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Comment déterminer le type et la qualité de la chaux

incertum, quasi-reticulatum, et reticulatum)

3. Calculus et calculosus chez Vitruve

3.2.1. Comment déterminer le type et la qualité de la chaux

Si l’extinction de la chaux est comprise conventionnellement comme une nécessité dans la fabrication du mortier pour éviter des phénomènes de gonflement et de dislocation après la prise, il est normal, sur un chantier, d’en éprouver la qualité afin d’établir si elle est appropriée pour l’usage auquel le maçon la destine (enduit, maçonnerie) 197. L’opération est faite soit sur le lieu de construction soit dans la carrière si le chantier ne dispose pas de l’espace suffisant, dans une fosse ou un bassin, tous deux plus ou moins aménagés 198. Pour l’épreuve, il s’agit de déterminer, si la chaux est, soit aérienne ou hydraulique, soit maigre (dolomitique ou argileuse). L’extinction d’échantillons fournira aux maçons toutes les indications auditives et visuelles nécessaires.

Ajouter de l’eau (H2O) à la chaux vive ordinaire (CaO) provoque l’apparition d’une température qui peut s'élever jusqu'à 400 °C, mais elle est généralement comprise entre 150 et 200 °C. On observe alors le foisonnement de la chaux vive (quam uehementissima, « la plus réactive possible » Vitr. 8, 6, 14), c’est-à-dire, pratiquement, la désagrégation des blocs de chaux vive (glaeba calcis, Vitr. 7, 2, 1) en une poudre fine, blanche et sèche : la chaux éteinte (Ca(OH)2). Durant l’opération, l’hydroxyde de calcium triple de volume et aucune vapeur ne doit se dégager, auquel cas cela signifierait qu’elle est trop cuite. Ainsi, plus le taux de calcium est important, plus les réactions chimiques sont fortes et plus il faut de l’eau pour l’extinction : celle-ci est rapide. Deux litres d’eau sont nécessaires pour éteindre 1 kg de chaux vive.

Les réactions de la chaux dolomitique ne sont pas aussi impressionnantes. Mélanger de l’eau à des oxydes de magnésium et de calcium donne de l’hydroxyde de magnésium

196 Trad. B. Liou et M. Zuinghedau. 197 Adam 1995, p. 76.

(Mg(OH)2) et de l’hydroxyde de calcium (Ca(OH)2). On observe peu de foisonnement et peu de chaleur pour ce type de chaux : l’extinction est plus lente, car il y a peu de réactions chimiques. En conséquence, la quantité d’eau est bien moindre : 1,25 l pour 1kg d’oxydes de magnésium et de calcium. La chaux dolomitique a moins de réactivité chimique que la chaux pure.

Ainsi, l’observation des réactions chimiques peut fournir une première estimation du type testé de chaux. Ensuite, le temps d’extinction produit des données complémentaires. On peut déterminer celui-ci de manière suivante :

— extinction en moins de 5 min. : chaux aérienne ou hydraulique ; — extinction de 5 à 30 min. : chaux magnésique moyenne ;

— extinction de plus de 30 min. : chaux dolomitique.

Cet essai montre la lenteur d’extinction de la chaux dolomitique. Si celle-ci a été insuffisamment éteinte, l’enduit, qui la contient, absorbe lentement l’humidité de l’air, et cette chaux continue ainsi son extinction. Après un temps long, il peut se former les nodules ou calculi, lesquels appliquent une pression suffisante sur l’enduit, qui se gonfle et se fissure 199. En fonction de ces essais de calcination et de macération et de l’usage qu’il veut faire du matériau, le maçon choisit donc des blocs de chaux (glaebae calcis) d’une excellente (optimae) qualité.

3.2.2. Extinction « ordinaire » ou « à grande eau » (maceratio) (Vitr. 7, 2,

1-2)

En général, le chaufournier éteint lui-même la chaux vive dans une fosse ou la vend au maçon qui pratique l'opération près du lieu de travail : le procédé de détrempage le plus courant et le plus ancien est alors l’extinction « ordinaire » ou « à grande eau » 200. C’est la méthode adoptée par Vitruve en 7, 2, 2 pour la chaux destinée aux enduits. Dans ce paragraphe, se trouvent les termes maceratio « macération, extinction, détrempage », macerare « éteindre », maceratus « trempé, éteint » et permacerare « macérer entièrement, éteindre complètement » qui indiquent le même processus de trempage, ou « macération » pour l’extinction de cette matière.

198 Adam 1995, pp. 75-76 ; Moore 1995, pp. 60-61. 199 Moore 1995, p. 61.

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Le lacus « fosse d’extinction »

Pour les enduits, notre architecte a besoin de « blocs de chaux vive d’excellente qualité » (optimae glaebae calcis) et d’un rabot (ascia). Pour l’extinction, on se sert d’un lacus « bassin, fosse d’extinction ».

Dans le lacus, on brasse régulièrement, jusqu'à dislocation complète, l’eau et la chaux des particules composant celle-ci. Il se forme alors une pâte onctueuse, mais encore fluide, qui est ensuite versée dans des bassins. L'eau excédentaire est éliminée par évaporation et par filtrage dans le sol naturel. Après quelques jours de repos, la pâte devient blanche, crémeuse et souple, mais son séjour doit être prolongé afin que les processus de cristallisation arrivent à maturation.

Comment se présente le lacus vitruvien ? Il peut s’agir d’un espace circulaire remblayé par du sable, de fosses creusées dans le sol ou de grandes caisses de bois, qui communiquent entre elles. La mesure de la profondeur oscille entre une quinzaine et une trentaine de centimètres. Archéologiquement, on possède des exemples de petites excavations quadrangulaires, à cuvelage de planches de bois ou de dalles de terre cuite, pour l'extinction et, s'il y a lieu, pour la conservation de la chaux. On a découvert trois bacs, à la villa de Touffréville (Calvados) qui est bien connue pour l’activité de fabrication de chaux, probablement abandonnée dans la seconde moitié du Ier siècle p. C. De même, à Molesme « Sur-les-Creux » (Bourgogne), on a trouvé une fosse quadrilatérale d’extinction (1,52 x 1,28 m), datée vraisemblablement du Ier siècle p. C., aux angles arrondis, à parois verticales et fond plat, conservée sur une profondeur voisine d’une quarantaine de centimètres. Ce fond était constitué de sept planches de sapin grossièrement juxtaposées et les cloisons étaient faites de planchettes 201.

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Quantité d’eau

L’eau est versée sur la chaux ou la chaux est versée dans l’eau 202. L’architecte J. Rondelet rapporte que cette dernière méthode, utilisée à Paris au XIXe siècle, pouvait donner l’habitude aux maçons d’éteindre la chaux avec une trop grande quantité de liquide, sous prétexte de la faire couler du bassin depuis lequel on l’éteint, dans celui où on la conserve.

201 Coulthard 2000; D. Lavergne et F. Suméra, « La fabrication de la chaux: une activité pérenne ou occasionnelle pendant l’Antiquité gallo-romaine ? Premiers éléments de réponse », in Arts du feu et productions artisanales, XXe rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, 21-23 octobre 1999, édit. P. Pétrequin, P. Fluzin, J. Thoriot, et P. Benoit, Antibes, 2000, pp. 99-130 ; C. Petit, P. Wahlen, Le site de Molesme « Sur-les-Creux », année 2000, rapport de fouilles de la campagne 2000, cité par Coutelas 2003, p. 69.

De plus, ce procédé tend à diminuer sa qualité et à la faire foisonner davantage 203. Pour le processus de détrempage, le contingent d’eau n’est pas mentionné par les auteurs anciens. En général, les maçons doublent le volume d’eau par rapport à celui de la chaux vive pour l’extinction, afin d’obtenir une pâte que l’on pourra travailler. D. Moore a observé qu’une unité de volume d’oxyde de calcium donnait 2,25 unités de pâte 204.

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Temps d’extinction pour éviter les crudi calculi

Vitruve (7, 2, 1) constate ce qui se passe quand on ne détrempe pas assez une chaux (magnésique ou calcique) : « Car si l’on prend de la chaux qui n’a pas été détrempée à fond (non penitus macerata), et qui est encore trop fraîche (recens), et qu’elle entre dans la composition d’un enduit alors qu’elle recèle des nodules incuits (crudos calculos), elle provoque des soufflures (pustulas). Et ces nodules (calculi), continuant leur trempage lors même qu’ils sont noyés dans la construction (in opere uno tenore cum permacerantur), désagrègent et détruisent les couches de finition de l’enduit (dissoluunt et dissipant tectorii

politiones). » 205 Seulement, il n’indique aucune explication quant au temps d’extinction : il se contente d’écrire un vague « longtemps » multo tempore. Pour éviter les nodules, il faut continuer le détrempage jusqu’à son terme (maceratio diuturna) comme le conseille Vitruve (7, 2, 2) : elle peut aller jusqu’à vingt jours chez les chaufourniers. L’autre solution, que ne mentionne pas notre auteur, consiste à faire passer la pâte semi-liquide de chaux par un crible, de la fosse d’extinction à celle de conservation 206.

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Conservation de la chaux éteinte (Pline, Nat. 36, 176)

De l’eau d’extinction, de la terre ou du sable mouillé peuvent recouvrir la chaux afin que le dioxyde de carbone de l’air n’entre pas en contact avec l’hydroxyde de calcium. Si celui-ci n’est pas couvert, il peut y avoir une croûte de calcite à la surface qui constitue une protection naturelle contre une carbonatation trop précoce de l’ensemble. La conservation peut être d’un an 207 ou de trois : Pline (Nat. 36, 176) mentionne que la chaux du mortier (intrita) est d’autant meilleure qu’elle est ancienne. Il cite une loi édilitaire interdisant l’usage d’une chaux de moins de trois ans.

203 Rondelet 1842, p. 151. A cela, il ajoute que la chaux produite à Paris était insuffisamment cuite, car les vendeurs étaient obligés de la garder un certain temps. Une chaux bien calcinée ne se conserverait pas si elle avait le degré de cuisson convenable pour être employée tout de suite.

204 Moore 1995, p. 202.

205 Trad. B. Liou et M. Zuinghedau. 206 Moore 1995, p. 61.