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Chapitre 5 : Résultats : perceptions et imagibilité de l’espace urbain

5.2 Analyse Imagibilité de l’espace urbain

5.2.3 Les quartiers

Figure 38 : Imagibilité de l’espace urbain – Quartiers Source : (Marie-Hélène Roch 2018)

Enfin, le troisième élément d’analyse de l’imagibilité de l’espace urbain dans les représentations mentales des participants est celui des quartiers, espaces à deux dimensions, où un observateur peut pénétrer par la pensée, et qui se reconnaissent parce qu’elles ont un caractère général qui permet de les identifier. (Lynch 1960, 54-55) D’abord, plusieurs participants soulignent prendre confiance dans leur pratique à l’échelle du quartier. Ensuite, la majorité ramène les transitions percevables entre les quartiers par les ruptures ou continuités, mais également par les interactions.

5.2.3.1 Prendre confiance dans la pratique à l’échelle du quartier

Selon les expériences partagées, une dynamique est identifiée à l’échelle du quartier, soit celle de permettre de prendre confiance, surtout dans les débuts de la pratique. Le quartier permet d’apprivoiser le vélo d’hiver en terrains plus connus en ayant par exemple une meilleure connaissance de ses rues. En parallèle, les déplacements à vélo font naître chez les participants une vision plus claire de leur milieu de vie. L’histoire de P3 est à cet égard particulièrement fascinante. À sa première année au Québec, il a décidé de faire du vélo l’hiver : « Pour moi c’était une façon de reconnaître l’ambiance de la place où j’habite. Au début, j’avais peur de sortir, surtout que dans mon pays d’origine en tant que cycliste tu es obligé de faire ta place dans les rues (comme il n’y a pas de pistes cyclables), Donc, pour faire du vélo l’hiver, tu dois avoir confiance, tu dois te dire que tu vas être capable. » P7 fait aussi état qu’il a commencé à se déplacer avec son vélo dans son quartier pour prendre confiance et ensuite étendre ses parcours aux quartiers centraux et finalement à ceux plus excentrés.

5.2.3.2 Transitions entre les quartiers (ruptures/continuités, interactions)

Les transitions entre les quartiers laissent place à des dynamiques de ruptures et de continuités, de même que des interactions positives, neutres ou négatives avec d’autres usagers.

Les dynamiques de ruptures que les participants identifient comme des frontières visibles apparaissent surtout par le manque de continuité ou d’uniformité dans le déneigement du réseau cyclable. Même si les participants confirment qu’il y a beaucoup d’efforts déployés par la Ville pour retirer la neige afin de favoriser la fluidité des déplacements, ce que ressent P4 vis-à-vis ces ruptures est que « [l]es liens entre les différents arrondissements sont parfois difficiles, à cause du manque d’uniformité du déneigement à travers la ville. Ce qui ne devrait pas être le cas. La même artère qui va passer à travers deux arrondissements va être déneigée de façon différente. Tu vois la frontière avec le banc de neige, alors qu’en métro tu ne le vois pas ». Ces observations concernant un manque de cohérence entre les quartiers amènent P3 à se poser la question suivante : « La planification du déneigement, est-ce que c’est fait par des gens qui font du vélo d’hiver? », ce qui rejoint ce qu’indique P10 : « Je ne suis pas sûre que ceux qui décident, sont ceux qui pratiquent ».

P6 renchérit avec un manque réel de continuité entre les arrondissements. Dans la partie centrale de la ville, il croit que les choses pourraient être corrigées par l’intermédiaire de « petits liens qui soient créés entre les arrondissements », par exemple « au niveau de la voie ferrée entre le Plateau et Rosemont, il y a zéro lien ». L’expérience de P12 supporte cette idée en témoignant que sur Le Plateau (à l’ouest) c’est mieux entretenu qu’à l’est (Papineau) : « Le pont entre le Plateau et Rosemont sur Rachel, ce n’est pas clair qui s’en occupe. On dirait que ça n’appartient à personne. Un pont comme ça c’est particulièrement important, car la surface n’est pas la même que celle de la rue. Plus de risques de tomber sur de la glace ».

La coordination des politiques de déneigement, autant pour les trottoirs que les pistes cyclables, laissent perplexes plusieurs participants. Les ruptures dans les transitions créent donc des anticipations de sources sérieuses de danger.

Du côté des interactions, certains propos de participants démontrent la faible présence de cyclistes d’hiver dans des quartiers plus excentrés. P3 raconte par exemple qu’à Montréal-Nord, c’est le seul endroit à Montréal qu’il croise des gens qui lui demandent : « Pourquoi tu fais du vélo l’hiver?, le vélo c’est pour l’été. » ; « C’est dangereux! » ; « Ça fait combien de temps que tu es

ici, tu es né ici? ». Ce participant partage aussi son plaisir à sensibiliser ceux qu’il croise sur son chemin et à amener les immigrants à développer une autre perception du vélo d’hiver.

Figure 39 : Piétons

Source : (Atelier mobile à vélo, P11 – photo 12 2017). Reproduction autorisée par l’auteur

P4 fait de son côté état qu’à Ahuntsic il croise moins de vélos, surtout l’hiver que sur St-Urbain par exemple :

C’est une autoroute de vélo sur St-Urbain. Ça surprend beaucoup, quand je vais chercher la petite à l’école il y a des gens qui me regardent avec des grands yeux. Je mets mon vélo dans le support à vélo et je suis le seul. Après une petite bordée de neige, il y a très peu de traces de vélo dans Ahuntsic. Dans Rosemont ou sur le Plateau il y en a beaucoup plus.

L’expérience de P4 laisse place à peu d’interactions négatives :

Même que les gens souvent me font des pouces en l’air, ils voient que je ne suis pas un extraterrestre. Moi je m’arrête pour parler avec tout le monde, par exemple le brigadier scolaire. Je trouve que le rapport vélo-voiture s’est beaucoup amélioré depuis quelques années. J’ai une voiture et quand je conduis, je porte beaucoup plus attention aux cyclistes. Je suis plus attentif.

Figure 40 : Brigadier à l’intersection d’un boulevard

Source : (Atelier mobile à vélo, P7 – photo 5 2017). Reproduction autorisée par l’auteur

P8 affirme qu’il croise très peu de cyclistes d’hiver dans Notre-Dame-de-Grâce. Dans Verdun, il en croise un peu près du métro Vendôme. P11 observe une transition entre L’Île-des-Sœurs et Verdun : « [T]u croises plus de vélos plus que tu [te] rapproches du centre de la ville ». L’intérêt d’avoir des interactions avec d’autres cyclistes est manifeste chez P12 : « Avec la présence des bixis, il y a un prolongement de la saison du vélo qui est palpable. La présence des bixis est un message fort que ce n’est pas le temps de ranger son vélo. Il y a un plaisir de côtoyer les gens sur les pistes cyclables ».

En somme, l’opérationnalisation des données par le biais de concepts complémentaires, tels que les perceptions et l’imagibilité de l’espace urbain contribuent à enrichir la réflexion initiée précédemment à travers notre concept central qui est la nordicité, tout en ouvrant la discussion sur les formes de sensorialité que les cyclistes d’hiver peuvent développer avec l’environnement bâti ou paysager et même l’image que ceux-ci se font de Montréal, et même, plus particulièrement de l’hiver vécu dans la métropole.