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Chapitre 4 : Résultats : la nordicité

4.2 Analyse Nordicité

4.2.1 Physique

Figure 6 : Nordicité – Physique Source : (Marie-Hélène Roch 2018)

Comme nous l’avons décrit précédemment dans le cadre conceptuel, l’aspect physique de la nordicité renvoie à ce qui est visible, aux éléments naturels (ex. : neige, glace, froid, vent, luminosité) ou aux manifestations météorologiques. Les réponses des participants ont permis d’identifier des points de convergence et de divergence. D’abord, la variabilité saisonnière qui accentue le niveau d’imprévisibilité et provoque des phénomènes de météo extrêmes quant à l’hiver vécu à Montréal. Ensuite, les effets sur l’ambiance de la ville qui riment avec lenteur, calme et réduction du bruit. Enfin, le rapport sensible à certains éléments naturels chez les participants, tels que la neige, le froid, la « slush » et la glace/le verglas permettent de mieux comprendre l’expérience vécue des cyclistes d’hiver à Montréal.

4.2.1.1 Variabilité saisonnière, imprévisibilité et phénomènes de météo extrêmes

Pour certains participants, la variabilité saisonnière n’affecte pas nécessairement leur pratique et n’engendre pas d’effets indésirables. P1 admet qu’il est « à vélo quoi qu’il arrive, selon n’importe quelle condition » et P5 ajoute qu’il va « pédaler selon toutes les conditions ». Il y a même une certaine forme d’appréciation à vivre ces moments selon ce dernier : « Les imprévus de l’hiver à vélo, je trouve ça le fun. Tu es pris, tu n’avances pas. Tu marches à côté de ton vélo ».

Pour d’autres, l’idée que l’hiver en ville soit très aléatoire avec ses épisodes de chaud, froid, pluie et verglas implique au contraire de nombreux défis. Pour P4, « [l]’hiver en ville c’est bizarre. Par exemple, on passe de -24 °C à 2 °C en l’espace de 2-3 jours. Dans une même journée, il peut y avoir beaucoup de fluctuation. L’hiver à Montréal n’est jamais pareil, pas de standard. Des fois le matin en vélo tu t’habilles super chaudement et quand tu reviens le soir il fait chaud. Tu veux faire une activité avec tes enfants, et finalement il pleut ».

4.2.1.2 Lenteur, calme et réduction du bruit

Figure 7 : Jardin communautaire en hiver

Source : (Atelier mobile à vélo, P2 – photo 5 2017) Reproduction autorisée par l’auteur

Le changement des saisons se traduit autant par la transformation des paysages que par le rythme des activités humaines. L’hiver en ville, considéré de saison morte, apparaît positivement chez certains participants, saison porteuse de lenteur, calme et de moins de bruits. Par exemple, P5 accorde que l’hiver est sa saison favorite et qu’avec sa pratique de vélo d’hiver c’est entrer dans une « bulle réconfortante »; « pédaler avec beaucoup de neige, c’est entrer dans un nouvel atmosphère où les sons sont absorbés différemment ». Selon la conception de P2, ce qui contraste à Montréal avec sa ville d’origine (Marseille), c’est la façon que cela change d’une saison

à l’autre, que les gens vivent différemment et n’ont pas les mêmes interactions ou activités. Il rajoute : « J’adore la bordée de neige, quand la ville est calme » et « qu’on marche plus doucement, que les voitures roulent plus doucement ». Dans une autre perspective, cet effet de ralentissement demande adaptation. Pour P4, cela va tout à fait dans ce sens :

C’est ben l’fun le vélo d’hiver, mais c’est beaucoup de logistique. S’habiller le matin, au lieu de me prendre 5 min avec mon cuissard et un chandail, là c’est le cuissard, les combine, le pantalon, les bas, les gros bas… Le soir ça me prend 15-18 minutes m’habiller pour être prêt à affronter l’hiver. Effet de lenteur l’hiver, tout prend plus de temps. Au lieu de 5 min pour me préparer ça m’en prend 15, au lieu de 35 minutes pour faire mon trajet, ça m’en prend 50 minutes. Quand il fait plus froid ça prend 1 heure. Ça double le temps que ça peut me prendre l’été. Beaucoup d’effort physique. 14 km par trajet. 28 km au total. Le principe que ça prend plus de temps, au début il a fallu que je m’adapte et à un moment c’est rentré dans la routine. Dans les premiers temps j’arrivais en retard au bureau.

4.2.1.3 Éléments naturels

Les caractéristiques de l’hiver ont des résonnances communes chez plusieurs participants, que ce soit la neige, marqueur principal de la saison hivernale, le froid, grand mythe des non-cyclistes d’hiver, la « slush », désagrément moins pire qu’à pied ou la glace/le verglas, source de danger qui se contrôle avec l’équipement ou s’évite en ne sortant pas son vélo.

L’hiver, surtout associé à la neige, comporte ses nuances et ses façons de l’interpréter. Ce qui apparaît unanime chez les participants est que la neige est un signe distinctif du début et de la fin de la saison hivernale. Pour P2, c’est cette « première bordée de neige » qu’il qualifie de « couche blanche » qui marque le départ, tout comme P3, P9 et P10, qui définissent la neige comme « marqueur du début de l’hiver » et qu’au moment où elle se fait de plus en plus rare dans les rues, c’est l’indice que la fin approche. P5 ajoute « qu’avec l’ouverture de la saison hivernale et la première neige s’accompagne le changement des pneus sur son vélo ». Bien qu’il soit moins fébrile que ses premières années de pratique, il avoue qu’il a toujours hâte à son premier pédalage sur la neige. Pour P7, comme les expériences précédentes, le début de l’hiver commence à la première neige, mais précise : « [À] chaque fois, je vais prendre le temps de la regarder, de la contempler ».

Figure 8 : Bancs sous la neige

Source : (Atelier mobile à vélo, P3 – photo 2 2017). Reproduction autorisée par l’auteur

Un autre aspect relevé par les participants est le caractère éphémère de la neige, surtout dans le contexte urbain. P8 conçoit que la belle période avec de la neige est courte, tout comme P2 qui insiste sur le fait que la durée de vie de la neige est éphémère et qu’il faut en profiter. P1 mentionne pour sa part : « [E]n ville la neige occupe une place résiduelle et n’est pas vraiment mise en valeur. Le mélange avec les abrasifs et la saleté, ne fait pas sortir l’aspect de beauté de la neige ». Cela rejoint les propos de P4, qui aime davantage l’hiver en dehors de Montréal, car un hiver pour lui est synonyme de neige blanche : « À Montréal, la neige est quasi absente, plus de la glace, bouette gelée. J’aime des beaux bancs de neige blanc. » En continuité, P6 affirme qu’« à Montréal, on ramasse trop notre neige » et souhaiterait retrouver des microclimats qui la mettraient en valeur : « [J]e « garocherais » toute la neige dans le parc ». Dans la même foulée, P11 affirme : « Je trouve que des fois ils enlèvent trop de neige, trop rapidement. Après une grosse bordée, le lendemain des fois tu peux voir l’asphalte. Les montagnes de neige je trouve ça beau ».

Enfin, il apparaît aussi que la manière de percevoir la neige se fabrique par l’imaginaire, comme le relate P2 : « Les images qui me viennent instantanément, c’est avec beaucoup de neige. C’est une vision de ville sous la neige même si en réalité il n’y a pas toujours de la neige ». P6 concède

qu’« un hiver sans neige ce n’est pas un vrai hiver », ce qui rejoint les propos de P11 : « Un hiver pas de neige ça ne marche pas dans ma tête ».

Le froid est la seconde caractéristique de l’hiver relevée chez la plupart des participants, témoignant d’une expérience positive, ou facilement surmontable, et ce contrairement à ce que peuvent considérer certains non-initiés au vélo d’hiver.

Figure 9 : Ombrage d’un cycliste sur la neige

Source : (Atelier mobile à vélo, P6 – photo15 2017). Reproduction autorisée par l’auteur

D’abord, cette idée de braver le froid est sans doute celle qui suscite le plus de réactions provenant de l’extérieur des adeptes du vélo d’hiver. P4 l’explique entre autres par l’image associée aux cyclistes d’hiver en général :

Image sensationnaliste de marginaux dans les médias avec une photo d’un cycliste dans des conditions extrêmes. Par exemple, dans une tempête, qui tombe sur la glace. Pourtant, ça n’arrive pas à tous les jours. Ce n’est jamais le bonhomme qui revient de travailler et qui chante. À -25 °C ça peut être spectaculaire de voir un cycliste avec plein de glace et la grosse boucane. Les médias ne véhiculent pas la facilité ou le bien-être de faire du vélo l’hiver.

P6 ajoute que plus l’hiver est visible, plus tu vas avoir des commentaires : « Tu vas rouler pendant qu’il neige ou qu’il y a de la pluie verglaçante on va t’en parler ».

Cette curiosité des non-cyclistes d’hiver s’accompagne souvent d’impressions que le cyclisme hivernal est dangereux ou de commentaires de stupéfaction. Selon les dires de P4, « surtout quand il fait froid, les gens pensent que le vélo d’hiver est hyper dangereux. Une perception de danger qui n’est pas réelle ou du moins incomprise. Alors que ce n’est pas le cas ». D’autre part, P8 mentionne l’étonnement de ses collègues de travail : « Tu sais que c’est l’hiver, hein? », « Tu n’as pas frette? », « Non! », « Pis le verglas? » et P11 témoigne de la surprise des gens qui soulèvent certaines questions du style : « Est-ce que tu te plantes souvent? ».

En ce sens, ces mythes se déconstruisent de plus en plus avec l’expérimentation, comme le décrit P8 : « Ce que je pense qui va être contraignant, comme le froid, en fait plus je l’affronte, moins c’est un problème. » P4 renchérit :

Le froid c’est le 1 km, après je n’ai plus froid. L’autre fois, il faisait -24 °C et je suis arrivé au bureau en sueur. Les gens me voient arriver et me demandent : « tu n’as pas froid?». Non je n’ai pas froid! Je pars, j’ai mon masque. Je suis bien habillé. J’ai appris à jauger mon habillement selon les conditions. La perception des gens qui n’en font pas, pensent que le froid est la chose la plus difficile à tolérer. Mais au contraire, il y a très peu de difficultés et t’apprends à fonctionner avec le froid.

Et jusqu’à un certain point, l’amour du froid transparaît dans les propos de P9 qui avoue qu’il s’agit d’un élément facilement surmontable surtout grâce à une bonne préparation et qu’il apprécie son effet vivifiant tout comme P11 qui témoigne : « J’aime le froid, la satisfaction et la sensation que tu as après. Tu respires tellement bien quand il fait froid, c’est vivifiant. Ça roule bien à vélo, la neige est plus dure, je trouve que ça va mieux. Aussi, il y a moins de gens sur les routes ». Enfin, P10 admet avoir eu au début la crainte du froid, pour se rendre compte après avoir roulé l’hiver qu’il aime mieux cela que l’été.

Figure 10 : « Slush »

Source : (Atelier mobile à vélo, P4 – photo 11 2017). Reproduction autorisée par l’auteur

La « slush »8 ou si on veut gadoue, bouillie neigeuse ou névasse a une connotation d’emblée

très négative au sein de l’inconscient collectif. Majoritairement, les participants considèrent cet élément comme étant désagréable, surtout par rapport à la saleté. Toutefois, certains la voient comme une moins grande problématique que lorsqu’ils sont piétons.

Pour P5, P6, P9 et P11, c’est unanime, la « slush » est « désagréable », que ce soit à cause de sa « volatilité », son « humidité » ou sa « saleté ». Il s’agit d’un irritant majeur pour P4 :

Je déteste la « slush », c’est salissant, dangereux, ça peut être glacé et être glissant, vraiment désagréable surtout au Centre-Ville avec l’accumulation de « slush » aux intersections. Depuis que je fais du vélo, j’ai l’impression de l’haïr plus, ça encrasse mon vélo, mon équipement. Moi-même, je suis tout sal, tout beurré.

8 Mélange plus ou moins consistant de neige et d'eau tombant en averse et couvrant le sol, ou résultant de la circulation des piétons et des véhicules, et pouvant alors comporter des abrasifs (du sel, du sable et des saletés).

Le choix d’équipement a son impact quant à la façon de composer avec cette réalité : « Je mets un imperméable pas parce qu’il pleut, mais pour me protéger de ce qui vient d’en dessous. J’ai patenté des trucs sur mon vélo pour éviter que ça soit moins salaud ». (P4) L’expérience de P7 est similaire, mais s’avère quand même plus positive : « Ça c’est un problème. C’est plein de sel, c’est gris. Ça te prend des bottes à 200$ pour marcher dedans. Je me réconcilie avec la « slush » en faisant du vélo. Moi je suis vraiment bien équipé. À la limite j’arrive à destination, je suis plein de « slush », mais il y a quelque chose que je trouve beau là-dedans. »

Dans cette lignée, quelques participants avancent que l’expérience de la « slush » est différente à vélo ou à pied. P7 et P9 se rejoignent quand ils soulèvent que faire du vélo dans la « slush » ne les dérangent pas, mais qu’à pied c’est « désagréable » ou bien « dégueulasse ». D’après les propos de P8, cela va même jusqu’à une notion de danger potentiel en tant que piéton : « À pied, c’est plus problématique avec les flaques au coin des rues. Quand je pense aux personnes âgées surtout, je trouve ça dangereux ».

Figure 11 : Mélange de neige et glace avec abrasifs

La glace et le verglas sont les dernières caractéristiques qui retiennent l’attention relativement à ce que les participants ont pu mentionner dans les entretiens. De manière générale, ces éléments sont synonymes de sources de danger, qui se contrôlent avec l’équipement ou s’évitent en ne sortant pas son vélo.

Pour près de la moitié des participants, la glace ou le verglas sont les rares conditions qui peuvent les amener à considérer un autre moyen de déplacement que le vélo, comme l’expliquent P3 et P9. Il y a aussi P4 pour qui cela est clair : « Je ne sors pas mon vélo quand il y a du verglas. Pour moi le vélo ce n’est pas un dogme ». P12 nuance quelque peu : « En 10 ans, c’est peut-être arrivé une douzaine de fois que je n’ai pas pris mon vélo. Il faut dire que la plupart des fois où j’hésite à prendre mon vélo, je le prends et je fais mes trajets. C’est arrivé deux fois que j’ai décidé de rebrousser chemin, à cause de la glace ».