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Les structurae caementiciae bâties sur mer (5, 12, 3 et 5)

liquidum et bituminosa terra (8, 3, 8-9)

3. Caementum et caementicius chez Vitruve

3.3.2. Les structurae caementiciae bâties sur mer (5, 12, 3 et 5)

Après les ouvrages bâtis sur la terre ferme, le chapitre douzième du livre V du de

architectura est le résumé de plusieurs siècles de construction et d’aménagement portuaire

(môles et consolidation des berges), issu de procédés phéniciens, grecs et étrusques, tout en y ajoutant la connaissance romaine de la structura caementicia, qui permet de construire n’importe où au bord de la mer 116. Le chapitre aborde deux techniques de môle en structura

caementicia : le premier modèle de digue contient, outre le mélange habituel de chaux, et de

moellons volcaniques, de la pouzzolane, tandis que le deuxième a, au lieu de celle-ci, du sable volcanique ordinaire (cf. calx, creta et particulièrement puluis pour une définition de la pouzzolane). Les ingénieurs romains étaient capables de transformer n’importe quelle côte en port, pouvant recevoir des bateaux allant jusqu’à trente tonneaux.

§

Conceptions des môles d’après Vitruve

Première méthode : môle de chaux, de pouzzolane et de moellons (5, 12, 2-3)

Dans ce passage, la fabrication de môles de béton avec la pouzzolane se fait dans l’eau de mer au moyen de coffrages de bois, vraisemblablement réutilisables. Ce béton est constitué de chaux, de pouzzolane et de moellons. Vitruve donne le mode opératoire de la construction des maçonneries maritimes et la confrontation avec l’archéologie soulève encore des problèmes d’interprétation, puisque le texte vitruvien est elliptique sur certains termes.

Matériaux et outils

— puluis a regionibus quae sunt a Cumis continuatae ad promunturium Minervae « poudre/pouzzolane des régions depuis Cumes jusqu’au promontoire de Minerve (Sorrente) » 117.

— calx « chaux vive ».

— materia « liant ». Celui-ci est fait de deux parts de pouzzolane (puluis) et d’une part de chaux (calx).

115 Caton (Agr. 112) et Varron (Rust. 1, 54, 2) l’emploient fréquemment pour le foulage du raisin ou la compression des olives, à la main cette fois, dans des jarres. Vitruve II, p. 114, n. 2.

116 Pour les Etrusques, cf. Cristofani 1989.

117 Le promontoire de Sorrente est considéré comme le promontoire de Minerve : cf.P. Mingazzini et F. Pfister, Surrentum, Florence, 1946, pp. 51-53.

— caementum « tuf volcanique ».

— stipes robusteus « pieu/madrier et planchéiage jointif (entretoise)/banche de chêne-rouvre » 118.

— pièces de charpenterie (solive, planche, entrait, sablière, entretoise…) entrant dans la construction des coffrages.

— mortarium « bassin de corroyage ».

Description du coffrage

— catena « ossature de bois » ; ce terme désigne la charpente supérieure du coffrage (entrait, solive et sablière haute), laquelle « enchaîne » celui-ci. Pour les archéologues, cette ossature permet au coffrage de résister à la pression du béton quand celui-ci est versé 119. H. Schläger indique qu’elle était la dernière structure qu’on installait avant de couler le béton 120.

— transtillum « drague, petite traverse » ou « entrait, solive » ; transtillum est le diminutif de

transtrum « traverse, poutre transversale, entrait, tirant, banc de rameurs », que Vitruve

emploie en 2, 1, 4 ; 4, 2, 1 et 5, 1, 9 121. Pour la plupart des archéologues, transtillum est l’instrument (la drague), alors que pour J. P. Oleson, il s’agit d’une plate-forme, qui est une partie de la catena « ossature de bois », d’où, semble-t-il, les ouvriers nettoient et aplanissent le fond de la mer 122. Dans ce cas, transtillum dénote l’entrait ou le tirant qui maintient le coffrage lors du versement du béton. Par métonymie, transtillum désignerait la catena.

— arcae stipidibus robusteis et catenis inclusae « coffrages faits de pieux de chêne-rouvre et de planchéiage jointif, couverts par une ossature de bois, faite d'entraits, de solives et de sablières hautes ».

Ces coffrages de bois sont bâtis sur terre, puis amenés par remorquage jusqu’au lieu prévu.

Fabrication des môles

— miscere puluerem uti in mortario duo ad unum respondeant « mêler la pouzzolane de telle sorte que dans le bassin de corroyage deux (de poudre) correspondent à une de chaux. »

118 Schläger 1971: « Senkrecht »/« Bohle » ; Oleson 1985: « upright »/« stout post ». D’après Schläger, les ingénieurs romains qui ont édifié les môles du port de Side, ont utilisé les trois techniques que rapporte Vitruve.

119 Schläger 1971, pp. 156-157 et la figure 7, p. 158 et Oleson 1985, p. 171.

120 Schäger 1971, p. 156.

121 Cf. Ginouvès 1992, p. 176 et 178 : « Entrait : poutres transversales horizontales qui relient les murs portants, perpendiculairement à l’axe de l’espace à couvrir (lat. tignum, transtrum). » « Entrait (syn. tirant) : pièce qui, dans la ferme, correspond à la poutre horizontale transversale que nous avons rencontrée supra p. 176, mais cette fois est reliée aux extrémités des pièces obliques qui exercent sur elles une traction (lat. transtrum). »

— arcas stipitibus robusteis et catenis inclusas, in aquam demittere destinareque firmiter « enfoncer dans l’eau et fixer fortement des coffrages de bois faits de pieux de chêne-rouvre et de planchéiage jointif, couverts par une ossature de bois, faite d'entraits, de solives et de sablières hautes ».

— deinde interea ex transtilis inferiorem partem sub aqua exaequare et purgare « puis à l’intérieur du coffrage, aplanir et nettoyer la section inférieure dans l’eau avec des dragues » ou « puis à l’intérieur du coffrage, aplanir et nettoyer la section inférieure dans l’eau depuis l’ossature de bois ».

— et caementis, ex mortario materia mixta quemadmodum supra scriptum est, ibi congerere « procéder par accumulation d’un béton constitué de tuf volcanique et d’un mortier mélangé dans l’auge, comme on l’a décrit supra ».

— observation des réactions chimiques d’extinction de la chaux dans le coffrage : cum tres res

consimili ratione ignis uehementia formatae in unam peruenerint mixtionem, repente recepto liquore una cohaerescerunt et celeriter umore duratae solidantur neque eas fluctus neque uis aquae potest dissoluere (2, 6, 1) « lorsque trois matières constituées, suivant un principe identique, par la

puissance du feu se retrouvent dans un même mélange, par la pénétration brutale de l’eau de mer, ils [tuf, chaux, pouzzolane] forment rapidement un bloc que ni les vagues ni la force de l’eau ne peuvent désagréger ». L’hydratation de la chaux vive par l’eau de mer produit les phénomènes décrits par Vitruve 2, 6, 1 et 4.

— utilisation de dragues et de rabots (ascia) et peut-être de hies, pour homogénéiser les couches de liant et de tuf, après les violences des réactions chimiques.

— complere structura spatium, quod fuerit inter arcas « remplir l’espace dans le coffrage de

maçonnerie ».

— récupération de certaines parties du coffrage pour leur réutilisation dans d’autres structures de môles 123.

D’après les autres textes vitruviens (2, 5, 3 ; 2, 6, 1 et 4), ce passage constitue une application pratique des ieiunitates combinées du moellon de tuf volcanique, de la chaux vive et de la pouzzolane, et il est indéniable que c’est un moellon de tuf volcanique, extrait des mêmes lieux que la pouzzolane. Pour des raisons de commodité, on mélange à sec la pouzzolane et la chaux vive dans l’auge à mortier, car la première, à cause de sa finesse, ne peut pas facilement se mêler à la pâte de chaux éteinte. Après avoir jeté le mélange (chaux vive, pouzzolane, moellon) dans l’eau de mer, la fin des réactions chimiques de l’extinction de la chaux est le signal d’une éventuelle mise en forme sommaire de la banchée au moyen du rabot.

122 Oleson 1985, p. 170.

Deuxième méthode : môle fabriqué sur terre (5, 12, 4)

Il s’agit d'un procédé de fabrication de blocs de béton préfabriqués (pilae), que Vitrvue décrit ainsi. Ceux-ci sont construits sur des plates-formes, qui ont la particularité suivante : « la partie qui part de la terre ou du quai sera une surface plane dont la dimension sera inférieure à la moitié de longueur de la forme. » Il continue : « Le reste de la plate-forme sera un talus qui descendra dans la mer. Sur celui-ci, on construit sur les côtés de petits parements de soutien d’un pied et demi d’épaisseur et de hauteur comparable à la surface plane de la plate-forme. On remplira les parements d’un remplissage de sable. Quand le béton du bloc sera sec, les parements devront être détruits et la mer chassera le sable : ainsi, le bloc glissera dans l’eau. » Enfin, Vitruve souligne que ces blocs mettent au moins deux mois à sécher, ce qui suppose un mortier hydraulique à base de sable volcanique (harena fossicia), comme celui utilisé pour l’opus caementicium sur terre.

Troisième méthode : môles de béton sans pouzzolane (5, 12, 5)

Le troisième procédé de môle fait appel à la chaux, au moellon et au sable volcanique. Il se caractérise par la fabrication d’un béton « ordinaire » dans des coffrages doubles lesquels sont rendus imperméables à l’aide de sacs d’argile (Fig. 14) et dont on vide l’eau avec des vis d’Archimède et des tympans. Les grands moules de bois sont les mêmes qu’en 5, 12, 2-3, mais sont plus élaborés. Le môle est une maçonnerie concrète telle qu’elle se fait sur terre : la base de la jetée est une fondation, sur laquelle il est prévu de construire des bâtiments (un phare, des entrepôts, etc.).

Matériaux et outils

En plus des matériaux cités supra (chaux, planches), on a :

— caementum « moellon, caillou » : tuf volcanique ou autres types de pierre.

— harena (fossicia) « sable (volcanique) » au lieu de la pouzzolane. Ce sable est utilisé dans la construction sur terre.

— creta « argile ».

— erones ex ulua palustri « panier en roseaux des marais ».

— cochlea « limaçon, vis d’Archimède », cf. Vitr. 10, 3, 9 et 10, 6, 1-4 124.

— rota « roue hydraulique », que l’on trouve en 10, 3, 9 ; 10, 4, 3-4 ; et en 10, 5, 1-2 125.

— tympanum « tympan » est une autre roue hydraulique ayant l’inconvénient d’élever l’eau à une faible hauteur 126.

124 Vitruve X, pp. 153-154 ; Fleury 1993, pp. 160-165.

Description du coffrage

Si l’on ne dispose pas de la pouzzolane (puluis), l’emploi de l’harena fossicia s’impose, mais malgré ses réactions pouzzolaniques, Vitruve préfère bâtir au moyen de l’opus

caementicium, comme sur la terre ferme. Cela signifie vider l’eau de mer et donc utiliser un

coffrage rendu étanche par les sacs remplis d’argile.

— destina « paroi fichée, palissade ». Cette palissade, fichée au fond de la mer, se compose de madriers chêne-rouvre et de planchéiage jointif.

— relata tabula « planchette ajustée » ou religata tabula « planchette de liaison, entretoise ». L’adjectif relatis pose un problème d’interprétation : relatus ne permet pas vraiment d’éclairer la signification de la lexie complexe dans ce contexte de charpenterie : « planche retournée » (?) 127. C’est pourquoi la correction de Lorentzen, est intéressante, car religere « lier, attacher » se rapporte à des planches (cf. Caes. Civ. 2, 9, 5 ; 2, 10, 3). En tout cas, cela semble désigner une entretoise reliant les deux parois du moule, au niveau des pieux 128.

— catena « ossature de bois » ; comme pour le coffrage de bois décrit en 5, 12, 2-3, la charpente supérieure (entrait, solive et sablière haute) sécurise la structure de bois. On peut traduire alors arcae duplices relatis tabulis et catenis conligatae « coffrages doubles reliés par des entretoises et par une ossature de bois, faite d’entraits, de solives et de sablières hautes ».

Le coffrage double est bâti sur terre, puis amené par remorquage comme les autres (5, 12, 3).

Fabrication des môles

— arcas duplices rel(ig)atis tabulis et catenis conligatas in eo loco, qui finitus erit, constituere « construire, remorquer et enfoncer sur le lieu choisi, les coffrages doubles reliés par des entretoises et par une ossature de bois, faite d’entraits, de solives et de sablières hautes ». — inter destinas cretam in eronibus ex ulua palustri factis calcare « tasser entre les palissades de l’argile mise dans des sacs faits de roseaux de marais ».

— ita bene calcatum et quam densissime esse « bien tasser et de manière aussi compacte que possible ».

126 Ibid., p. 254 ; Fleury 1993, pp. 151-154.

127 Oleson 1985, p. 170 : il propose « close set planks » (planchettes jointives).

128 Schläger 1971, pp. 157-160 et fig. 8. Les deux corrections proposées sont les suivantes : pour C. Lorentzen (C. Lorentzen, Vitruvius, Text und Übersetzung, (Buch 1-5), Gotha 1857), on corrige en religatis ; pour Krohn et Thielscher (F. Krohn, Vitruvii de architectura libri decem, Leipzig 1912), on propose de latis ou e latis tabulis.).

— tunc cocleis rotis tympanis conlocatis locum qui ea saeptione finitus fuerit, exinanire siccareque « avec des machines hydrauliques (vis d’Archimède, roue hydraulique, tympan), on videra et on asséchera l’endroit qui est délimité par la palissade (du coffrage) ».

— ibi inter saeptiones fundamenta fodere « creuser entre les parois les fondations ».

— si terrena erunt, usque ad solidum crassiora (fundamenta) quam qui murus supra futurus erit,

exinanire siccareque et tunc structuram ex caementis calce et harena complere « si le fond est

terreux, vider, aller jusqu’au solide et mettre à sec, sur une épaisseur plus grande que celle du mur qui doit être au-dessus, et alors remplir avec une maçonnerie de moellons, de chaux et de sable volcanique. »

La structura est donc une maçonnerie concrète comme on le fait sur terre : la base du môle est une fondation, sur laquelle on peut bâtir (5, 12, 6). Le caementum peut être évidemment un tuf volcanique, ou d’autres types de pierre, qu’il serait possible de trouver localement.

§

Fabrications des môles d’après les données archéologiques (Side, Césarée)

Les données archéologiques montrent que les trois méthodes furent plus ou moins utilisées en Méditerranée pour les sites de Side (Asie Mineure) et Césarée (Palestine).

Première méthode

Matériaux et outils

La pouzzolane est la poudre volcanique très fine qui permet à un béton de prendre sous l’eau 129. Au vu de la finesse du matériau, qui est un limon au point de vue de la granulométrie, la courbe de Sötenich devient imprécise, puisque les mesures granulométriques ne sont pas indiquées en dessous de 0,25 mm. La cendre a été importée de Campanie pour les môles de Césarée 130. Toujours pour Césarée, l’analyse des agrégats du béton hydraulique du port a montré qu’il s’agit de tuf volcanique, de pierre ponce, et que ceux-ci pourraient provenir des tufs de Césarée, de Pouzzoles, de Cosa, de Baïa, du lac d’Arverne, etc. Mais les méthodes d’analyse n’ont pas pu le déterminer. Pour le stipes

robusteus « pieu/madrier et planchéiage jointif (entretoise)/banche de chêne-rouvre », H.

Schläger explique que le chêne, de par sa densité lourde, coule bien dans l’eau. Ces pièces étaient enfoncées dans l’eau, mais selon les nécessités de l’approvisionnement, le chêne

129 Blake 1947, pp. 41-44, pp. 308-318.

n’était peut-être pas la seule essence employée : à Césarée, on a utilisé pour les coffrages du pin, du sapin (Picea europea, Pinus, Abies) et du peuplier (Populus) 131.

Le coffrage

Pour les coffrages de bois (arcae) (Fig. 13), ceux-ci sont bâtis sur terre, puis amenés par remorquage jusqu’au lieu prévu. A Side, après le versement du béton hydraulique, le moule était perdu ou bien alors une partie était réutilisée dans une autre structure de moulage de bois 132.

Fabrication des môles

Pour les coffrages, des marques de bois sont visibles sur les blocs de béton à Cosa, Caesara, Side, Leptis Magna et probablement dans beaucoup d’autres ports romains. Pour Oleson et Branton, le versement d'un béton hydraulique dans une structure de bois en mer est une tâche difficile 133. Déjà, le fait de le remorquer, puis le couler sur un terrain préparé ne devait pas être une besogne simple. De plus, il fallait que les structures de bois résistassent à la pression du béton versé.

Le coulage du béton pose des problèmes de logistique : comment les ouvriers le versaient-ils ? D’après Oleson et Branton, les variations de taille et d’irrégularité des tufs volcaniques ne sont pas le signe de l’emploi d’un tube par où le béton aurait été versé 134. Une rigole en « u » aurait pu être employée. Le recours au panier volumineux à deux anses leur semble être un usage probable et l’on peut envisager le cas suivant : une couche de liant est coulée, puis par-dessus une couche de tufs volcaniques.

Deuxième méthode

H. Schläger pense que ce procédé fut appliqué à Side, plus particulièrement pour la partie sud-est du môle ouest du port sud. Les blocs ont 2,25 m de longueur et leur largeur varie entre 1,10 et 1,20 m. La datation serait de 200 p. C. L’ensemble compléterait une installation antérieure du IIe avant notre ère 135.

131 Schläger 1971, p. 156 ; Oleson 1985, p. 168.

132 Schläger 1971, p. 156.

133 Oleson 1985, p. 171. Oleson, Branton 1992, pp. 56-58, 60-65.

134 Oleson, Branton 1992, pp. 60-65.

Troisième méthode

D’après Vitruve, la structura est un opus caementicium de fondation, semblable aux ouvrages terrestres, sur lequel on édifie des entrepôts, etc., mais H. Schläger n’a pas trouvé cet exemple de fabrication de môle à Side 136. À Césarée, cette troisième méthode n’a pas été attestée en tant que telle, mais les fouilles ont montré qu’une technique de coffrage dérivée du système de double palissade a été employée.

J. P. Oleson fait plutôt la différence entre ce que décrit Vitruve et les jetées qu’on a découvertes dans le port. Les grands moules de Césarée étaient aussi constitués d’une double paroi et ne pouvaient pas être enfoncés au fond de l’eau : leur base était une lourde sablière basse. Au lieu de sacs d’argile pour empêcher l’eau de mer de pénétrer, comme préconisés par Vitruve, les ingénieurs romains ont mis du mortier pouzzolanique dans les cavités du moule biparti ; lors de l’engloutissement, cela permettait de contrôler la descente de la structure de bois jusqu’au fond 137. Le mortier a un aspect bleu-vert et contient de larges particules de tuf, pierre ponce et de chaux. Les stries du béton montrent qu’il fut coulé dans les cavités dans un état semi-liquide 138. De plus, cette sorte de moule n’était pas prévue pour être imperméable: en l’absence de plancher ou de pieux dépassant le niveau marin, l’eau de mer aurait filtré à travers le sable sous les traverses de liaison et aurait envahi la zone clôturée sitôt que celle-ci aurait été retirée.

La jetée de Césarée est un mélange des procédés vitruviens: double coffrage du troisième type et béton hydraulique, mentionné dans la première méthode. On peut supposer qu’à cause de la nature du fond marin, les ingénieurs romains ont adapté leur mode de construction à la configuration du terrain. Dans le chapitre douzième du livre V, Vitruve précise ce qu’il avait écrit en 2, 6, 6, à savoir que la pouzzolane est employée uniquement pour les ouvrages maritimes et les sables volcaniques pour les édifices ordinaires : la cendre rocheuse est bien utilisée dans les môles de Césarée et confirme donc le texte du traité d’architecture.

Les deux notices techniques de 8, 6, 14 et de 5, 12, 3-4 sont assez détaillées pour qu’il soit possible de distinguer les phases de construction sans trop de difficulté. Elles décrivent l’érection de deux maçonneries concrètes, l’une terrestre et l’autre marine. Déjà, en 2, 6, 6, Vitruve avait fait la différence entre les bâtisses effectuées sur la terre ferme (in terrenis

aedificiis) et les ouvrages en mer (in maritimis molibus). La précision des notices s’explique par

la présence de la chaux dans le mode opératoire et l’insistance sur le mélange intime avec un

136 Schläger 1971, p. 160.

137 Oleson 1985, pp. 167-170 ; Oleson, Branton 1992, pp. 60-65 et 66. J. P. Oleson (p. 171) pense que le pieu (destina) était placé à l’intérieur de la double paroi - l’argile était inter destinas - ce qui n’est pas le cas de la figure 8 de H. Schläger.

réactif (pouzzolane, sable volcanique) lequel est indispensable pour la prise de la structura

caementicia. De plus, l’application de la courbe de Sötenich permet de déduire la quantité des

agrégats dans le liant.

3.4. Exposé taxinomique des structurae caementiciae dans le

huitième chapitre du livre II (2, 8, 1-2, 5-7)

Le huitième chapitre du livre II inventorie des techniques de construction et plus particulièrement des types d’appareil 139. Les citernes signiennes et les môles répondent de toute évidence à des exigences de solidité et d’utilité : l’agrément de ces ouvrages d’art reste secondaire dans le discours vitruvien, puisque ces derniers sont enterrés ou submergés. En revanche, les appareils architecturaux du chapitre huit sont d’usage plus courant et peut-être à cause de cela, doivent se conformer, non seulement à ces deux exigences, mais aussi à la troisième : la beauté. Le théoricien énumère, juge et classe ces structurae caementiciae d’après ces critères. Alors qu’en 2, 7, 1, le moellon n’était qu’un matériau utilitaire, extrait des carrières, (caementorum copiae), le caementum acquiert ici une légitimité : il devient un élément structurant et esthétique, qui hiérarchise les maçonneries entre elles.

3.4.1. Genus incertum et genus reticulatum d’après Vitruve (2, 8, 1)