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Expérience de bien-être physique vs bien-être mental

Chapitre 6 : Discussion

6.2 Expérience de bien-être physique vs bien-être mental

Dans le prolongement de la première typologie observée, nous avons noté une autre dichotomie entre le bien-être physique et le bien-être mental. Les résultats nous laissent croire en effet que pour plusieurs participants la pratique du vélo d’hiver exerce une fonction vitale, qu’il s’agisse pour certains de sensations physiques spécifiques ou d’effets psychologiques particuliers pour d’autres. Chose certaine, la notion de « bagage » personnel est un grand déterminant de la façon d’aborder l’hiver.

L’expérience de bien-être physique se traduit de différentes façons chez nos participants, mais cet aspect de la pratique du vélo d’hiver apporte clairement des bienfaits nécessaires au corps en saison hivernale. La posture du maintien d’une bonne santé physique est donc justifiée par le principe de demeurer actif à l’année. Pour plusieurs, cette expérience sportive se traduit comme un défi, en particulier lorsqu’ils n’ont pas l’habitude de pratiquer d’autres sports d’hiver en général. Dans une autre mesure, certains participants évoquent l’effet salvateur de l’air humide et froid qui, durant leur trajet, a un effet vivifiant se prolongeant même au fil de la journée. Dans cette optique,

nous pouvons supposer que la pratique de vélo d’hiver est indispensable pour leur bien-être physique.

Par ailleurs, l’expérience de bien-être mental s’observe de manières singulières chez nos répondants. Des points de concordance apportent cependant une lecture plus approfondie des états ou attitudes au quotidien générés par la pratique du vélo l’hiver. La nordicité mentale exprime l’état du Nord, qui d’abord se loge dans l’imaginaire, puis se manifeste (de façon expresse ou non) dans les opinions, attitudes et interventions. Tel que décrit par Hamelin (2000), la démarche de la nordicité mentale commence par une quête de sens. Nous constatons que l’engagement des participants s’ancre également par le biais de stratégies face aux contours quotidiens de l’hiver réel pour assurer le maintien d’un bien-être mental. Comme le supporte Hamelin, « pour mieux passer l’hiver [l’individu doit] faire un investissement au plan intellectuel, c’est-à-dire prendre conscience que la culture actuelle offre maintes solutions dans les domaines de la santé, de l’énergie, de l’habitat et des communications. L’essentiel demeure d’accepter l’hiver et de s’y adapter, évidemment avec à-propos » (Hamelin 1993, 87).

Comme nous l’abordions dans la première typologie, l’expérience ludique qui s’accompagne à la fois de la notion de jeux, de plaisir et de fierté est exprimée à de nombreuses reprises chez plusieurs participants et donne un sens à leur pratique. Les émotions partagées par de nombreux répondants réfèrent à de l’excitation, à un sentiment de liberté ou de légèreté (que ce soit par le premier pédalage dans la neige, l’annonce d’une tempête de neige, la motivation à tester son nouveau vélo ou son équipement amélioré). Toutefois, pour quelques-uns, c’est aussi à une forme de fébrilité ou d’inquiétude que ceci est associé, surtout en début de saison avec l’idée de retrouver ses repères par le réapprentissage annuel. L’imprévisibilité des conditions des pistes cyclables causée en partie par le manque de continuité dans le déneigement selon les arrondissements peut aussi représenter une source d’anticipations négatives et de dangers potentiels. Tous ces éléments contribuent à leur bien-être mental.

Nous constatons également dans ce que certains participants rapportent que les déplacements quotidiens à vélo l’hiver (de quartier en quartier à Montréal) permettent d’accéder à une observation de la ville en hiver plus active et participative, contribuant à un bien-être mental. L’interaction avec la ville concrète et la construction individuelle de l’image de la ville influenceraient un état de satisfaction, de plaisir, de sensibilité et d’appropriation. Cette dimension de la pratique du vélo d’hiver rejoint la définition de participation active de Gibson (1966) que nous avions soulevée au chapitre 2. Ce que nous entendons par systèmes perceptifs est que l’individu

se trouve placé dans un univers matériel qu’il perçoit par le biais de tous les sens, jouant ainsi un rôle de récepteur pour les messages que l’environnement émet. En affirmant que le comportement spatial dépend de l’évaluation que chacun fait de son environnement, on attribue à l’individu le statut d’« observateur-acteur ». Les images mentales produisent des sensations qui construisent un puissant lien entre l’individu et son milieu, ce qui favorise la fréquentation et l’appropriation de l’espace voire même son identification. À cela s’ajoute que la perception de la ville repose de plus en plus sur une accumulation d’informations perçues lors des déplacements. Comme l’explique Gehl (2012, 55) : « Les cyclistes ont d’ailleurs un bon contact sensoriel avec leur environnement et les personnes qu’ils croisent ». De plus, les récepteurs immédiats (responsables de l’odorat et du toucher, et donc l’aptitude à percevoir les différences de température) ont en commun d’être les organes des sens les plus intimement liés aux émotions. (Gehl 2012)

Cela confirme que de nombreux mythes soulevés durant les entretiens concernant le vélo d’hiver se déconstruisent avec l’expérimentation physique et mentale. Entre les deux états se bâtit une place pour gagner en confiance et enfin une source de plaisir et même de fierté. Les exemples les plus communs sont d’associer cyclisme hivernal et danger en raison de la glace vive et lisse (rapidement contrôlée par des abrasifs épandus) ou de penser que le froid est l’élément le plus difficile à tolérer, tel que rapporté par certains participants à leurs débuts ou par des non-cyclistes d’hiver de leur entourage. Les mythes énoncés rappellent ceux abordés dans l’article de Swanson (2016) que nous avions évoqués (chapitre 1), surtout ceux relatifs au froid et à la notion de danger. L’accès aux perceptions de la pratique du vélo d’hiver, surtout du point de vue des cyclistes, renforce l’idée que le froid avec ses effets sur le corps est une « sensation subjective et relative » (Imaginaire du nord 2013, 1) et contribue à la déconstruction des discours et images des non- cyclistes. Les témoignages de nos participants mettent à cet égard en lumière un rapport au froid comme expérience universelle variable.

Il semblerait que plus l’hiver est visible, plus les participants composent avec des commentaires extérieurs marquant la curiosité ou l’incompréhension. Toutefois, il apparaît unanime que plus les participants affrontent le froid, moins cela devient problématique et plus se dégage un sentiment familier, qu’on se plait à retrouver : « Pour transformer nos attitudes, nous devons prendre conscience que notre perception du milieu et le langage utilisé pour décrire les divers phénomènes jouent un rôle primordial » (Pressman 1985, cité dans Zardini 2005, 139-140). Ces considérations nous amènent à un dernier contraste qui évoque deux approches fondamentales par rapport à l’adaptation au froid, à savoir la notion de résilience et le contrôle de l’environnement.