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Les corbeilles à farine

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 150-155)

Des techniques et des formes comme identité ethnique

Planche 10 Les corbeilles à farine

Planche 10 - Les corbeilles à farine

1) Pëmit wayana (25x25 cm), motif kaikui apoika et ilikaj, datant de 1937, collecté par de Goeje, n° 2352-64, Musée de Leiden

2) Panakali Wayãpi (30x30 cm), motif iwitaolape

3) Matutu kali’na (25 cm de diam.), datant d’avant 1883, motif indéterminé, n° 370-451, Musée de Leiden

utilisées à part chez quelques familles wayãpi de Trois-Sauts. Toutes ces formes sont de nos jours largement remplacées par des bassines en plastique achetées dans le commerce.

Les collections du musée du Quai Branly conserve un plat rond kali’na collecté au début du XXe siècle98 ; cette forme servant à recueillir la farine de manioc n’est plus connue aujourd’hui. Par contre, d’après Ahlbrinck ([1931] 1956), les Kali’na tressaient une corbeille à fond carré et corps cylindrique99 avec ou sans pieds, et décorée de très beaux motifs géométriques bicolores, nommée matutu. Le Musée de Leiden possède une belle collection de ces corbeilles de différentes tailles100. Certaines, de plus petite taille, devaient servir à d’autres usages, notamment à faire sécher la bourre de coton. Cette même corbeille sous forme de table est décrite par les voyageurs en Guyane, metoutou (Prudhomme, 1797), ou aux Antilles, matoutou (Breton, [1665] 1999 ; Caillé de Castre, [1694] 2002).

Les Créoles ont également tressé une vannerie ronde sans pieds imitant celle des Kali’na. Ils leur ont également emprunté le nom, matutu.

Les anciennes corbeilles à farine kali’na ou créole sont différentes de celles confectionnées par les Wayana, les Teko et les Wayãpi. En effet, ces dernières, de forme carrée possèdent un fond en deux nappes droites enchevêtrées croisées décoré de beaux motifs bicolores (alternant le noir et la couleur naturelle de l’arouman) et des bords nattés toilés. Je n’ai pas relevé l’usage de cette forme chez les Palikur ou les Arawak, mais Roth (1924) la décrit chez les Arawak et la nomme habba. Les Créoles et les Aluku utilisaient les paniers de type clayonnés pour cet usage.

Tableau 10 – Noms des corbeilles à farine

français créole arawak kali’na wayana teko wayãpi corbeille à farine matoutou habba matutu pëmit mbatutu panakali

J’ai observé son usage uniquement chez les Wayãpi qui sont les derniers à la tresser. Chez les Wayana et les Teko son abandon est toutefois récent101. Cette corbeille peut être avec ou sans pieds.

98 Ce plat rond, donné par S. Reist dans les années 1930, a été collecté chez les Kali’na français et conservé au Musée du Quai Branly sous le numéro 71.1933.176.15.

99 La vannerie nattée permet à partir d’un fond carré de tresser un corps en cylindre afin que la bouche soit ronde. Ce problème géométrique du cercle et du carré a intéressé les mathématiciens (Gerdes, 2000).

100 Celles collectées par les frères Penard en 1912 portent les numéros 1817-120, 121, 122, et par divers donateurs de la fin du XIXe siècle les n° 300-1208, 370-448, 370-450, 370-451, 39-74 et 75.

101 Un mbatutu teko a été collecté en 1991 pour le Musée des Cultures Guyanaises de Cayenne par E. Navet, n°91-6-15.

Le mbatutu teko était identique à celui des Wayãpi comme nous le confirme une photo102 de la mission Monteux-Richard de 1931 conservée au Musée du Quai Branly. Le terme mbatutu est à rapprocher du terme kali’na matutu, ce vocable se retrouvant dans différentes sources pour désigner différents objets. Je m’attarderai plus longuement sur ce terme plus bas.

Le pëmit wayana est différent. Il ne porte jamais de pieds. Le savoir-faire relatif à cette vannerie n’est conservé que par les anciens. C’est une vannerie en voie de disparition ; j’ai pu néanmoins suivre la chaîne opératoire de fabrication de cet objet en arouman. Il est décoré de motifs bicolores riches et variés. Il peut être aussi tressé en fibre de comou comme en témoigne un exemplaire collecté par D. Schoepf en 1991 et conservé au Musée des Cultures Guyanaises (n° 91-7-33). Les Apalai nomment cette vannerie põtë103.

Ces corbeilles, qu’elles soient teko, kali’na, wayana ou wayãpi étaient aussi utilisées par les femmes pour sécher leur coton. Les tamis et les nattes à cassave sont également employés pour cet usage.

Dans une grande partie de l’Amazonie, la forme ronde est dominante. En effet, on recueille la farine dans des plats ronds et richement décorés de motifs chez les Akawai, les Baniwa, les Curripaco-Kurrin, les Kayabi, les Panaré, les Piaroa, les Guahibo, les Tilio, les Tukano, les Yanomami, les Yawalapití, les Ye’kwana, les Warao….

1-1-4 Les éventails à feu

Ce sont des ustensiles encore très utilisés aujourd’hui dans toute la Guyane (cf.

planche 11). Ils servent à éventer le feu de cuisson ainsi qu’à retourner les cassaves cuisant sur la platine. Les Wayãpi, les Teko et les Wayana les emploient également pour y déposer les morceaux de cassave que les convives piocheront lors des repas.

La forme et la matière première constituent des critères pertinents pour déterminer l’origine de cette vannerie.

102 Cliché numéro 64.4188.493

103 Les Tilio nomment ipontë un baquet en feuilles de palmier (de Goeje, 1910), Frikel (1973) donne le terme de pantü.

Ainsi, elle peut être tressée en arouman comme chez les Wayana, les Palikur, les Créoles et les Aluku ou bien avec une flèche104 de palmier chez les Teko, Wayãpi, Kali’na et Arawak-Lokono. Notons que les Wayana connaissent aussi un éventail à feu nommé wawai en pousse de palmier counana (Astrocaryum paramaca). De même, les Aluku tressent aussi un faya waway en pousse d’awara (Astrocaryum vulgare), technique empruntée aux Kali’na.

Tableau 11 – Noms des éventails à feu dans les langues guyanaises

français aluku créole arawak palikur kali’na wayana teko wayãpi éventail à

feu

faya

waway walwari wari wari awagi woli woli anapamïi et

wawai tapekwa tapekwa

L’éventail créole, le walwari, est carré et tressé en arouman. Son nom provient du kali’na woli-woli105 ; par contre sa forme est plutôt d’origine palikur. On ne confectionne, de nos jours, d’éventails créoles que dans les bourgs de Kaw et Ouanary. Il est tressé en deux nappes enchevêtrées diagonales croisées et décoré, marqué comme on dit en créole, de motifs en carreaux (4, 6 ou 9 carreaux).

L’éventail aluku est quasiment identique à celui des Créoles. Il est carré, en arouman et fait, à l’instar des Créoles, suivant la technique à deux nappes diagonales enchevêtrées croisées et décoré de carreaux. Les Aluku tressent aussi un éventail avec la flèche de l’awara comme les Kali’na. Son nom, faya waway, provient de l’anglais fire « feu » et du karib waway, nom de l’éventail tilio en fibres de palmier. Dans leur livre sur l’art des Marrons, Price et Price (2005) rapportent qu’ils connaissaient plusieurs formes d’éventail.

Les Arawak confectionnent, eux aussi, plusieurs formes d’éventail à feu, toutes en pinnules d’awara. J’en ai recensé trois formes dont je n’ai pu recueillir le nom. Roth (1909, 1924) avait déjà décrit les même types d’éventail qu’il nommait « baiyari-shiri ou poisson scie », « marudi sararang ou bréchet du marail » et «duburi kaiasanna ou ouie de la raie ».

Le terme wari wari est un emprunt au karib, le terme purement arawak étant wadekuana, composé de wada, « mettre l’air en circulation » et kuana « qui fait », d’après Bennet (1989).

Mais ce terme n’est que rarement utilisé aujourd’hui, car comme je l’ai précisé au début, la langue arawak n’a pratiquement plus de locuteurs en Guyane.

104 La flèche ou pousse de palme donnera, une fois ouverte, la future palme. On remarquera la plupart du temps au sommet des palmiers cette flèche qui pointe. Ce sont les pinnules, autrement dit les divisions de la jeune palme, qui sont utilisées en vannerie.

105 Notons que woli signifie femme en kali’na.

Les Palikur connaissent trois formes différentes d’éventail à feu en arouman, awagi106. La forme la plus courante est carrée et nommée awagi nuibakup. Le bord supérieur, formant poignée, est soit consolidé par une hampe de roseau à flèche fendue et cousue à l’ouvrage, soit les brins sont tressés ensemble et retournés pour fermer la vannerie. Une forme plus rare nommée oreille de chauve souris (msibi ataybi), ou éventail à oreille (awagi ataybi) est parfois confectionnée. La forme est composée d’un carré surmonté de deux oreilles triangulaires sur la partie supérieure permettant la préhension. Un dernier modèle, rarement observé, a la forme d’un carré surmonté d’un triangle formant un pentagone, cet éventail est nommé awagi kiabumine107. Ces trois formes sont le plus souvent décorées de carrés formant des motifs portant différents noms comme « front de l’urubu » ou « carapace de tortue ».

Les Kali’na tressent tous leurs éventails avec des fibres de palmier awara (Astrocaryum vulgare) et plus rarement avec des fibres de muru-muru (Astrocaryum sciophilum). J’ai pu en recenser trois formes : deux trapézoïdales, nommés malay ipoburu (poitrine du marail108) et yaki tagiboteli (moustaches du poisson-chat yaki) ainsi qu’une autre, plus originale, en forme de spatule avec manche, nommée toripun.

Remarquons que tous ces termes servant à nommer l’éventail à feu, waway, walwari, wari wari, awagi, woli woli, connaissent une même racine d’origine karib.

L’éventail à feu wayana en arouman est rectangulaire. Huit tiges sont nécessaires pour sa confection. Une hampe florale de roseau à flèche (Gynerium sagittatum) fendue en deux consolide le bord.

Ils tressent également une forme avec des lames tirées de la jeune et souple hampe florale du roseau à flèche, pëleu. Elle est considérée comme plus solide mais est moins souvent tressée que celle en arouman, car elle nécessite, en effet plus de vingt hampes florales.

106 Nimuendaju (1926 : 35) en avait répertorié quatre formes, deux correspondant à celles que je nomme awagi nuibakup et awagi kiabumine, et deux autres tressées en palmier, une trapézoïdale et une en arc de cercle. Je n’ai jamais entendu parler de ces deux derniers modèles.

107 Un modèle de ce type est conservé au Musée des Cultures du Monde de Göteborg sous le numéro 26-3-360, il a été collecté chez les Indiens de la rivière Uaça, voisin des Palikur, par Curt Nimuendaju en 1925.

108 Le marail (Penelope marail, Cracideae) est un oiseau au poitrail rouge feu.

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