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5. Les phases lamellaires dans les membranes : gel, liquide et gel-ondulée

5.4 Phase ondulée

Le concept de micro-domaines et de radeaux dans la membrane a été développé durant la dernière vingtaine d’années et le rôle de l’arrangement de lipides dans les fonctions cellulaires a aussi été démontré (Kai Simons and Gerl 2010; Kai Simons and Sampaio 2011; Tardieu, Luzzati, and Reman 1973). Une caractéristique remarquable des lipides est leur capacité à combiner en une phase ordonnée ou désordonnée des propriétés spécifiques avec des répercussions sur les fonctions des membranes biologiques. Les diagrammes de phases donnent de nombreuses informations. Ils permettent de déterminer dans quelles conditions de température et d’hydratation les lipides sont miscibles (phase unique) ou non-miscibles, ce qui implique la coexistence de plusieurs phases. La Figure 16 montre une partie du diagramme de phase de la

phosphatidylcholine (PC) extraite de l’œuf qui contient diverses chaînes acyle. Dans ce cas particulier, la PC peut se trouver en phase Lα ou Lβ en fonction de la température et du degré d’hydratation (Figure 16).

Figure 16. Diagramme de phase de PC d’œuf. Les régions représentant une phase sont hachurées. (Tardieu, Luzzati, and Reman 1973). La phase C est une phase cristalline tri-dimensionnelle, la phase Q est cubique, la phase R rhomboédrique, la phase H hexagonale, et les phases L sont lamellaires.

Dans de mélanges de lipides, la coexistence d’états gel et liquide a été décrite dans différents articles (Heimburg 2000; Leibler and Andelman 1987; Marder et al. 1984; Rappolt et al. 2000). La coexistence de domaines désordonnées et ordonnés au sein d’une même vésicule a également été observée par de nombreux auteurs (Bagatolli and Gratton 2000; Feigenson and Buboltz 2001; Korlach et al. 1999). Les phases gel-ondulées, pouvant apparaître entre les phases homogènes gel et liquide de la membrane sont caractérisées par des fluctuations locales (Leibler and Andelman 1987). Heimburg décrit la phase gel-ondulée comme une pré-transition qui se fait à faible enthalpie entre l’état gel et l’état liquide et précède la fusion des chaînes acyle. Il affirme que cette transition est liée à l’apparition d’ondulations périodiques à la surface des membranes. La période spatiale de ces ondulations est généralement comprise entre 100 et 300 Å. L’intervalle de température entre la pré-transition et la transition principale dépend surtout de la longueur des chaînes. Par exemple, il est d’environ 10°C pour DPPC (C16) et tombe à environ 3,1°C pour DSPC (C18) (Jorgensen et al. 1995). La pré-transition peut être observée aussi bien dans des systèmes multi-lamellaires qu’uni-lamellaires. La formation des ondulations dépend de l’hydratation et n’a pas lieu dans des membranes lipidiques déshydratées. En effet, les phases ondulées semblent

être plus hydratées que les phases gel et liquides correspondantes (Le Bihan and Pezolet, 1998). Durant la pré-transition, toutes les variables thermodynamiques, y compris l’enthalpie, changent. Heimburg (Heimburg 2000) propose un modèle de la phase ondulée. Il part du principe que les lipides dans la phase gel sont organisés suivant une maille triangulaire avec donc trois directions principales. Lorsque la fusion a lieu, la surface occupée par les lipides augmente ce qui induit une rupture dans l’organisation de la maille si les lipides fondent individuellement. Il appelle ceci un défaut ponctuel. Cependant, si ces défauts ponctuels s’organisent linéairement selon une des directions principales, la ligne résultante n’a pas d’effet sur l’ordre cristallin. Il en déduit ainsi que les lignes de défauts doivent être énergétiquement favorisées par rapport aux défauts ponctuels. En outre l’apparition d’une ligne de défauts dans une monocouche entraîne une asymétrie de surface dans une bicouche et, par conséquent, une courbure locale (Heimburg 2000) (Figure 17).

Figure 17. Représentation schématique de deux monocouches lipidiques couplées à l’état gel. En augmentant la température apparaitrait un défaut de ligne lipidique. La conséquence de l’asymétrie en surface est une courbure locale responsable de l’aspect ondulé (Heimburg 2000).

Rappolt (2000) parle aussi de la phase ondulée comme une phase lamellaire intermédiaire (Figure 18. ).

Figure 18. Schéma des événements principaux pendant la pré-transition de DPPC. (A) Le point de départ est la phase gel (chaînes droites). (B) La phase liquide cristalline Lα (chaînes acyle pliées) coexiste avec la phase gel d’origine. (C et D) Dans une deuxième étape, les chaînes acyle de la phase Lα se détendent a la conformation « tout-trans » et apparait la phase de discontinuité stable Pβ’ (Rappolt et al. 2000).

La Figure 18 tente d’expliquer la formation de la phase ondulée. L’arc-cosinus entre la phase gel et la phase liquide est compris entre 25° et 29° quand la température de transition est atteinte. Cette valeur est proche de l’angle d’inclinaison des chaînes hydrocarbonées dans la phase gel qui est de 30° (Kirchner and Cevc 1994). Kirchner et

al. suggèrent que la première étape de la transition (pré-transition) est causée par une

dislocation du système multi-lamellaire. Ensuite, un peu plus loin dans la pré-transition, il y aurait un gonflement de la membrane par entrée d’eau. Ce processus se ferait dans le même temps qu’une augmentation de la fraction de phase liquide. Quand le gonflement de la phase liquide se rapproche du maximum, les phases qui coexistent deviennent une phase ondulée stable Pβ’. En même temps, la concentration en eau s’équilibre entre les bicouches. Ainsi, la rotation des têtes polaires dans la phase gel implique l’absorption d’eau, et dans les domaines liquides, le durcissement des chaînes a lieu avec une perte d’eau. La phase ondulée comporterait alors à la fois des zones en phase gel alternées avec des zones en phase liquide (Heimburg 2000; Kirchner and Cevc 1994).

Leidy (Leidy et al. 2002) s’est également intéressé aux phases ondulées notamment en utilisant la microscopie à force atomique. Comme Heimburg, il précise qu’en dehors des

domaines ondulés, la surface est localement plane. Les ondulations disparaissent lors de la transition principale pour des membranes ne comportant qu’un composant (Tenchov, Yao, and Hatta 1989) mais dans le cas de certaines membranes plus complexes, les températures de fusion des différents composants étant différentes et parfois éloignées, on arrive à une coexistence de domaines ordonnés et désordonnés. Des expériences de cryofracture ont laissé supposer la coexistence dans certaines plages de température de phases ondulées et de phases fluides. Leidy (2002) a utilisé la microscopie à force atomique (AFM) sur des membranes composées de DMPC/DSPC dont les températures de fusion sont assez éloignées. Ces deux lipides sont également connus pour former des phases ondulées. La microscopie est faite sur des doubles bicouches. Cela permet d’étudier plus précisément les propriétés des membranes et en particulier la formation des domaines. Aussi, cela permet d’étudier dans un environnement isolé et à la haute résolution de l’AFM, des propriétés de membrane sensibles aux interactions de surface. Il montre que la coexistence de phases ordonnées et de régions fluides est fortement influencée par la présence des ondulations (Figure 19). La température est de 24°C donc 5°C en dessous de la ligne de solidus(cette ligne sépare une température où seule la phase gel est présente d’une température où les phases gel et liquide peuvent coexister).

Figure 19. Images AFM montrant la formation d’une phase ondulée dans un mélange

équimolaire DMPC/DSPC en double bicouche à une température de 24°C. (A) Image à hauteur constante (sans contact) montrant des orientations caractéristiques de 60° et 120° entre des domaines ondulés. (B) Image montrant une région ondulée de 12,5 nm (phase ondulée stable) dans une région de 25 nm (Leidy et al. 2002).

La Figure 19 montre la structure caractéristique des ondulations avec des angles de 60 et 120° entre les régions ondulées. L’AFM réalisée sur les membranes DMPC/DSPC dans une plage de température où peuvent coexister les deux domaines montre la présence de phase ondulée dans les domaines ordonnés ce qui indique que les phases ondulées, dans les mélanges, peuvent exister même après la transition principale. Leidy affirme également que la présence de phases ondulées dans la gamme de température où coexistent domaines liquides et gel affecte la formation et la croissance des domaines liquides.