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La perte progressive des diphtongues et de certaines voyelles ou consonnes ont rendu l’anglo-normand fertile en homonymes et paronymesb. Ainsi, nous n’avons pas d’équivalence univoque entre la graphie et le sens, comme c’est le cas pour les graphies /pein/ et /payn/ qui peuvent toutes deux signifier ‛pain’ tout autant que ‛peine’.

Voyelles et diphtongues

La graphie /e/ peut noter le son [a]: leve pour lave (92.8 etc.); le pour la (Si truble le trait 94.2, le étant pour l’eau); povera pour povere (185.5); terra pour terre (115.4), ce qui pourrait également être un latinisme, voir infra p. 91, ou un archaïsme volontairec.

En ce qui concerne les équivalences graphiques, nous trouvons oe pour o: troeve (24 occurrences, 41.5 etc) et trove (43 occurrences, 14.13 etc.), seon (6 occurrences, 20.6 etc.) et soen (9 occurrences, 13.3 etc.). Dans le texte, u et o sont interchangeables truvera (42.4 et 71.3) et trovera (115 occurrences, 2.3 etc.), ainsi que de ie et e (sege 6.40 et siege 5.5, peres 66.55 et piere 158.7, miere 81.15 mais pas de mere <MATREM, mier 197.2 et mer 92.5), tout comme ai, ei et oi (estailles 6.29, esteille 87.34, estoille 87.2). On trouve aussi des graphies telles que ceirge pour cierge (67.5), graphie inversée de /ei/ pour /ie/ ou graphie /ei/ pour [ɛ], comme leitre pour /lettre/.

a David TROTTER, «Graphie et variation: problèmes anglo-normands», Mélanges de Linguistique et de Philologie Romanes pour Gilles Roques, éd. par P. SWIGGERS et al., Nancy, [à paraître].

b SHORT, Manual...., p. 121 et M. K. POPE, From Latin to modern French with especial consideration of Anglo-or-man Phonology and morphology, Manchester, Manchester University Press, 1934, §1239.

c Voir l’article de STANOVAÏA, «Traits typiques...», selon laquelle les scribes anglo-normands commettent «rarement des fautes d’ignorance ou de négligence», p. 426. Il ne s’agit pas de ‛fautes’, mais de «traces de l’usage archaïque français, restauré à bon escient par les scribes français» (p. 426).

Consonnes

255r14

La majuscule de la lettre f ressemble à un f double, mais non pas la lettrine. Tous les f à l’initiale de mots ouvrant une phrase sont doublés.

Quelques mots ne se trouvant pas en début de phrase comportent tout de même un f double à l’initiale: ffeer 81.3, ffeez 0.17.cxxiiii, ffer 159.3, ffisicien 0.14.

238v9

249v20

Le graphème /w/ est utilisé pour le son [w], comme dans ewe.

Une seule exception: les cinq occurrences de /biauuté/, où les deux u sont visiblement différents d’un w. La graphie plus courante pour ce concept est cependant /beaute/ (14 occurrences).

La graphie /chch/ représente sans doute le son [tš] dans sechches 102.1, sechchié 35.9, sechchir 91.19, ensechchir 49.12, ensechchie 94.6, ensechchis 52.2, enpechché 60.8, techchelee 59.2. Pope §1181 mentionne ce phénomène mais avec la graphie /cch/

tout en le qualifiant de «later Anglo-Norman».

La graphie /c/ devant e représente le son [k] dans concerra 43.3, tout comme /g/

représente [g] dans figer 143.11 ou longement 107.22.

La graphie /pp/ à l’initiale du mot ppurchacera 9.11 dénote une tendance à la rédu-plication des consonnes sourdes. Un p adventice s’est glissé dans corps 92.4 pour cours.

La graphie /sc/ peut représenter le son [s], équivalent aux graphies /ss/ ou /c/, comme dans depecer (175.6), depescee (81.1) et depessez (68.29) ou encore, cas très inté-ressant, eschauncera (6.22) et eschauceront (22.7), dont les deux premières syllabes sont prononcées [estЀau] et non pas [eЀau]. Pour ce verbe, voir aussi infra p. 72 sq., au chapitre «Préfixes».

La graphie /th/ apparaît une fois avec la valeur de [ð]a dans desouth 43.4.

a Pope §1210, une dentale fricative sonore.

Morphologie

Morphologie nominale

Le système bicasuel reflète un cas ‛idéal’ de l’ancien françaisa et il n’existerait abso-lument aucun texte le respectant fidèlement. On ne peut donc pas véritablement dire qu’un mouvement de désintégration de la flexion bicasuelle se dessine régionalement et diachroniquement, s’engageant à l’Ouest vers 1200, «commençant en anglo-normand à la fin du XIIe siècle, en entraînant toutes sortes de flottements», comme l’affirme Buri-dantb, tout simplement parce qu’il est difficile de désintégrer quelque chose qui n’a ja-mais existé d’un seul bloc. Nous pouvons uniquement constater qu’il n’en reste que de faibles résidus dans le ms. B. En effet, si le cas sujet singulier rois est présent du début à la fin du manuscrit, la forme roi en fonction de cas sujet singulier se trouve également dans la totalité du texte, simplement moins souvent. Le cas régime est toujours singulier roi, sauf une fois roye (65.12). Devant consonne, on peut trouver il en tant que nominatif pluriel, comme dans il soi amendent (77.1), s’il gettent feu (93.18) ou encore q’il ne soleient (26.1), mais il existe également sept occurrences de ils.

L’accord du genre entre l’article et le substantif n’est pas toujours respecté (le ymage 6.26, le fumer [...] douce 6.31) même s’il n’est pas toujours possible de déterminer s’il s’agit d’un article volontairement masculin dû à la «fluidité des genres»c ou simplement d’une instabilité phonétique de /e/ pour [a], voir supra, p. 66. Il en va de même pour l’accord entre adjectif et substantif, où il est tout aussi difficile de déterminer si le non-accord est simplement d’ordre graphique (chival [...] dauntee 79.8, son ventre fendue 38.7, blaunche char devener noir 44.8, hastif mort 75.1). Il est cependant difficile d’en tirer des conclusions représentatives, vu le nombre relativement faible de substantifs accompagnés d’un adjectif. Cela vaut bien évidemment aussi pour l’accord du nombre, accord pour lequel nous avons également relevé quelques écarts: noir draps (0.6), de net draps, (0.17.cxxix), seinte paroles (2.3), blaunk dras (119.5). Il peut s’agir ici d’un

a Wendy AYRES-BENNETT, A History of the French Language through texts, London, Routledge, 1995, p. 63, cite La Chanson de Roland commentée par Joseph Bédier, Paris, L’édition d’art, 1927: «Si l’on met à part les plus anciens textes, ceux du IXe et du Xe siècle, comme Sainte Eulalie ou Saint Léger, les règles de la déclinaison n’apparaissent en toute leur pureté que dans les grammaires modernes de l’ancien français».

b Claude BURIDANT, Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, SEDES, 2000, p. 75.

c SHORT, Manual...., p. 123: «Gender in AN tends to be fluid».

phénomène décrit par Geneviève Hasenohr au sujet d’un texte en scripta wallonne, où

«[l’]accord au pluriel des substantifs et des adjectifs est [...] des plus irréguliers lorsqu’il s’agit de mots isolés» (par opposition aux groupes de mots, où un élément du sytagme est toujours marqué)a.

La possession, donc le génitif, peut être exprimée par juxtaposition au substantif qui,

«widely in use in AN [...] particularly with Deu as possessor, survives throughout the 13th century»b. Nous relevons en effet quelques cas du genitivus possessoris ou cas régime absolu, possibles uniquement si le déterminatif est animé (humain ou assimilé), ce qui est le cas dans toutes les occurrences que nous avons relevées (le possesseur est souligné:

8.3 c’est l’aventure cely qe voit 6.43 conceiler le roi

65.13 aungel Dieu

73.18 Ceo signefie la graunt perverseté et iniqité qe le sounga 80.7 Royne chival d’Espaine: à poesté et digneté et seignurie affiert.

133.21 amys le roi 139.1 en curre le roi 133.23 le seü le roi

155.4 il arace ses paumers od autres paumers [palmiers appartenant à d’autres personnes]

166.9 Si demesme le roi soit

En outre, un faible nombre de datifs sans préposition, que ce soit dans le cas d’un verbe «exprimant la survenance d’un événement»c (Si c’est enfaunt: acuns de seus pa-rentz avendra 3.5) de verbes à trois actants de sémantisme ‛donner’ ou ‛offrir’d (qi sa-crifie estoilles 87.47) ou de dativum auctoris dans une phrase au passif (Qi rais soit presentee sur table d’acun 114.2) parsèment le texte. Cependant, dans la vaste majorité, ces deux cas sont exprimés à l’aide de la préposition ‛de’. Dans sa thèse, Glover rap-porte la suggestion de Shorte selon laquelle ces archaïsmes indiqueraient que B a été co-pié sur un modèle datant de la première moitié du XIIIe, ce qui à son tour pourrait

a HASENOHR, Geneviève, «Du bon usage de la galette des rois», Romania 114 (1996), pp. 445-467, ici p. 448.

b SHORT, Manual..., p. 123.

c BURIDANT, Grammaire nouvelle..., p. 90.

d BURIDANT, Grammaire nouvelle..., pp. 88-89.

e Critical Edition..., éd. GLOVER, p. 292.

confirmer que la dame Alice de Courci à laquelle le manuscrit est dédié serait bien celle qui a vécu à la fin du XIIe/début du XIIIe siècle.

Morphologie adjectivale Adjectifs

Tout comme pour les substantifs, les traces du système bicasuel des adjectifs ont entièrement disparu. Une seule exception, l’adjectif estenduz (Qi trove ark estenduz, 148.6), immédiatement affaiblie par une occurrence du même adjectif en position d’objet direct non marqué comme cas régime (Qi voit son membre estendu, 49.3).

Adjectifs possessifs

Les adjectifs possessifs ne possèdent pas de marquage régional. D’après Pope §1260, les formes anglo-normandes seraient mis, tis, sis, parfois mes, tes, ses. Dans notre texte, les possessifs de l’unité («référés à un possesseur unique»a) ne conservent que le cas régime et prennent les formes suivantes: P1. mon/ma; P2. -; P3. son/sa/sez/si (18.6 si enemy enricherrunt solom les peils). Les possessifs de la pluralité («référés à plusieurs possesseurs»b) se présentent sous la forme P4. nostre, P5. vostre, P6. lour. Du point de vue des adjectifs possessifs, le texte ne porte donc pas de marquage fortement anglo-normand, mais le nombre absolu d’occurrences est trop faible pour être concluant.

Adjectifs démonstratifs

Voici un relevé des formes d’adjectifs démonstratifs relevés, formes qui n’ont rien d’exceptionnel:

Formes cil <ECCE ILLE sg.: m.: celuy f. - pl.m. ceus, f.celes Formes cist <ECCE ISTE sg.: m.: ceste, f. ceste pl.f.: ces , cestes f.

-a BURIDANT, Grammaire nouvelle..., p. 147.

b BURIDANT, Grammaire nouvelle..., p. 147.

Morphologie des articles Articles définis

Cas sujet et cas régime de l’article défini sont le et la au singulier masculin et fé-minin, les pour tous les pluriels (lé en 126.1). Une seule occurrence de li (35.4). En général, il y a élision devant voyellea.

En position enclitique derrière les prépositions en et à, l’article défini entre le plus souvent en compositionb dans les formes contractées del (64 occurrences, contre 0 de le et 41 de la, dont une devant voyelle) et al (51 occurrences contre 0 à le et 20 à la).

Enclise au pluriel pour des, mais aucune forme de als/aus.

Articles indéfinis

Une seule occurrence de l’article défini uns au cas sujet: Si ly uns ly soit emblé (130.11).

Morphologie pronominale Pronoms personnels

Les pronoms personnels prennent les formes suivantes:

Cas sujet: 1. jeo; 2. -; 3. il, i (4.2 De bataille d’ost: i serra victorie de ses enemis), elle; 4. nous; 5. vous; 6. ils (1 occurrence!), il (26.1 Qi voit ses narils greindres q’il ne soleient, 36.8 Qi voit ses ungles tant creüz q’il soient courbez), ele (1 occurrence!)

Cas régime 1. - ; 2. - ; 3. li (69.2), ly (108.5), le (120.1); 4. -; 5.-; 6. eux.

Pronoms démonstratifs

Le système bicasuel a pratiquement disparu. Un seul cas régime subsiste: celuy 66.48

Formes cil

<ECCE ILLE

masculin Féminin 1eutre

sg. pl. sg. pl. sg.

CS cely ceus/ceux cel/cele celes ceo

CR cely/celuy(1) ceux cel/cele celes ce/ceo

Les formes cist <ECCE ISTE ne servent pas de pronom.

a À l’exception des cas suivants: 6.22, la esglise / l’esglise, 61.3; 6.26 adoure le ymage / 5 occurrences del’ymage, al ymage 6.26 etc; 6.32 le odour / 6 occurrences de l’odour, 67.6 etc.; 35.8 le orisoun / aucune occurrence avec élision; 63.6 le entrail / aucune occurrence avec élision; 83.29 solom le oscurtee / aucune occurrence avec élision;

119.3 le anguisse / l’anguisse, 111.3; 169.6 le avoir / 6 occurrences de l’avoir, 72.3 etc.

b BURIDANT, Grammaire nouvelle..., p. 107.

Pronoms possessifs

Les pronoms possessifs sont réguliers. Voici les formes: 1. -; 2. -; 3. soen, sa; 4. nos-tre; 5. vosnos-tre; 6. lour. La troisième personne du féminin peut mais ne doit pas s’élider devant voyelle: ainsi on a s’anguise 49.11 et sa anguise 96.4. Le genre de entraile n’est pas clair, toujours est-il que là aussi nous avons tantôt s’entraile 41.2 et tantôt son entraile 41.4, et cela dans une seule et même rubrique.

Morphologie verbale Préfixes

À la lecture du texte, on remarquera la présence de nombreuses formes verbales dont le préfixe a subi un changement au cours de son évolution diachronique, comme par exemple esracez 40.1 pour ʻarracherʼ, espruchee 93.4 pour ʻapprocherʼ, encusera 113.7 pour ʻaccuserʼ, ou encore des noms communs, comme pechement pour empechement 93.3. Pope et Short sont assez brefs quant à l’échange de préfixes en anglo-normand:

Prefixes were often interchanged, e.g. amaier, affraier for e(s)maier, e(s)fraie, envalez for avalez, aplaé for empleié.

Less pervasive but still widespread [features, by which Anglo-Norman can most readily be recognised,] are [...] the interchange and loss of prefixes. a

En effet, les préfixes latins AD- et EX- deviennent, au cours de l’évolution phonétique régulière, [a] pour le premier et [es] puis [e] pour le second. Nous avons vu également (supra, p. 66) que les graphies /a/ et /e/ ne différaient pas rigoureusement dans leur prononciation. Thorn est un peu plus détaillé à cet égard:

un autre fait qui a eu une très grande importance: l’échange de préfixes. Il y a un nombre de verbes assez considérable où le préfixe -si le verbe garde encore un préfixe- est remplacé par un autre. C’est surtout a qui devient ainsi de plus en plus employé, mais dans plusieurs verbes c’est en. Ainsi nous trouvons qu’aujourd’hui confrancir, complaner, complanir sont remplacés par des formes avec a-: affranchir, applaner, applanir etc. Dans plusieurs verbes, commençant par com, a- s’ajoute devant le mot; on ne dit plus compagner mais accompagner, pas compter, complir, mais accomplir etc. En- est remplacé souvent par a-: au lieu de engenioillier, en–

genoillir on a agenouiller, au lieu de engrandir agrandir, au lieu de enmaigrir amaigrir, au lieu de entiédir attiédir etc.b

Selon Rothwell, les homonymies qui en résultent sont cependant loin de déranger un ordre sémantique qui ne demanderait qu’à être rétabli et le français médiéval savoure

a SHORT, Manual..., p. 39.

b Anders Christopher THORN, Étude sur les verbes dénominatifs français, Lund, Möller, 1907, p. 74.

ses homophonesa. Selon lui, il ne s’agirait ni de quelques changements spasmodiquesb, ni de phénomènes purement phonétiques. En effet, les deux théories seraient sérieusement remises en cause par l’utilisation de préfixes cumulatifs (dans notre texte, enemflé 35.16 ou enamenusez 21.3). D’après Rothwell, la valeur du préfixe médiéval en français serait relative et les liens entre la préfixation médiévale et le système latin plus apparents que réels, plus morphologiques que sémantiquesc. Dans la plupart des cas, ce serait le contexte, et non l’étymologie, qui déterminerait le sensd; le préfixe n’ayant en fait pas véritablement de valeur sémantique, puisque par endroits il peut simplement être omise. On aurait assumé avec trop de facilité que le cerveau médiéval réagissait linguistiquement de la même manière que le cerveau moderne à la collision homonymique.

Ainsi, l’existence des formes parallèles qui se trouvent dans le manuscrit B est forte-ment remise en perspective. Si l’on relève plus de verbes avec le préfixe en- que de verbes avec les préfixes a- et e-/es-, cela peut simplement exprimer la préférence personnelle d’un scribef. Notons donc seulement que l’on trouve dans B des formes comme encrue 66.33 pour accrue, enfraunchi 121.9 pour affraunchi, encusee 157.7 pour accusee, espruche 68.20 pour apruche, mais aussi espeschee (31.7) pour empeschee, qui bat en brèche toute tentative d’explication par l’étymologie. Dans un traité rapportant des visages de songes des plus surprenants, le contexte ne sera pas toujours utile pour déterminer le sens. Pour les cas ambigus, nous, lecteurs modernes, avons la chance de pouvoir consulter la tradition. Le public médiéval, lui, savourait peut-être certaines incertitudes produites par les homonymes antonymiques. Les mots concernés par les préfixes multiples sont mis au glossaire sous l’entrée principale choisie par l’AND, avec un renvoi pour les entrées secondaires.

a ROTHWELL, Rectus vindicatus?, pp. 203-204.

b ROTHWELL, Rectus vindicatus?, p. 205, «a few spasmodic changes».

c ROTHWELL, Rectus vindicatus?, pp. 206-207.

d ROTHWELL, Rectus vindicatus?, p. 208

e ROTHWELL, Rectus vindicatus?, p. 216.

f ROTHWELL, Rectus vindicatus?, pp. 206-207, «the choice of one or other of the pair would seem to be dictated less by semantic considerations than by the necessities of metre or by simple personal preference».

Radicaux doubles

Alors que la majorité des verbes possède un radical simple, deux verbes présentent une alternance à voyelle syncopéea, phénomène assez répandu en ancien français, sans que ce soit une particularité anglo-normande: il s’agit de manger et parler. En fréquence absolue on a pour P3: d’une part 14 parle vs 5 parole, d’autre part 80 mangue, 1 mangu (2.3) vs 3 mange et 1 mangeu (83.24).

Infinitif

Quelques infinitifs reflètent la tendance anglo-normande du début du XIIIe siècle à remplacer les terminaisons en -ir par des formes de la première conjugaisonb: dormer (76.3), devener (44.8, devenir 83.11, 138.14), blauncher (8.8), vomer (30.5, 71.6, vomir 0.17.lxxi), obscurer (87.30), senter (0.17.xii). On observe en outre la présence de l’infi-nitif coure (52.5) pour ‛courir’, forme régulière de l’ancien français dont «la forme courir qui a triomphé (analogie de mourir?) n’apparaît qu’à la fin du XIIIe siècle»c, archaïsme qui soutient l’idée d’une copie sur un manuscrit vernaculaire.

Indicatif présent

Par la nature du texte, la plupart des verbes sont à la troisième personne. L’unique P1 (su 68.3) est étonnante mais possibled. Les occurrences de P4, dont la rareté est due à la nature du texte avec ses phrases formulées essentiellement en P3, se terminent en -oms (mettoms 0.16, avoms 6.6 etc.), celles de P5 en -ez (poez 0.16) et P6 en –ount (sount 0.3, ount 78.5, pount 0.16 etc. ). Rien d’irrégulier donc.

Nous relevons en outre les P3 suivantes: noe (‛nager’) 61.15, qui par sa forme et son sémantisme proche de l’eau peut prêter à confusion aver ‛noyer’e; siet (savoir, 0.3) dont la diphtongue est purement graphique (Pope §1223); sout (soloir, 82.19), un «para-digme très peu probable entre 1150 et 1300»f. La forme P3 rees 32.13 avec un -s final

a BURIDANT, Grammaire nouvelle..., p. 242 et Pope §925.

b POPE §1314, BURIDANT, Grammaire nouvelle..., p. 278.

c André LANLY, Morphologie historique des verbes français. Notions générales, conjugaison régulières, verbes irréguliers, Paris, Bordas, 1977, p. 345.

d Cette forme se trouve particulièrement en picard (BURIDANT,Grammaire nouvelle..., p. 280).

e Voir aussi William ROTHWELL «Sink or swim? A homonymic dilemma in Medieval French», Zeitschrift für romanische Philologie, 92 (1976), pp. 386-393.

f BURIDANT, Grammaire nouvelle..., p. 290.

est la forme régulière de *RASARE, lui-même formé à partir du participe passé RASUS, de

RADERE. P3 avec un -s final peut surprendre, mais rees est une autre réalisation graphique possible pour rese, tous deux prononcés [res]a. Pour les P6, seul ont pour oent, de oïr, 77.1, est à remarquer.

Les graphies /a/ et /ad/ du verbe avoir et la préposition /a/

Normalement, la forme ad est réservée à P3 du verbe avoir, comme le confirme Pope (§1210) pour ad (habet) «this spelling was retained because it served to distinguish these words from homonyms». Cependant dans sept occurrences sur un total de 88, ad sert de préposition. Notons que la graphie peut changer de /ad/ à /a/ dans une seule et même phrase, comme par exemple dans 159.1:

36.8 ad graunt ennoy purchacera richesse 67.4 poesté avera et partira ad autres 98.1 Qi porte ewe ad pressour 140.1 Qi jewe od autres ad eschés 140.2 Et qi ad eschees veint

140.4 Si rois ou haut home jewe ad eschés pur veincre 159.1 Eschamel ad dignité et à feme affiert

Inversement, le graphème /a/ semble bien tenir la valeur d’une préposition, que nous avons transcrite par /à/ dans notre édition. Sur la totalité des 427 occurrences, le grapmème /a/ prend seulement 8 fois la valeur du verbe avoir à la troisième personne du singulier, que nous transcrivons par /a/ sans accent, et ceci dans les cas suivants:

4.8 Si home voit aungel et nule parole n’i a 65.10 Si cristiens i a: cristiens avera seignurie.

78.12 Si fruit n’i a: solom l’esperaunce fitz avera 83.39 des hautz q’il a levé perdicion signifie 83.18. s’il l’a allumé et voit

85.7. Et si famine n’i a: si home à joie enricherount.

93.4 Si a la terre espruchee: menour serra la peine 132.13 le penser q’il a perdra et sicom est remeindra 184.2 Si en la meson a acune privee

a LANLY, Morphologie historique..., p. 138.

Participe présent

Utilisation parcimonieuse du participe présent en tant qu’adjectif. Un seul participe accordé au féminin, mais utilisé en tant qu’adjectif, fragraunte (11.7). Quelques rares participes présent accordés au pluriel, mais aussi utilisés en tant qu’adjectifs: survenantz 74.4, chauntaunz 187.4 et 195.3, flaumbauntz 6.14. Dans un des cas, un participe pré-sent utilisé comme tel s’accorde à son sujet: si [formies] de meson issent portauntz greyn, 193.4, ce qui s’inscrit dans le cadre des «formes variables de participe présent qui s’accordent plus ou moins souvent avec des substantifs»a en anglo-normand, alors qu’elles sont invariables dans des manuscrits qui ne proviennent pas de scribes anglo-normands. Notons encore diaunt (19.58), résultat de l’évolution régulière de la suite

«voyelle-[k]-i, e», comme dans DICERE>fr. mod.‛dire’b. Le s dans la forme analogique du participe présent disant est introduit au XIIIe siècle et provient du radical de l’indicatif imparfait (a.fr. diseie), où il est apparu au cours du développement phonétique régulierc. Ce s peut aussi tout simplement avoir été introduit par analogie avec les formes disoit, disons etc.

Participe passé

Les participes passés sont réguliers à quelques exceptions près. À deux reprises, le

Les participes passés sont réguliers à quelques exceptions près. À deux reprises, le