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Les trois piliers de la solidarité arabe

L’ÉMERGE DE LA SOLIDARITÉ ARABE ET SON INSTITUTIONNALISATION AU SEIN DE LA LIGUE DES ÉTATS ARABES

2.1 LA SOLIDARITÉ ARABE

2.1.2 Les trois piliers de la solidarité arabe

Le cadre théorique de la solidarité arabe a pour principale idée l’unité de l’Umma (nation) par la disparition des frontières, que l’on affirme comme étant artificielles, car dictées par les puissances coloniales. Rodinson soutient que la théorie fondamentale de la solidarité arabe tente de supprimer les patriotismes locaux afin de renforcer la solidarité des luttes des pays de la région, aux frontières récentes et fixées par les puissances colonisatrices : « Aux théories européennes sur la nation, elle emprunta la défense et l’illustration de la langue et de l’histoire communes plus que l’exaltation du lien territorial »198. En ce sens, « l’individu

196 RODINSON, Maxime, Les Arabes, p.97 197 ROGAN, Eugene, The Arabs : A History, p.277

est subordonné à la nation »199. On peut ainsi dire que « les théoriciens du nationalisme

arabe retiennent trois facteurs principaux qui définissent la « nation arabe ». Il s’agit de la langue arabe, de la religion islamique (pratique et culture) et des limites géographiques »200.

La langue arabe est perçue comme le socle de l’identité arabe par le bagage culturel commun que partage l’ensemble des populations du monde arabe. Pour Sati al-Housri, principal théoricien de l’arabisme, cette Nation, ou Umma est constituée de tous les Arabes. L’arabe devient donc le principal facteur d’unité :

Quiconque se rattache aux pays arabes et parle la langue arabe est un Arabe, quel que soit le nom de l’État dont il est officiellement un ressortissant et un citoyen, quelle que soit la religion qu’il professe, quelle que soit la doctrine à laquelle il appartient, quelles que soient son origine, sa filiation, l’histoire de sa famille… C’est un Arabe201.

Par le fait même, pour Michel Aflak, un des fondateurs du parti Baath (parti de la résurrection arabe et socialiste), les Arabes forment un seul peuple, uni à travers une langue, une culture et une histoire commune. C’est par cette union qu’il sera possible de « réintroduire l’homme arabe dans l’Histoire »202. Pourtant, Zakaria Abuhamdia observe

que l’arabe, comme tout langage, est marqué par une diversité linguistique notable, symptôme de divisions intellectuelles et sociales. Néanmoins, Abuhamadia soutient que l'arabe classique joue un rôle unificateur distinctif pour ses locuteurs natifs, idéologiquement fondé sur la foi, dans une mesure inégalée par toute autre langue vivante203.

En ce sens, Albert Hourani souligne que la langue arabe se retrouve aussi au cœur du deuxième facteur d’unité, soit la religion. En effet, dans l'histoire de l'Islam, et même dans sa structure essentielle, les Arabes occupent une place prépondérante. Ceci s’explique du

199 RODINSON, Maxime, Les Arabes, p.105

200 AOUN, Sami, La rupture libérale : Comprendre la fin des utopies en Islam, p.126

201 AL-HOUSRI, Sati, Al-‘Ouroûbah awwalan!, Beyrouth, 1961, p.11-13 dans Anouar Abdel- Malek, La pensée politique arabe contemporaine, Paris, Seuil, 1970, p.202

202 SAINT-PROT, Charles, « Arabes ! Unissons-nous, revivons libres et fiers ! », p.103 203 ABUHAMDIA, Zakaria, « Speech Diversity and Language Unity : Arabic as in Integrating

Factor », dans Giacomo Luciani et Ghassan Salamé (dir.), The Politics of Arab Integration, Croom Helm ltd., 1988, p.34

fait que le Coran est en arabe, le prophète Mahomet était un arabe et il a tout d’abord prêché aux Arabes. En fait, selon Hourani, les Arabes forment la « matière » de l’Islam. C’est-à-dire l’instrument humain à travers lequel se propage l’autorité de la révélation coranique. De ce fait, même si la solidarité arabe s’articule comme un mouvement laïc, l’arabe est synonyme de dévouement, théologie et de loi (Shari’a)204. Malgré tout, l’arabe

classique se présente comme un instrument voire un symbole d'appartenance commune fondée sur des racines historiques, culturelles et religieuses205.

Ensuite, dans sa description de la Umma, al-Housri soutient que les frontières à travers l’espace arabo-musulman sont artificielles. Ces frontières sont le résultat de traités ou d’accords conclus entre les puissances colonisatrices (l’accord Sykes-Picot ou la création de l’État d’Israël par exemple). En d’autres termes, le nationalisme arabe condamne les limites géographiques de l’État territorial national arabe, car elles ne sont pas issues de la volonté de leurs habitants ni des exigences naturelles :

Il en est de même des frontières qui séparent aujourd’hui les États arabes : elles n’ont pas été tracées en accord avec les intérêts de ces pays et de leurs habitants, mais plutôt au terme de longs marchandages et manœuvres qui se sont déroulés entre les États impérialistes, voulant garantir leurs propres intérêts206.

Ainsi, du cadre théorique de la solidarité arabe découle le projet politique panarabe qui a grandement chamboulé le paysage politique du monde arabe à partir de la deuxième moitié du XXe siècle. Dans l’après-Deuxième Guerre mondiale, la rhétorique du panarabisme recherche l’indépendance politique notamment par la suppression des conditions menant à la domination d’une élite coloniale sur le peuple. L’idéologie promulguée par le Parti Baath d’Aflak et al-Bitar ou par le Nassérisme fait preuve d’une volonté d’émancipation politique, mais aussi d’une émancipation économique par une transition vers un socialisme arabe. Ils

204 HOURANI, Albert, The Arabic Thought in the Liberal Age : 1798-1939, p.260

205 ABUHAMDIA, Zakaria, « Speech Diversity and Language Unity : Arabic as in Integrating Factor », p.51

206 AL-HOUSRI, Sati, Al-‘Ouroûbah awwalan!, Beyrouth, 1961, p.11-13 dans Anouar Abdel- Malek, La pensée politique arabe contemporaine, p.202

ont réussi à détruire la base économique de l'aristocratie terrienne et des grands industriels, à nationaliser les entreprises étrangères et à achever le processus d'indépendance politique207.

En réfléchissant à la trajectoire des idéaux et des objectifs du mouvement politique et économique soutenu par l’idée de la solidarité arabe, on observe le rôle d'un large éventail de forces qui ont influencé cette évolution. Par contre, la présence historique de puissances étrangères sur le territoire ainsi que l’insertion du monde arabe dans le système capitaliste mondiale semblent avoir exercé l’influence la plus profonde sur la notion d’unité de la nation arabe et donc sur l’idée de solidarité arabe208. Bref, peut-on dire que la solidarité

arabe se construit ou s’impose dans un contexte où les populations de l’espace arabo- musulman sont sérieusement prises par leur combat contre le colonialisme européen, à travers un « Nation building » prônant la mise en place de l’utopie de l’unité arabe209. Ce

contexte historique est fondamental à la compréhension de son influence sur l’espace arabo-musulman, car il a déterminé l’esprit et la trajectoire du mouvement d’intégration économique panarabe210.