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La théorie phlogistique de Vitruve et ses applications : la théorie atomique des quatre éléments, la composition théorique des calcaires et la atomique des quatre éléments, la composition théorique des calcaires et la

incertum, quasi-reticulatum, et reticulatum)

3. Calx chez Vitruve

3.1. La théorie phlogistique de Vitruve et ses applications : la théorie atomique des quatre éléments, la composition théorique des calcaires et la atomique des quatre éléments, la composition théorique des calcaires et la

chaux (2, 5, 1-3)

Le cinquième chapitre du livre II est consacré à la chaux. On y trouve une volonté « quasi lucrétienne » de Vitruve d’expliquer l’utilisation et la nature des matériaux de construction : notre auteur y exprime son désir de développer des phénomènes complexes au moyen d’une théorie universelle des quatre éléments (principia). Dans ce passage, la pesée des pierres calcaires avant et après leur cuisson lui fournit des données expérimentales sur les manifestations physiques de la chaux : il se sert des méthodes des savants grecs (expérimentation et déduction, cf. Saxum). Mais on se rend compte que les spéculations théoriques de Vitruve sont une des limites du chapitre 5 : il eût été préférable une notice technique, qui soit plus dans la tradition de Caton. Notre auteur ne décrit pas de chaufour et se contente d’une petite phrase pour dépeindre les caractéristiques des calcaires215.

« La chaux [écrit-il en 2, 5, 2] assure la solidité d’une construction quand de l’eau et du sable s’y trouvent mêlés, car les pierres à chaux (saxa), comme tous les autres corps, sont composées des quatre éléments (e principiis). » Vitruve inventorie alors les qualités des

213 T. L. L. III, col. 197-199, l. 22-43.

pierres calcaires qui ont un caractère plus dominant que les autres : « Celles qui ont plus d’air sont tendres ; celles qui ont plus d’eau sont rendues malléables par l’humidité ; celles qui ont plus de terre sont dures ; celles qui ont plus de feu se brisent facilement. » Cette description rappelle les caractéristiques du travertin (2, 7, 1). Mais explique-t-il, ce n’est pas parce que les calcaires contiennent l’élément « feu », qu’ils sont naturellement de la chaux : « Si donc ces pierres (saxa) ont été pilées fin et mélangées au sable (contusa minute mixta

harenae) avant d’être cuites (antequam coquantur), elles ne durcissent pas quand on les intègre

à la maçonnerie et elles ne peuvent pas en assurer la cohésion. » Puis, il précise ce qui se passe dans le chaufour : « Quand les pierres ont été jetées dans un four et qu’elles y ont été soumises à la violence brûlante du feu, elles perdent la qualité de cohérence qu’elles avaient auparavant : il s’ensuit qu’ayant consumé et épuisé leurs propriétés énergétiques, elles ont alors des pores (foraminibus) largement ouverts et vides ». Enfin, en 2, 5, 3, il continue : « Lorsque l’élément liquide (liquor) et l’air (aer) qui sont dans le corps de la pierre ont donc été consumés et dissipés, mais qu’un reste de chaleur y demeure latent (habueritque in se

residuum calorem latentem), si la pierre est plongée dans l’eau avant d’être soumise à la

violence du feu (intinctus in aqua priusquam ex igni uim recepit), elle subit un échauffement quand le liquide pénètre dans les interstices des pores ; la pierre se refroidit ensuite et la chaleur brûlante est ainsi chassée du corps de la chaux. En conséquence, le poids des pierres à chaux que l’on sort du four ne peut pas être égal à celui qu’elles ont au moment où on les y jette : quand on les pèse, et bien qu’elles conservent le même volume, on constate — l’eau ayant disparu sous l’effet de la chaleur — que leur poids est diminué d’environ un tiers. Quand donc leurs interstices et leurs pores sont ouverts, elles agrègent promptement le sable avec elles, forment ainsi corps avec lui, adhèrent, en séchant, aux moellons et assurent la solidité de la maçonnerie. » 216

215 Vitruve II, Introduction, pp. XV-XVII et XXV, p. 91, n. 2 ; Romano 1987, p. 122.

216 Vitr. 2, 5, 2-3 : Quare autem cum recipit aquam et harenam calx, tunc confirmat structuram, haec esse causa uidetur quod e principiis, uti cetera corpora, ita et saxa sunt temperata. Et quae plus habent aeris, sunt tenera; quae aquae, lenta sunt ab umore; quae terrae, dura; quae ignis, fragiliora. Itaque ex his saxa si, antequam coquantur, contusa minute mixta harenae in structuram coiciantur, non solidescunt nec eam poterunt continere. Cum uero coniecta in fornacem ignis uehementi feruore correpta amiserint pristinae soliditatis uirtutem, tunc exustis atque exhaustis eorum uiribus relinquuntur patentibus foraminibus et inanibus. 3. Ergo liquor, qui est in eius lapidis corpore, et aer cum exustus et ereptus fuerit habueritque in se residuum calorem latentem, intinctus in aqua priusquam ex igni uim recepit, umore penetrante in foraminum raritates, conferuescit et ita refrigeratus reicit ex calcis corpore feruorem. Ideo autem, quo pondere saxa coiciuntur in fornacem, cum eximuntur, non possunt ad id respondere, sed cum expenduntur, permanente ea magnitudine, excocto liquore, circiter tertia parte ponderis inminuta esse inueniuntur. Igitur cum patent foramina eorum et raritates, harenae mixtionem in se corripiunt et ita cohaerescunt siccescendoque cum caementis coeunt et efficiunt structurarum soliditatem. Trad. L. Callebat.

3.1.1. Volonté vitruvienne d’une démarche théorique pour expliquer la

chaux

S’il y a une notice dans le traité, qui formule les bases vitruviennes de la chimie et de la physique, c’est bien le deuxième chapitre du livre II : il constitue le texte organisateur de l’ensemble du même livre II, à partir duquel Vitruve énonce les principes de compositions des corps. Dans cette section, l’architecte établit les fondements scientifiques de l’architecture en se fondant sur le système atomique de Démocrite et la pensée néo-pythagoricienne, relayée par Empédocle et Platon des quatre éléments fondamentaux (2, 2, 1). C’est ainsi qu’au paragraphe suivant Vitruve pose la manière dont seront analysés les matériaux : « Toutes choses semblant donc être formées et produites par la rencontre de ces éléments et ces choses ayant été diversifiées par la nature en une infinité d’espèces, j’ai pensé qu’il convenait, envisageant leur variété et leurs particularités, de traiter de l’usage fait de ces choses et de leurs qualités spécifiques dans les constructions, de manière que, les connaissant, ceux qui envisagent de construire ne commettent pas d’erreur, mais se procurent, pour leurs constructions, les matériaux propres à y être utilisés. » 217

Le chapitre 5 est donc l’occasion pour Vitruve d’expérimenter et de corroborer cette théorie selon les conceptions scientifiques de son époque. Pour cela, l’art du feu ou le phlogistique, dont la maîtrise a rendu possible la civilisation humaine (cf. Vitr. 2, 1, 1-2), permet à la fois de cuire les matières comme la chaux et de décomposer les corps en leurs éléments constitutifs. Le four est ainsi un instrument théorique et pratique pour la connaissance des matériaux et leur usage en architecture 218.

3.1.2. La cuisson dans le chaufour et ce qui s’y passe (Vitr. 2, 5, 2-3)

Pour Vitruve, le calcaire saxum a quatre éléments qui déterminent la cohérence de la pierre : aer, terra, ignis, aqua/liquor. Selon leurs proportions, il explique la dureté de ces calcaires. Il les classe ainsi :

— prédominance de l’air (aer) : saxum tenerum « pierre tendre ».

— prédominance de l’eau (aqua) : saxum lentum ab umore « pierre rendue malléable par l’humidité ».

— prédominance de terre (terra) : saxum durum « pierre dure ».

— prédominance de feu (ignis) : saxum fragilius « pierre qu’on peut facilement broyer ».

217 Trad. L. Callebat.

218 Sur l’image lucrétienne des lettres de l’alphabet capables d’engendrer une infinité de mots, qui peut avoir inspiré Vitruve : Lucr. 2, 688-694 et Romano 1987, pp. 125-127 ; Vitruve II, Introduction, pp. XXXIII-XXXV. Sur les quatre éléments : Pellati 1951.

La variation dans la composition précise les diverses propriétés des calcaires. Mais cette explication ne suffit pas à faire prendre un mortier. En effet, d’après cette conception, si ces types de roches contiennent une dose de feu, notamment ceux où cet élément domine et qui peuvent être aisément broyés, la présence de ce principium dans un calcaire n’en fait pas une chaux : d’où la nécessité de cuire cette roche.

Dans le four, le gaz carbonique s’échappe entre 900 et 1000 °C du calcaire et celui-ci devient particulièrement brillant. Le chaufour a alors une couleur orange-jaune. Dans la chimie vitruvienne, ce phénomène pourrait correspondre à la dissipation de l’eau et de l'air et à l’apparition des pores (foramina) dans le matériau.

Ainsi, la transformation du calcaire passe par trois phases : violence du feu (ignis

uehementia) et destruction de la cohérence (soliditas) de la pierre (lapis) ; puis disparition des

éléments liquor « eau » et aer « air » et création d’un « vide » avec formation de cavités (foramina), à l’instar de ce que définit Lucrèce (1, 330) ; dans le troisième temps, présence d’une chaleur (calor) au cœur du bloc. On peut de la sorte en déduire que la chaux vive est un corps plein de trous, incomplet, puisque n’ayant plus que de la terre, du feu et du chaud. C’est une substance chimiquement instable et « vivante ». Le vocabulaire décrivant les réactions (calor, ignis) de cette matière est issu de la théorie des quatre éléments.

Le modèle théorique que Vitruve développe sur la cuisson calcique est applicable également à des phénomènes naturels. Notre auteur (2, 6, 3) explique ainsi que les manifestations volcaniques souterraines sont les mêmes que celles qui se déroulent dans le four: « tout porte à croire que la violence du feu (ignis uehementia) a ôté son humidité (liquorem) au tuf et à la terre (ex tofo terraque), comme elle le fait à la chaux dans les fours (quemadmodum in fornacibus ex calce). » 219 Le volcan se comporte comme un immense chaufour: on y trouve la « violence du feu », qui enlève aux corps leur « élément liquide » (liquor). Les mêmes phénomènes se reproduisent dans la nature (pour la pouzzolane) et dans les fours (pour la chaux), car ce sont des forces identiques qui se manifestent.

De même, en 2, 9, 14, le larix « mélèze » est un bois possédant la propriété de ne pas s’enflammer aisément. Il se consume au contact d’autres bois en feu, comme brûlent les pierres qu’on cuit dans un chaufour (uti saxum in fornace ad calcem coquendam) et il ne produit ni charbon, ni flamme. Vitruve construit un modèle théorique au moyen du four où les phénomènes de calcination et de perte d’éléments premiers durant une cuisson se retrouvent dans la nature. Par ces deux exemples, les occurrences artificielles (coction de la chaux) expliquent les manifestations volcaniques et végétales, car les forces sont les mêmes 220.

219 Trad. L. Callebat.

Vitruve observe par une expérience que le calcaire perd des principia à la cuite. D’après les conceptions scientifiques antiques, l’expérimentation corrobore sa théorie, puisque celle-ci affirme que l’eau et l’air, qui composaient la pierre, sont partis en laissant des pores et que de la chaleur s’y cache (cf. Saxum). De plus, cette théorie permet d’expliquer les phénomènes qui se manifestent au cœur du chaufour.

3.2. Que se passe-t-il dans la fosse d’extinction ? Les réactions chimiques