNorth13.

En ce qui concerne les cellules électrochimiques métalliques, une différence majeure est le caractère symétrique de la règle d’apprentissage. Une impulsion présynaptique peut avoir le même effet sur le comportement plastique qu’une impulsion postsynaptique, ce qui autorise une stratégie d’apprentissage reposant davantage sur la notion de proximité temporelle des impulsions appliquées sur une même synapse plutôt que l’existence d’une causalité entre ces événements. Ceci permet d’utiliser uniquement des impulsions électriques identiques de forme d’onde rectangulaire, ce qui simplifie les circuits électroniques associés. L’obtention d’un ap-prentissage hebbien, c’est-à-dire reposant sur une activation jointe de l’entrée présynaptique

et de la sortie postsynaptique, requiert toutefois de pouvoir distinguer les deux types

d’événe-ments. Dans ce chapitre, nous avons ainsi proposé une solution à l’échelle du système, au travers de la limitation en fréquence des entrées présynaptiques, qui permet de séparer ar-tificiellement les paires d’impulsions pertinentes de la simple succession d’événements de même nature. Dans la pratique, cette approche suppose la bonne adéquation de la dynamique des entrées présynaptiques aux échelles de temps des cellules électrochimiques métalliques employées comme synapses, et à défaut le recours à une étape de prétraitement des signaux d’entrée.

I. À condition de montrer que la consommation du circuit de lecture ad hoc ne vient pas réduire à néant les gains obtenus.

4.4.2 Bilan et perspectives

Un apprentissage résultant de l’interaction de plusieurs mécanismes de plasticité synap-tique. Ce chapitre a permis de présenter les différents mécanismes plastiques coexistant dans des cellules électrochimiques métalliques Ag2S fabriquées et caractérisées par nos collabora-teurs de l’Institut d’Électronique, de Microélectronique et de Nanotechnologie de l’Université de Lille I. En sus d’une forme de plasticité non hebbienne et d’une transition d’un régime de rétention à court terme vers un régime à plus long terme, nous avons observé avec nos collabo-rateurs l’existence d’un comportement additionnel de type Spike-Timing Dependent Plasticity au sein de ces composants mémristifs.

L’extension du modèle d’évolution de la conductance précédemment développé par nos collaborateurs nous a permis de mieux comprendre comment ces différentes plasticités et leur interaction pouvaient être exploitées dans le cadre d’un usage synaptique pour des systèmes neuromorphiques. Des simulations fonctionnelles d’un système de taille modeste utilisant ces composants comme synapses analogiques artificielles ont permis d’obtenir une preuve de concept d’un apprentissage reposant sur l’interaction de ces différents mécanismes plastiques. Le fait d’utiliser des comportements internes aux éléments synaptiques permet notamment de réduire significativement la complexité des circuits externes de programmation ou de contrôle associés.

Par ailleurs, les premières études réalisées montrent qu’un tel système ne voit pas ses per-formances s’écrouler en présence de bruit sur les entrées présynaptiques ou de variabilité entre les éléments synaptiques.

Pas de panique, il reste des choses à faire. Les résultats précédents encouragent à poursuivre ces travaux sur un usage synaptique des cellules électrochimiques métalliques qui exploitent les multiples comportements plastiques offerts ces composants.

Dans le domaine de la fabrication, se pose notamment la question de l’ingénierie de leurs caractéristiques pertinentes pour concevoir un système neuromorphique. En particulier la pos-sibilité de moduler les échelles de temps auxquelles ils réagissent. Un certain contrôle de la transition d’une rétention à court terme vers une rétention à plus long terme est possible en jouant sur le courant utilisé lors de l’étape de formation133, mais pouvoir ajuster les caractéris-tiques du comportement de type Spike-Timing Dependent Plasticity, qui semble être au moins en partie d’origine thermique, pourrait par exemple nécessiter d’optimiser la structure même de la cellule, à la manière de ce qui est fait pour les cellules mémoires à changement de phase (dont la transition repose sur un phénomène thermique). La mise au point d’un nouveau mo-dèle analytique du comportement de ces composants, partant de la physique de ces derniers, pourrait être un point de départ pour mener à bien cette étude.

À l’échelle d’un système, il serait bien entendu intéressant d’entreprendre l’étude de sys-tèmes de plus grandes dimensions, ce qui permettrait d’évaluer les effets de la variabilité entre composants ou encore du bruit dans un cadre plus réaliste, notamment en termes d’effets de

redondance entre composants synaptiques. Si d’un point de vue du simulateur développé pour les travaux du présent chapitre, ce passage à l’échelle ne pose pas d’autres problèmes que celui d’un allongement des durées de simulation, il risque néanmoins de nécessiter la mise au point d’un protocole d’évaluation des performances du système plus automatisé que celui utilisé pour le moment, les motifs appris devenant potentiellement plus complexes. Par ailleurs, il serait envisageable d’exploiter la flexibilité offerte par les simulations pour guider les travaux portant sur la fabrication des composants. Une étude visant à évaluer l’influence des différents paramètres synaptiques sur les capacités d’apprentissage d’un système complet pourrait par exemple permettre d’identifier les principaux paramètres qu’il serait utile de pouvoir moduler.

Usage synaptique de jonctions tunnel

magnétiques à transfert de spin :

réflexions à l’échelle du circuit

« Qui ne sait les détails ignore l’ensemble. »

Proverbe turc, rapporté par Charles CA H I E R

C

E C H A P I T R E explore des pistes de réflexion sur des problématiques spécifiques à l’échelle du circuit dans le cadre d’un usage synaptique des jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin. Ceci constitue une occasion d’évaluer la pertinence des stratégies retenues dans les chapitres précédents à l’échelle d’un système complet. Les réflexions présentées ci-après se focalisent sur le choix d’une stratégie de fonction-nement analogique ou numérique et du potentiel de passage à l’échelle associé. Sont abordées la phase de lecture liée à l’inférence, ainsi que la phase d’écriture mettant en œuvre la règle d’apprentissage. La motivation de ce chapitre est de permettre d’orien-ter une future étude à l’échelle du circuit plus approfondie, reposant sur l’utilisation d’outils de conception assistée par ordinateur, notamment de type SPICE. ”

5.1 Introduction

Quelques questions qui se posent à l’échelle du circuit. Les simulations fonctionnelles à l’échelle du système présentées dans les chapitres3et4nous ont permis de mettre en lumière l’intérêt des jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin et des cellules électrochimiques métalliques Ag2S comme synapses artificielles au sein d’une architecture neuro-inspirée. Elles ne tiennent néanmoins pas compte d’un certain nombre de problématiques, propres aux

cir-cuits électroniques nécessaires à la mise en œuvre des étapes de fonctionnement du système

complet.

Dans ce chapitre, nous réfléchissons sur la plausibilité du fonctionnement des systèmes précédemment étudiés, à l’échelle des circuits électroniques que ces derniers requièrent. Les conclusions de ce type d’étude peuvent sensiblement dépendre de la technologie des com-posants employés. Sachant que les cellules électrochimiques métalliques Ag2S du chapitre4 sont encore dans une phase de développement académique, nous nous focaliserons donc dans ce chapitre sur un système analogue à celui du chapitre3, exploitant des jonctions tunnel mag-nétiques à transfert de spin, des composants dont la maturité technologique et industrielle est désormais établie.

Le système étudié au chapitre3présente deux phases distinctes de fonctionnement, avec d’un côté une phase de lecture liée à l’inférence et de l’autre une phase d’écriture, où les élé-ments synaptiques sont programmés selon la règle d’apprentissage adoptée. Dans la suite de ce chapitre, nous étudierons ces deux phases indépendamment, en nous intéressant notamment à la façon dont le passage à l’échelle de la matrice synaptique affecte chacune d’entre elles. Nous observerons en particulier le rôle limitant de l’entrance et de la sortance des circuits neuronaux associés à chacune de ces phases.

Comme cela a été évoqué dans le chapitre1, en comparaison des autres technologies de mémoires résistives innovantes, les jonctions tunnel magnétiques présentent un faible rapport d’états de résistance ROFF/RON(il est à peine supérieur à deux avec les valeurs données dans la partie suivante). Il s’agit donc d’évaluer, du point de vue des circuits, les défis que pose ce faible écart entre les éléments synaptiques potentialisés et ceux déprimés.

Une problématique pour le moment ouverte et en partie liée au rapport ROFF/RONest le recours ou non à un composant de sélection pour chaque cellule mémoire de la matrice synap-tique. L’un des problèmes limitant les dimensions d’une matrice synaptique sans composant de sélection (structure 1R) sont les courants de fuite parasites234,265(sneak path currents en anglais) circulant à travers les points mémoires seulement sélectionnés à moitié. Il s’agit donc également de comparer les avantages et les inconvénients qu’il y a à ajouter un transistor de sélection aux cellules mémoires de la matrice synaptique (structure 1T-1R).

234. W. S. ZH AOet coll., IEEE Transactions on Nanotechnology, 2012.

Conditions de l’étude. Les réflexions de ce chapitre se placent majoritairement dans le cadre de la tâche présentée au chapitre3. Il s’agit d’un système constitué d’une matrice entièrement connectée de jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin, dont les impulsions émises par 2 × 128 × 128 entrées présynaptiques sont issues d’un enregistrement réalisé par une rétine neuromorphique de type Dynamic Vision Sensor62observant le passage de véhicules sur une autoroute.

Remarque

Une particularité notable des signaux d’entrée utilisés, liée au caractère asyn-chrone du capteur les ayant produites ainsi qu’à la précision temporelle de ce dernier (de l’ordre de la microseconde), est le fait que chaque impulsion présynaptique est dis-jointe des autres. Ceci signifie qu’une impulsion présynaptique est toujours appliquée seule, sur une unique ligne de la matrice d’éléments synaptiques.

Le modèle du comportement stochastique des jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin présenté au chapitre2a été adapté en Verilog-A par Nicolas LO C AT E L L II. Ce langage de description matérielle à temps continu permet la simulation de notre composant dans des circuits électriques à l’aide d’outils logiciels industriels de type SPICE (dans notre cas le simula-teur Spectre de Cadence Design Systems®). L’un des intérêts de telles simulations est de décrire de façon réaliste le comportement des transistors présents dans les circuits, en utilisant un kit de conception de procédés (PDKII) fourni par une entreprise de fonderie. Dans notre cas, le kit utilisé est celui d’un nœud 28 nm basse consommation d’un acteur majeur franco-italien de l’industrie des semi-conducteurs. En nous basant sur des simulations Spectre avec ce kit de conception de procédés, sous une tension d’alimentation Vdd= 1,2 V, des transistors dopés négativement (NMOS) et positivement (PMOS) de longueur de grille L = 30nm sont capables de conduire respectivement 1000 et 615 microampères par micromètre de largeur de grille (notée

W ).

Les jonctions tunnel magnétiques à transfert de spin simulées sont à aimantation per-pendiculaire, d’un diamètre de 32 nm. Leur résistance RONdans l’état magnétique parallèle (également notée RP) est de 6 kΩ. La magnétorésistance tunnel retenue étant quant à elle de 120 %, la résistance ROFFdans l’état antiparallèle (également notée RAP) est proche de 13 kΩ. Enfin, l’amplitude Ic0du courant critique est de l’ordre de 30µA.

Ce chapitre demeure une première étude visant à orienter une éventuelle étude plus ap-profondie sur les problèmes spécifiques à l’échelle du circuit. Il s’agit notamment d’évaluer rapidement, par exemple par des calculs d’ordre de grandeur, la plausibilité de certaines straté-gies envisagées dans les chapitres précédents, sans exclure la possibilité de remettre en cause ou d’adapter ces dernières.

62. P. LI C H T S T E I N E R, C. PO S C Het T. DE L B R Ü C K, IEEE Journal of Solid-State Circuits, 2008. I. À l’époque sous contrat post-doctoral dans l’équipe NA N OA RC H Idu laboratoire. II. De l’anglais Process Design Kit.