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La pensée économique arabe au début du XXe siècle

L’ÉMERGE DE LA SOLIDARITÉ ARABE ET SON INSTITUTIONNALISATION AU SEIN DE LA LIGUE DES ÉTATS ARABES

2.2 LA PENSÉE ÉCONOMIQUE ET LA SOLIDARITÉ ARABE

2.2.1 La pensée économique arabe au début du XXe siècle

La pensée économique au Moyen-Orient est souvent sous-évaluée. Pourtant, des penseurs comme Ibn Khaldoun (1332-1406) occupe une place importante dans l’histoire de la pensée économique. Dans son œuvre centrale, la Muqaddimah, Ibn Khaldoun développe une analyse économique complexe qui propose des développements théoriques sur plusieurs

207 ALNASRAWI, Abbas, Arab Nationalism, Oil, and the Political Economy of Dependency, p.37 208 ALNASAWI, Abbas, « Economic Integration : A Missing Dimension of Arab Nationalism », p.

288

209 AOUN, Sami, La rupture libérale : Comprendre la fin des utopies en Islam, p117

210 HOURANI, Albert, The Arabic Thought in the Liberal Age :1798-1939, Oxford University Press, 1970, p.291

niveaux (théorie de la valeur, théorie de la consommation, de la demande et de l’utilité) qui seront retouché plus tard par des penseurs classiques tels qu’Adam Smith, David Ricardo, Thomas Malthus, Karl Marx etc211.

Par contre, la majorité de la littérature sur la pensée économique au Moyen-Orient s’intéresse plutôt sur le rôle de l’islam dans l’élaboration d’un cadre théorique économique212. On peut voir émerger l’idée d’un homo islamicus qui s’oppose à l’homo

economicus développé à partir du cadre théorique néoclassique. L’homo islamicus renonce volontairement aux tentations de gains immédiats parce que, ce faisant, il peut protéger et promouvoir les intérêts de ses semblables contrairement à l’homo economicus néoclassique qui est par définition égocentrique et avide. En termes de normes de production, l’homo islamicus est libre de produire et de commercer pour son profit personnel mais en exerçant cette liberté, les individus ne doivent pas nuire aux autres. Il doit aussi s'abstenir de gagner plus que ses efforts justifient, ainsi il doit payer des salaires équitables, facturer des prix raisonnables et se contenter de profits normaux. Il ne doit pas s'engager dans la spéculation, la monopolisation ou la conclusion de contrats d'assurance susceptibles d'engendrer de l'incertitude et de l'exploitation. Au cœur de cette idée d’homo islamicus se trouve le zakât. L’un des cinq piliers de l’islam, le zakât est une forme d’impôt213 perçu par l’État qui

211 SPENGLER, Joseph J., « Economic Thought in Islam : Ibn Khaldoun », Comparative Studies in Society and History, vol. 6, n°3, 1964

212 Plusieurs textes sont particulièrement intéressants sur ce sujet : GHAZANFAR, S. et ISLAHI A., « Economic Thought of Arabic Scholastic; Abu Hamid al- Ghazali », History of Political Economy, vol.22, n°2, 1990, KURAN, T., « The Economic System in Contemporary Islamic Thought: Interpretation and Assessment », International Journal of Middle East Studies, Vol. 18, No. 2, 1986, p. 135-164, KURAN, T., « Islamic Economics and the Islamic sub- economy », The Journal of Economic Perspectives, Vol.9, No.4, 1995, p 155-173, KURAN, T., « The Genesis of Islamic Economics: A Chapter in the Politics of Muslim Identity », Social research , Vol. 64, No. 2, 1997, p.301-338, ROSSER, J., « Belief: Its Role in Economic Thought and Action », The American Journal of Economics and Sociology, Vol.52, No.3, 1993, p.355-368,
 WEISS, D., « Ibn Khaldun on Economic Transformation », International Journal of Middle East Studies, Vol.27, No.1, 1995, p.29-37 


213 Traditionnellement, on peut distinguer deux catégories principales d'exploitation qui seraient

soumises au zakat : les métaux précieux et un cheptel. Par contre, à partir de 1990, on soumet au zakat certains types de bénéfices, de revenus de dividendes et d'actifs tels que de la machinerie, des maisons et des hôtels selon certaines conditions.

assure une redistribution de la richesse avec objectifs de réduire les inégalités et de servir de régime d'assurance sociale légitime afin d’atténuer les fluctuations des revenus214.

Cependant, dans le cadre de ce mémoire, l’analyse cherche plutôt à établir les bases d’un cadre théorique économique arabe, qui se définit par son caractère irréligieux. C’est-à-dire que ce chapitre cherche à établir l’ascendance des concepts centraux à la solidarité arabe sur l’évolution de la pensée économique arabe à partir du XXe siècle. En effet, l’émancipation économique est un aspect fondamental de la solidarité arabe. Cette émancipation économique se construit comme un élément essentiel de l’indépendance de la nation arabe face à la domination des puissances impériales. Par contre, mis à part le désir d’émancipation politique des puissances impérialistes, les nationalistes arabes du début du XXe siècle ont eu tendance à ignorer la dimension économique dans leur mouvement215.

Cette situation s’explique par certaines dynamiques.

Premièrement, comme mentionnée précédemment, l’idée d’une plus grande solidarité arabe émerge face à la domination ottomane puis européenne de l’espace arabo-musulman. Dans leur volonté d’indépendance face à l’Empire ottoman, la première génération de nationalistes arabes fut grandement influencée par les idées européennes. En ce sens, Hourani affirme que les idées politiques ainsi que les institutions de l’Europe de l’Ouest semblaient être non seulement la base de la puissance d’un État, mais aussi les meilleures en elle-même216. De ce fait, en général, il a été tenu pour acquis que l’idéal de la société

libérale européenne et de ses institutions (économie de marché, propriété privée, etc.) devrait être compris dans la construction d’un État-nation arabe. Ainsi, il existait un croisement des intérêts entre certains nationalistes arabes et les puissances européennes217.

Deuxièmement, paradoxalement au premier point soulevé, plusieurs grands théoriciens du nationalisme arabe semblent ignorer la dimension économique. En ce sens, Sati al-Housri

214 KURAN, T., « The Economic System in Contemporary Islamic Thought : Interpretation and

Assessment », International Journal of Middle East Studies, vol.18, n°2, 1986, p.135-164 215 ALNASRAWI, Abbas, Arab Nationalism, Oil, and the Political Economy of Dependency, p.41 216 HOURANI, Albert, The Arabic Thought in the Liberal Age : 1798-1939, p.298

va jusqu’à renier l’importance de l’aspect économique dans l’évolution du nationalisme arabe. En fait, il soutient que de considérer les intérêts économiques comme base du nationalisme arabe est contraire à toute forme d’intelligence et de logique218. Dans le même

ordre d’idée, Abdel Rahman al-Bazzaz, qui fut secrétaire général de l’OPEP, affirme qu’il est possible pour un nationalisme de germer chez un peuple conscient de l’existence nationale, de leur langue nationale ainsi que de valeurs spirituelles qui leur sont transmises par une histoire commune, et ce, sans une unité économique matérialiste pour souder le groupe219.

Bref, après une analyse exhaustive de la pensée économique arabe moderne, Mahmoud Abdel-Fadil affirme que les économistes arabes ont échoué dans la production contribuant à l’analyse théorique220. Ce manque de littérature peut être lié au fait qu’avant la période de

décolonisation suivant la Deuxième Guerre mondiale, les États arabes n’étaient pas en mesure de mettre de l’avant une politique économique indépendante, car les différentes politiques, économique entre autres, étaient directement déterminées par la puissance coloniale ou bien par le régime mis en place par ladite métropole221. De plus, la bourgeoisie

nationale au pouvoir voit une certaine affinité avec les intérêts des puissances coloniales, donc l’insertion dans un système à saveur mercantile, de façon à amalgamer leurs intérêts économiques et commerciaux avec les dynamiques du capitalisme international222. Bref, le

mouvement panarabe du début du XXe siècle est marqué par la faiblesse de son apport à la pensée économique arabe contemporaine.