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Comment se forment les incuits dans un chaufour

incertum, quasi-reticulatum, et reticulatum)

3. Calculus et calculosus chez Vitruve

3.1.2. Comment se forment les incuits dans un chaufour

La cuisson de la chaux est un processus long et délicat. Vitruve (2, 5, 2) mentionne de manière allusive le chaufour, comme dans saxa in fornacem coicere « jeter les pierres dans le

188 Forbes, 1963, p. 90 ; cf. l’étude des acides ou des solvants chez Pline : Healy 1999, pp. 130-133.

189 Cf. Lamprecht 1996, pp. 61-63 : l’échantillon nº 1, issu d’un mur de Saaburg à Taunus contient de la chaux dolomitique; de même les échantillons nº 44 et 45, tirés de la muraille de Cologne (daté de 50 à 69 p. C.) contiennent de la chaux dolomitique et de la pouzzolane.

four », mais il n’en parle pas outre mesure. La description la plus complète est celle de Caton l’Ancien (Agr. 38, 1-4). La fornax calcaria est bâtie par le chaufournier (calcarius) si possible près de la carrière ; cette installation est creusée (ubi satis foderis) au pied d’une pente au mieux pour disposer d’un accès commode en partie basse pour le foyer et en partie haute pour le chargement et le déchargement 191. Le chaufour peut être un puits foré en terre (Ov.,

Met. 7, 107, terrena fornace) dont le sommet est maçonné en brique ou en moellon. Le client ou

maître d’oeuvre (dominus) fournit la pierre calcaire (lapis) et le bois (ligna) pour la cuisson (cf. Cato Agr. 16). Il est implanté, habituellement, à proximité des carrières de calcaire. Néanmoins, des indices archéologiques montrent l'éventualité de productions artisanales de chaux par des batteries de fours dans des contextes ruraux 192. Il se pourrait aussi que l'importance de certains chantiers ait nécessité la présence de chaufourniers sur place. Plus que la nature du combustible, la conduite du feu est déterminante pour la réussite de la fabrication de ce matériau. Lors de l’allumage, il est d’usage de faire progressivement monter la température, pour éviter tout phénomène d'éclatement des blocs calcaires et donc l’écroulement du remplissage du four 193.

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Que se passe-t-il dans le four?

Le chaufour doit être allumé lentement. Le maintien de la chaleur est un facteur important pour obtenir une bonne chaux et toute variation dans la cuisson risque de corrompre cette qualité. Le calcaire ou la dolomie se comportent de manière différente quand ces deux roches atteignent leur température de libération du gaz carbonique. À 900 °C, le calcaire (CO3Ca) libère son dioxyde de carbone (CO2) et l’on a de l'oxyde de calcium (CaO) ou « chaux vive ». Si l’on calcine de la dolomie (MgCO3), celle-ci perd son CO2 à 610 °C : le résultat de cette combustion donne alors l’oxyde de magnésium (MgO). Si l’on chauffe en dessous de 900 °C, avant que le CO2 ne se dissipe, le calcaire ne se transforme pas en chaux : ces sont les « incuits » ou « pigeons ». A l’inverse, au-dessus de 1000 °C, on a de la « chaux brûlée », qui est inutilisable. Elle est plus dense que la chaux vive et est 40 % plus petite en volume. Pour D. Moore, parler de chaux « brûlée » pour des fours romains est une hypothèse académique, car elle s’obtient à 1650 °C, seuil qui ne pouvait pas être atteint à cette époque 194. En fait, le calcarius doit maintenir une échelle entre 900-1000 °C aussi longtemps que possible pour garantir la qualité de la cuisson (cf. Cato Agr. 38, 4).

191 Adam 1995, pp. 70-72 ; Moore 1995, pp. 59 sq.

192 Coulthard 2000; Coutelas 2003, pp. 65-66.

193 Cf. F. Suméra et E. Veyrat, « Les fours archéologiques de «Brétinoust», commune de Sivry-Courty (Seine et Marne) », Rev. Arch. Centre, n°36, 1997.

D’une manière générale, le chaulier, comme le céramiste, peut se fier à sa vue. Dans le four, la température, où le gaz carbonique s'échappe (900-1000 °C), se caractérise par une couleur orange-jaune 195. Tant que le dioxyde de carbone n'est pas sorti du calcaire, l’intérieur du chaufour aura une chaleur rouge terne, mais lorsque le CO2 part, la pierre devient particulièrement brillante.

Au total, la durée totale du cycle (four/chargement/cuisson/déchargement) est de deux à trois semaines environ. L’ouverture de l’installation thermique et le déchargement prennent de trois à sept jours, tout comme la calcination. Tout ce mode opératoire est ainsi une affaire d’artisans spécialisés : la difficulté de maintenir le feu durant quelques jours à la bonne température nécessite un réel savoir-faire. Bien évidemment, le calcaire incuit résultera d’une baisse brutale de la chaleur due à des facteurs divers (faute du chaufournier, pluie, réduction du délai de coction, etc.), et aussi de la place des blocs dans le four : ceux du sommet, en moindre contact avec les flammes, seront moins cuits que ceux de la base.

Ces incuits ne devraient pas se trouver dans le circuit économique : ils seraient alors éliminés si les maçons choisissaient leur matériau avec soin. Et l’on ne comprendrait pas pourquoi Vitruve conseille un trempage prolongé de calcaires qui n’ont pas été transformés en chaux. En revanche, les pierres mal cuites et la dolomie calcinée à 610 °C nécessitent d’éprouver sur le chantier ou dans la carrière leur qualité de liant. De la sorte, ils peuvent être à l’origine de calculi au moment de l’extinction.

3.2. Ratio macerationis « règle d’extinction de la chaux » et calculi « incuits

de la chaux » (7, 2, 2)

Vitruve (7, 2, 2) continue d’expliquer l’extinction de la chaux. Souvent citée, cette notice du De architectura est en effet la seule de sa catégorie dans la littérature technique latine. Vitruve poursuit : « Mais quand on aura observé la règle du trempage (ratio

macerationis) et fait avec beaucoup de soin ce travail préparatoire aux opérations de

revêtement, on prendra un rabot (ascia) et, de même que l'on dole le bois, de même on corroiera avec le rabot la chaux détrempée dans son bassin. Si le rabot rencontre des nodules (calculi), c’est que la chaux ne sera pas à point (non erit temperata); si le fer sort sec et propre, cela indiquera qu'elle est amorphe et desséchée ; mais si elle est pâteuse et bien détrempée,

195 H. Norsker, The self-reliant Potter: Refractors and Kilns, Friedr Vieweg and Son Publisher, Braunschweig, 1987, p. 119; Moore 1995, p. 59 ; les couleurs dans le four sont des indicateurs de température : intensité la plus faible du rouge, visible la nuit = 470 °C ; intensité la plus faible du rouge, visible le jour = 550 – 650 °C ; rouge cerise foncé / rouge = 650 - 750 °C ; rouge cerise lumineux = 750 – 815 °C ; rouge cerise lumineux / orange = 815 – 900 °C ; orange / jaune = 900 – 1090 °C ; jaune / jaune clair = 1090 – 1315 °C ; jaune clair / blanc = 1315 – 1540 °C ; blanc / blanc bleuâtre = 1540 °C

elle adhérera à cet outil de fer comme de la glu et prouvera qu'à tous égards elle est à point. » 196

En 7, 2, 1, Vitruve avait évoqué la ratio macerationis « règle d’extinction de la chaux » : le but de l’extinction (maceratio) est de contraindre (coacta) la chaux à perdre son bouillonnement (deferuere) par la pénétration de l’eau (liquore) et d’attendre que ce processus arrive à son terme (uno tenore concoquere). Cette simple règle manque de précision concernant le temps de macération et de repos. Après la mention de la ratio, il esquisse quelques cas particuliers pour déterminer la nature de la pâte. Le test de qualité est la première partie de la préparation du mortier avant l’ajout des agrégats. Il sera examiné dans quelles conditions les nodules (calculi) peuvent apparaître durant le processus de détrempage lorsque celui-ci n’est pas fait correctement.