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Perceptions de l’espace urbain

Chapitre 2 : Cadre conceptuel : nordicité, perceptions et imagibilité de l’espace urbain

2.2 Perceptions de l’espace urbain

Dans cette section, nous définirons le deuxième concept, soit les perceptions de l’espace urbain, afin de présenter comment nous l’avons opérationnalisé dans notre analyse.

« [L]’espace n’existe qu’à travers les perceptions que l’individu peut en avoir, qui conditionnent nécessairement toutes ses réactions ultérieures… » (Moles et Rohmer 1972, cité dans

Bailly 1977, 41).

Du réel vécu au modèle simplifié que l’homme construit de son environnement, le processus perceptif est extrêmement complexe. Les perceptions de l’espace urbain touchent à plusieurs aspects de l’étude de la ville : sociologiques, psychologiques, géographiques, urbanistiques, architecturaux, écologiques, économiques, etc. Pour répondre aux objectifs de cette recherche, nous retenons plus spécifiquement les travaux du géographe suisse Antoine Bailly (1977) qui s’intéresse à la perception de l’espace urbain, aux processus cognitifs et à l’évolution du mouvement behavioriste. Son ouvrage synthèse intitulé La perception de l’espace urbain : les

concepts, les méthodes d’études, leur utilisation dans la recherche urbanistique a permis de

mettre en contexte les diverses échelles et méthodes qui permettent de mieux définir la manière dont la ville est perçue et vécue. (Bailly 1977)

D’abord, Bailly entend « perceptions » tel que défini par le dictionnaire Robert : « Fonction par laquelle l’esprit, le sujet se présente, pose devant lui les objets » (Bailly 1977, 9). Il explique que c’est vers les années 1950 que la recherche portant sur la perception se fait de plus en plus marquée et les techniques de mesure de la perception plus nombreuses, chaque chercheur choisissant les instruments les mieux adaptés à ses objectifs : observer les gens dans un milieu donné (Esser 1971), faire dessiner les personnes (Lynch 1960; Ladd 1967), utiliser des photographies (Sonnenfeld 1967). Soulevons que Bailly suit les directions de recherche proposées par Lynch (1960), que nous détaillerons plus en profondeur dans la prochaine section de ce chapitre, soit le concept de l’imagibilité de l’espace urbain.

Bailly rapporte l’importance des théories cognitives portées par James Gibson (1966), tel que présenté dans le tableau 2.1. Gibson distingue d’ailleurs plusieurs types de stimuli et la perception active de la perception passive :

 Perception passive : imposée par les organes sensoriels (peau, nez, bouche, oreilles, yeux).

 Perception active : résulte du mouvement du corps, lorsque l’individu par son activité cherche à recevoir d’autres messages.

Tableau 2.1 : Tableau synthétique des systèmes perceptifs Source : (Gibson 1966).

Le processus comportant une interaction entre un individu et son environnement, que l’on définit par la perception de l’espace urbain, se soumet au sens de l’individu (vue, ouïe, toucher, odeur). L’identité à la fois personnelle, sociale ou culturelle de l’individu participe également à cette construction qui permet d’identifier, d’interpréter et de s’approprier la réalité de la ville. (UNT. UNICE 2018) Ce que nous entendons par systèmes perceptifs est que l’individu se trouve situé dans un univers matériel qu’il perçoit par le biais de tous les sens, jouant ainsi un rôle de récepteur pour les messages que l’environnement lui transmet. En affirmant que le comportement spatial

dépend de l’évaluation que chacun fait de son environnement, on attribue à l’individu le statut d’« observateur-acteur ».

Les images mentales produisent des sensations qui construisent un puissant lien entre l’individu et son milieu, ce qui favorise la fréquentation et l’appropriation de l’espace voire même son identification. À cela s’ajoute que la perception de la ville repose de plus en plus sur une accumulation d’informations perçues lors des déplacements. Dans le présent mémoire il est question d’analyser la perception passive et active, d’une part de l’influence de la pratique du vélo d’hiver sur les divers systèmes perceptifs (orientation, auditif, tactile, olfactif et visuel) et d’autre part de l’effet des déplacements à vélo sur l’interprétation de l’environnement urbain chez les participants. Les questions de sens et d’échelle pour Gehl (2012) rejoignent incidemment la mobilité et la perception sensorielle. En effet, l’espace est voué à la fois au mouvement et à l’expérience et il importe que l’aménagement des espaces urbains tienne compte de ces composantes. Gehl distingue deux catégories de récepteurs sensoriels : à distance (yeux, oreilles et nez) et immédiats (organes du toucher et langue). Comme la vue est le sens le plus développé chez l’être humain, Gehl introduit alors la « notion de champ de vision social », qui correspond à 100 mètres, c’est-à-dire la distance à partir de laquelle on commence à discerner des personnes en mouvement. Le seuil de 25 mètres serait celui en deçà duquel on peut décoder les émotions et l’expression du visage. (Gehl 2012)

La géographie behavioriste, terme issu de l’anglais, s’attache à la géographie du comportement par la compréhension des processus cognitifs, c’est-à-dire qui mènent de la perception à l’attitude et au comportement. L’attitude correspond ici à une réflexion concernant les potentialités, et le comportement à la réalisation de celles-ci. (Bailly 1977) Les conditions physiques, les facteurs psychosociologiques, culturels et économiques contribuent à différencier les rues et les quartiers et à influer sur la manière de vivre des habitants. À ce niveau, le comportement n’est pas seulement spatial et fonctionnel, il est aussi affectif. (Metton 1974)

La figure 4 présente le schéma du processus de perception. En partant de ce qui est réel, l’individu se construit une image mentale de la réalité, des paysages et des territoires vécus, grâce à ses connaissances, son éducation, ses valeurs, son identité, ses mémoires, ses jugements esthétiques, son appartenance sociale, ses facultés de re-mémorisation, de re-connaissance, d’interprétation et d’évaluation, et ses différents sens. (Bailly 1977)

Figure 4 : Schéma simplifié du processus de perception Source : (Bailly 1977, 30).

Bailly examine donc successivement l’environnement urbain et l’homme, la perception des paysages urbains, le sens du lieu, la perception de la ville et les déplacements. La notion de paysage tel qu’il l’aborde correspond à la relation entre un sujet, l’homme et un objet, le paysage. Les perceptions individuelles, au niveau de l’habitat, du quartier et de la ville, façonnent les images qui engendrent des actions individuelles, puis des actions collectives. (Bailly 1977) La micro- géographie est l’approche d’étude des perceptions et attitudes des personnes qui emploie l’analyse détaillée de micro-unités (individus ou petits groupes) pour saisir la multiplicité des perceptions. (Frémont 1975) Elle devrait permettre de dégager les « dimensions cachées » dont parle Hall (1971). L’application des principes de Bailly dans ce projet de recherche, par croisement des expériences individuelles de nos participants, permettra de dégager une variété de perceptions, mais peut-être aussi une constante dans l’image de l’hiver vécu à Montréal chez ceux qui pratiquent le vélo d’hiver.