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Chaux pour falsifier les couleurs (7, 9, 5)

incertum, quasi-reticulatum, et reticulatum)

3. Calx chez Vitruve

3.2. Que se passe-t-il dans la fosse d’extinction ? Les réactions chimiques d’après Vitruve d’après Vitruve

3.4.2. Chaux pour falsifier les couleurs (7, 9, 5)

Pour les auteurs anciens, la calx sert à contrefaire des matières premières. En 31, 114, Pline le Naturaliste indique que le natron est dénaturé en Égypte avec de la chaux, ce qui se détecte au goût : la substance naturelle fond tout de suite, alors que le produit falsifié pique et donne une forte et amère odeur (Adulteratur in Aegypto calce, deprehenditur gustu. Sincerum

enim statim resoluitur, adulteratum pungit calce et aspersu reddit oderem uehementer) 244. De même, en 7, 9, 5, Vitruve écrit que la chaux sert à frelater le cinabre : « Pour éprouver le cinabre suspect, il faut le cuire sur une plaque de fer (ferrea lamna) jusqu’à ce que la plaque soit chauffée à blanc (donec lamna candescat). Après cela, la couleur aura viré au noir, on retire la plaque du feu, et si après refroidissement le cinabre reprend sa couleur première, celui-ci sera sans défaut (sine uitio esse probatur) ; si à l’inverse le cinabre garde cette couleur noire, c’est la preuve qu’il est altéré avec de la chaux (significabit se esse uitiatum). » 245 Le chimiste K. C. Bailey, commentant le texte du Naturaliste (Nat. 33, 121), indique qu’une mixtion de cinabre (HgS) et de chaux, chauffée violemment dégage du mercure et noircit de manière durable 246.

241 Cf. J. Alarcaõ et R. Etienne, Fouilles de Conimbriga, I, Paris, 1977, p. 32 ;Frizot 1977, p. 46. 242 Moore 1995, p. 217.

243 Malinowski 1979. 244 Cf. Davidovits 2004.

245 Trad. B. Liou et M. Zuinghedau.

3.5. Evolution de la chaux depuis Pline l’Ancien (Nat. 36, 174)

Écrivant à peu près un siècle après Vitruve, Pline (Nat. 36, 174) dresse une liste plus vaste des pierres calcaires que notre architecte. D’abord, « Caton le censeur condamne la chaux tirée de pierres de couleurs différentes (e uario lapide). La meilleure est extraite de la pierre blanche (ex albo melior). » Cette condamnation de Caton pouvait valoir pour la dolomie et non pas pour un calcaire siliceux ou argileux, qui aurait donné une chaux hydraulique, satisfaisante pour cet auteur. Puis le Naturaliste reprend la distinction de Vitruve, datant du premier siècle avant J.-C., correspondant aux chaux hydrauliques pour les bâtiments et aux chaux grasses pour les enduits: « La chaux provenant de pierre dure ((lapide) duro) est davantage indiquée pour la construction (structurae utilior), celle issue de pierres poreuses (ex

fistuloso) davantage pour les enduits (tectoriis) ». Mais là où Pline se démarque de ses

prédécesseurs (Caton l’Ancien et Vitruve), c’est lorsqu’il ajoute cette précision: ad utrumque

damnatur ex silice « Pour l’un et l’autre usage, on rejette celle provenant de la silice. » 247

La traduction de R. Bloch reste vague, dans la mesure où il reprend en partie l’interprétation et le commentaire de l’irlandais K. C. Bailey. Celui-ci renonce, dans le paragraphe 168 à trouver en anglais un équivalent à silex, car il semble difficile d’en donner un sens satisfaisant 248. De plus, le commentaire de 36, 174 issu du traducteur anglais D. H. Eichholz, qui a établi l’édition des livres XXXVI et XXXVII de l’« Histoire Naturelle » de Pline dans la collection Loeb, indique que ex silice peut désigner un tuf calcaire, ce qui est logique et non pas une lave ou des pierres volcaniques. Mais pourquoi le Naturaliste condamne-t-il la chaux tirée du silex, alors que Vitruve la recommande pour les gros travaux ?

On peut donner deux explications. D’abord, ad utrumque (usum) damnatur ex silice est traduit par « pour l’un et l’autre usage, on rejette celle provenant du silex », mais on pourrait aussi interpréter ce passage par ad utrumque (tectorium) damnatur ex silice « pour l’usage des deux types d’enduits (enduit de sable et enduit de marbre), on rejette la chaux provenant du

silex ». L’enduit de sable est appelé harenatum, chez Vitruve (7, 3, 5; 7, 3, 11; 7, 4, 1; 7, 4, 3)

tandis que celui de marbre marmoratum se trouve chez Varron (Rust. 1, 57, 1; 1, 59, 3; 3, 7, 3) et Pline (Nat. 36, 176).

La première traduction est la plus logique et c’est celle qui est la plus communément admise. Silex peut désigner, chez Vitruve un calcaire compact (lithographique, silexoïde), fournissant une chaux hydraulique ou une dolomie. Mais depuis Vitruve, l’activité édilitaire d’Auguste puis de ses successeurs a changé la physiologie de Rome. L’empereur est devenu le principal commanditaire pour les grands travaux, et on reconnaît la nécessité d’une standardisation et la production en immense quantité des matériaux de construction

247 Plin. Nat. 36, 174: Quae ex duro, structurae utilior; quae ex fistuloso, tectoriis; ad utrumque damnatur ex silice. Trad. R. Bloch.

fabriqués et mis en oeuvre par une main-d’œuvre servile et peu formée. La création de la curatelle des édifices publics dans les années 20 avant notre ère contribue à choisir et à se servir d’un sable volcanique normalisé (Trois Fontaines à Rome) et d’un moellon standard (Saxa Rubra). De fait, les réalisations les plus impressionnantes de la maçonnerie concrète, comme le second Panthéon et sa coupole (construit entre 118 et 125 p. C.) (Fig. 17) et les fastueux thermes de Caracalla occupant un espace de 330 m sur 400 (bâtis de 212 à 217 p. C.), nécessitaient aussi une standardisation de la préparation de la chaux. La chaux de l’époque de Pline l’Ancien est aérienne et il n’est nul besoin de produire de la chaux hydraulique, car les Romains ajoutent de la testa au mortier, et, dès la période de Néron, la généralisation du liant de testa permet le développement de l’opus testaceum, symbolisant l’architecture impériale romaine 249.

De fait, on constate que le Naturaliste (Nat. 36, 174) poursuit la liste des calcaires et que ceux-ci fournissent des chaux aériennes : « Préférable est la chaux faite de pierres extraites à celle provenant de pierres ramassées sur les rives des cours d’eau. La meulière fournit une chaux meilleure parce que sa nature est plus grasse. » 250

4. Conclusion

De toute la littérature latine, Vitruve donne le corpus le plus important du terme calx « chaux ». Vitruve en consacrant le chapitre 5 du livre II à cette substance artificielle montre que la connaissance physico-chimique des matériaux précède toujours leurs usages en architecture. Sa théorie néo-pythagoricienne des quatre éléments est la conception antique la plus à même d'expliquer les phénomènes de calcination aussi bien synthétique (chaufour) que naturelle (volcanisme). Il donne deux définitions de la chaux : une « traditionnelle » (calcaire calciné) et une « scientifique ». La calx est un corps poreux, que la violence du feu a rendu incomplet, car n’ayant plus que de la « terre », du « feu » et de la chaleur. C’est une substance instable, dont on rétablira l’équilibre en mêlant de l’eau et du sable volcanique ou de la testa. C’est ce juste dosage entre chacun de ces composants dans le liant, que Vitruve appelle ratio mixtionis temperaturae. En outre, la théorie néo-atomiste de la chaux inclut la notion de ieiunitas laquelle explique les phénomènes d’extinction et de prise. Les forces physiques, se produisant à l’intérieur du chaufour, constituent un modèle d’explication du volcanisme souterrain (2, 6).

La maceratio « trempage, extinction » fait perdre à la chaux vive sa chaleur cachée, car l’irruption de l’eau (liquor/umor) dans les porosités du bloc déclenche l’effervescence

248 Bailey 1932, p. 271. 249 Adam 1995, pp. 83-84.

(deferuescere) du matériau. L’expression désignative à deux termes calx uiua « chaux vive » employée par Vitruve est assurément un syntagme de métier pour caractériser cette matière « vivante ». Une calx euanida « sans force » et siticulosa « desséchée » dénote une chaux insuffisamment éteinte. Euanida et siticulosa sont des termes savants pour décrire l’état du produit à la sortie du four. Dans l’esprit de Vitruve, la cuisson a dissipé des principia dans cette substance que l’extinction lui fait regagner. L’application d’une « règle de l’extinction » (ratio macerationis, 7, 2, 2) aboutit au mûrissement du matériau qui atteint un point d’équilibre (temperata).

La notion de ieiunitas, qu’on pourra comparer à une instabilité chimique, explique le comportement de la chaux, dès la sortie du chaufour, jusqu’à sa carbonatation (prise). Le théoricien présente ainsi le durcissement du mortier avec la théorie néo-pythagoricienne des quatre éléments. Il classe le produit selon les usages : chaux hydraulique pour le bâtiment et chaux aérienne pour les enduits. Cette distinction sera utilisée par les auteurs postérieurs, mais sera complétée par une liste de calcaires fournissant de la chaux aérienne, qui sera prédominante dans l’architecture romaine.

6. Carbunculus