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De la place de la vannerie dans les sociétés rurales traditionnelles de Guyane

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 87-90)

La vannerie : l’artisanat masculin par excellence

Section 2- De la place de la vannerie dans les sociétés rurales traditionnelles de Guyane

Comme le montre les témoignages anciens, la vannerie était présente partout dans un village amérindien. On peut encore le constater de nos jours dans la plupart des foyers ayant gardé un tant soit peu d’activités traditionnelles. Lorsque l’on passe devant un carbet kali’na d’Awala-Yalimapo, de Terre-Rouge, de Bellevue ou de Christiankondre ont rencontrera bien quelque part une hotte en cloche pleine de fruits d’awara ou bien vide, renversée ou pendue à une poutrelle. Dans un carbet manioc45 palikur ont trouvera des tamis servant à préparer la farine destinée à confectionner le couac. De même tout foyer wayana, wayãpi ou teko possèdent des éventails à feu, des paniers ajourés, des presses à manioc ou autres paniers pour conserver les piments boucanés. Bref, les vanneries sont partout dans la vie quotidienne des Amérindiens. Lorsque l’on séjourne dans un de leur village, voir un homme tresser une vannerie devant son foyer ou bien lors d’une réunion de boisson est chose courante, surtout en saison des pluies.

Dans les sociétés rurales créoles et marronnes, la vannerie tenait également une place importante, essentiellement comme pourvoyeuse d’outils liés au transport et à la transformation du manioc. Mais on tressait aussi des chapeaux, des nasses ou des coffres pour conserver le linge. Cependant, chez ces populations, la vannerie n’a jamais eu l’importance culturelle qu’elle revêt chez les ethnies amérindiennes. Et, à part pour quelques formes, la vannerie créole et maronne doit beaucoup à des emprunts faits aux Amérindiens. De plus, comme on le montrera tout au long de ce travail, la pratique de la vannerie créole ou maronne devient aujourd’hui très marginale.

Les vanneries sont avant tout des outils domestiques. Si, aujourd’hui, certaines vanneries ne sont plus utilisées que commercialement, comme nous le verrons dans la troisième partie, elles étaient toutes à l’origine utilisées domestiquement. En effet, avant l’apparition des objets manufacturés occidentaux, les Amérindiens fabriquaient l’intégralité de leurs outils avec des matériaux tirés de leur environnement. Les Amérindiens

45 Le carbet à manioc comporte la platine qui est une plaque de métal circulaire posée sur trois pierres sous laquelle on allume le feu de bois pour y cuire la galette de manioc. Avant qu’elle soit remplacée par de la fonte, cette platine était en terre cuite, de dimension très inférieure. Sa présence dans un site archéologique indique la culture du manioc.

précolombiens des basses terres tropicales ne connaissant pas la métallurgie, leur outillage était composé de roches et de minéraux polis mais aussi de matériaux tirés du monde animal et végétal. Les dents, os, griffes, carapaces étaient autant utiles pour trancher que pour percer, raboter ou tuer. Mais les végétaux ont servi et servent toujours à fabriquer des outils et des machines, que ce soit pour transporter, presser, tamiser, éventer, piéger ou conserver. Les vanneries sont ainsi depuis des lustres des outils essentiels pour maintes activités de production des populations amérindiennes puis marronnes et créoles rurales, chaque forme étant utilisée pour des fonctions bien précises.

Les vanneries sont majoritairement destinées à la cuisine et au rangement. Les paniers et coffrets de formes et de tailles diverses servent à ranger les parures de plumes, le coton, le piment et autres matériaux. Mais des vanneries sont également utilisées pour des fonctions rituelles et cérémonielles. Néanmoins, l’usage majoritaire est indubitablement celui nécessaire à la transformation du tubercule de manioc.

2-1 Vanneries et manioc

Le manioc est fondamental dans l’alimentation des sociétés forestières de Guyane. Cet arbuste de la famille des Euphorbiacées comprend deux grandes formes, le manioc doux nommé cramanioc en Guyane et le manioc amer46, ces deux formes faisant partie d’une même espèce Manihot esculenta Crantz. C’est la forme amère qui est majoritairement cultivée et consommée en Guyane et spécialement chez les Amérindiens. De par son apport important en carbohydrates, sa grande productivité, sa facilité de culture, sa résistance aux agents pathogènes (McKey et Beckerman, 1993) et ses plus grandes capacités de conservation (Mowat, 1989; Dufour, 1993) le manioc amer constitue une ressource alimentaire de choix. Il contient beaucoup plus de calories par hectare que le maïs par exemple (Mowat, 1989). Ses qualités organoleptiques et le grand nombre de recettes réalisables avec cette variété sont aussi des facteurs non négligeables dans les choix de consommation comme le montre l’étude de Dufour (1993) chez les Tukano. Et, comme l’explique Françoise Grenand (1993), les aspects économiques, culturels et sociaux sont tout aussi déterminants dans le choix de cette racine comme aliment de base.

46 La distinction entre manioc doux et manioc amer est basée sur la concentration des deux tubercules en cyanure hydrolysable. C’est Koch (cité dans Dufour, 1993) qui a établi le premier un barème : au dessus de 100 ppm de cyanure hydrolysable, par racine pelée, le manioc est dit amer et en dessous de ce chiffre, le manioc est dit doux.

Ce tubercule domestiqué est cultivé depuis des millénaires en Amazonie. La plus ancienne trace archéologique de culture du manioc a été retrouvée dans le bassin de l’Orénoque et date de 2000 ans BC (Mowat, 1989). Il est extraordinaire que tant de sociétés aient basé leur régime alimentaire sur un tubercule contenant de l’acide prussique, poison mortel. Les populations amazoniennes mangeant le manioc amer sont parmi les seules au monde à avoir basées leur alimentation sur un aliment toxique (McKey et Beckerman, 1993;

Grenand, 1996a).

Ainsi, pour rendre comestible ce tubercule, les Amérindiens ont dû mettre au point tout au long de leur histoire des outils élaborés afin de le transformer en aliments divers et variés. Car c’est tout un ensemble de transformations qui contribue à la détoxication du tubercule. Comme le précise Roosevelt (1980), « the prussic acid produced by the oxidation of cyanogenic glucosides in manioc roots when they are harvested is extremely volatile and can be driven off by anyone of several simple method of treatments such as washing, sun drying, heating or fermentation”. D’autres de leur côté (Dole, 1960) pensent que la presse est surtout utile pour déshydrater la masse de manioc râpé et, comme Roosevelt (1980), que l’acide prussique volatile est surtout dégradé lors du chauffage ou de la fermentation.

Cependant Mc Key et al. (1993) montrent que le chauffage ne suffit pas à dégrader toutes les toxines. Ainsi c’est tout un processus, allant de la déshydratation au chauffage en passant par la fermentation, qui est nécessaire à la destruction des molécules toxiques. Mais la technique la plus efficace pour enlever les toxines reste bien l’essorage grâce à la presse à manioc (Grenand, 1996c; Carneiro, 2000).

Ce tubercule est hautement valorisé et présent tous les jours dans la vie des Amérindiens que ce soit sous formes de galette (cassave), de farine torréfiée (couac), de condiment (tukupi ou couabio), de boisson (cachiri), d’empois (takaka)47. Bien sûr, il existe pour chaque préparation de nombreuses recettes et chaque ethnie a ses variétés différentes.

Le couac peut être préparé avec de la masse râpée de manioc moins déshydratée avec un moindre danger pour la santé. Par contre, la cassave préparée avec une masse mal déshydratée peut être dangereuse car celle-ci est moins cuite que le couac. Le mauvais essorage est un facteur important dans la prévalence de goitre chez des populations ayant un déficit d’iode et ayant une mauvaise maîtrise du processus de détoxification du manioc amer (Jackson, 1993; Prinz, 1993). D’après Pierre Grenand (com. pers.) il existe une recrudescence

47 Françoise Grenand a écrit deux articles détaillant différentes préparations du manioc chez les Wayãpi (F.

Grenand, 1996 a et b, 2006), Daniel Schoepf a lui décrit la cuisine wayana (Schoepf, 1979), Eliane Camargo la bière wayana (2006). Pour la bière de manioc à l’échelle amazonienne on pourra se référer à l’ouvrage édité par P. Erikson (2006).

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