• Aucun résultat trouvé

L’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole

LA GÉOPOLITIQUE DE L’INTÉGRATION ARABE : LES INSTITUTIONS ALTERNATIVES

3.2 LES INSTITUTIONS AU CŒUR D’UN SYSTÈME D’INFLUENCE ALTERNATIF

3.2.1 L’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole

Même si l’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole (OPEP) n’est pas une institution panislamiste par définition, elle joue un rôle important dans la construction de l’esprit de corps que les pays producteurs de pétrole du CCG désirent projeter. Par le fait même, il devient essentiel d’inclure l’OPEP dans l’analyse d’une diplomatie voire d’un cadre institutionnel « rival » à celui que propose la LÉA. Ainsi, suite à sa création, l’OPEP devient un outil institutionnel parallèle à la Ligue des États arabes, à travers lequel les pays arabes producteurs de pétrole soutiennent l’idée de l’utilisation des revenus pétroliers pour soutenir la solidarité arabe, donc l’émancipation politique et économique de la région. En effet, L’OPEP présente une opportunité de démontrer un leadership régional dans

l’opposition aux puissances colonisatrices lors de la période de nationalisation. De plus, l’organisation cristallise les structures rentières des États membres du CCG suite à l’instrumentalisation du pétrole comme outil politique dans la foulée du choc pétrolier de 1973.

L’OPEP est créée à Bagdad en 1960 sous l’impulsion du Venezuela, de l’Arabie Saoudite, de l’Irak, de l’Iran et du Koweït. La création de l’organisation s’inscrit dans l’ambition d’une amélioration des bénéfices reçus par ses membres grâce à l’exploitation des hydrocarbures par des compagnies pétrolières étrangères. En fait, la création de l’OPEP s’inscrit dans une double dynamique. D’une part, à cette époque, les théories économiques dominantes soulignent le sous-développement structurel dans un système international d’échanges dominé par les puissances économiques occidentales. De ce fait, la vague du nationalisme économique touche l’ensemble du Tiers-Monde ainsi que l’espace arabo- musulman. D’autre part, durant les années 1950, les compagnies pétrolières réduisirent unilatéralement les prix du pétrole moyen-oriental de façon à s’assurer qu’il pénètre le marché mondial. C’est pourquoi les années 1960 et 1970 furent le théâtre d’une vague de nationalisation.

Au début du XXe, à court de ressources financières, les dirigeants locaux vendirent les droits d’exploitation à des compagnies britanniques et américaines qui elles, assumaient les risques liés à la prospection. En échange d’un paiement de redevances, les compagnies pétrolières étrangères reçoivent un contrôle total sur la production ainsi que sur la mise en marché du pétrole arabe307. En 1959, la pétrolière britannique British Petroleum (BP)

décide unilatéralement d’une baisse des prix du baril de l’ordre de 10 %, notamment dû à l’excès de pétrole soviétique sur le marché. Étant donné que les revenus des pétrolières, mais principalement des gouvernements locaux, sont basés sur les prix affichés du pétrole, cette décision unilatérale fut synonyme d’une baisse équivalente de 10 % des budgets nationaux des États producteurs de pétrole. De plus, en 1960, la Standard Oil of New Jersey répète ce type de décision unilatérale en annonçant une baisse du prix affiché de 7 %308. De

307 ROGAN, Eugene, The Arabs : A History, p.356 308 ROGAN, Eugene, The Arabs : A History, p.358

ce fait, les économistes arabes seront amenés à analyser la légitimité du système de redevances ainsi que la possibilité d’une restructuration ou même d’une nationalisation des pétrolières309.

Par conséquent, le tournant des années 1970 fut marqué par une baisse de la part des bénéfices empochés par les pétrolières en faveur des États producteurs de pétrole, notamment avec l’Accord de Téhéran (Iran, Irak et Arabie Saoudite). Cet accord prévoyait une division 55-45 en faveur des pays producteurs ainsi qu’une hausse de 0,35 $ du prix affiché du pétrole. D’ailleurs, dans les années 1970, la nationalisation échelonnée de la compagnie pétrolière Aramco (Arabian American Oil Company) fut l’emblème de cette vague de nationalisme des ressources. Ce fut la fin de l'époque des barons pétroliers occidentaux et le début de l'âge des Cheikhs de l’or noir310. La plupart des pays producteurs

de pétrole réussirent « à prendre le contrôle de l’exploitation du pétrole, soit en nationalisant, soit en rachetant les compagnies qui en avaient la charge »311. Dans un tel

contexte, l’OPEP devient un outil institutionnel parallèle à la Ligue des États arabes, à travers lequel les pays arabes producteurs de pétrole exprimèrent l’idée de l’utilisation des revenus pétroliers pour soutenir la solidarité arabe, donc l’émancipation politique et économique de la région. L’exemple ultime se trouve dans l’utilisation du pétrole comme un instrument de politique étrangère lors de la guerre du Kippour de 1973.

Dans la foulée de l’effondrement du système monétaire de Bretton Woods en 1971, la dévaluation du dollar américain provoque une baisse notoire de revenu pour les États rentiers arabes. Face à cette situation, à travers l’OPEP, les pays arabes producteurs de pétrole entrent en négociations avec les compagnies pétrolières étrangères afin de revoir le prix du pétrole à la hausse. En réaction au refus de coopération, les pays exportateurs de pétrole membre de l’OPEP annoncent la réduction de leur production provoquant une augmentation significative des prix, qui quadruplent en quelques semaines312. Dans le

contexte de la guerre du Kippour, l’Arabie Saoudite, dont le poids est le plus important au

309ALNASRAWI, Abbas, Arab Nationalism, Oil, and the Political Economy of Dependency, p.45 310 ROGAN, Eugene, The Arabs : A History, p.361

311 REYNAERT, François, La grande histoire du monde arabe : d’Alexandre le Grand à l’islamisme radical p.463

sein de l’OPEP, néglige son allié américain pour jouer la carte de la solidarité interarabe313.

Le choc pétrolier de 1973 expose deux réalités. D’une part, les pays producteurs d’hydrocarbures prennent conscience du pouvoir du pétrole comme vecteur d’influence. D’autre part, le choc pétrolier engendre d’énormes revenus pétroliers (pétrodollars). Cette hausse prodigieuse de la rente pétrolière crée des excédents commerciaux qui seront recyclés à travers le système financier international ainsi que dans des projets de développements arabes supervisés par les États rentiers du Golfe.

L’augmentation des revenus pétroliers après 1973 est incontestablement l’une des principales dynamiques au cœur de l’évolution de l’économie politique régionale. À ce titre, l’OPEP y joue un rôle de premier plan. En effet, l’affirmation des pays arabes membres (à l’époque l’Irak, le Koweït et l’Arabie Saoudite) sur le contrôle de leurs ressources nationales permit de solidifier les bases de l’État rentier à travers l’accroissement de la rente pétrolière. De plus, l’OPEP devient un outil dans la construction d’un modèle instrumentalisant la solidarité arabe au profit de la puissance et de la structure macroéconomique des États rentiers du CCG.