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2. Les peptides dérivés de protéines

2.1 La pénétratine

La pénétratine a été découverte suite à des expériences cherchant à analyser le rôle des homéo-domaines dans la morphogénèse des neurones. La pénétratine est une séquence de 16 acides aminés issue de la troisième hélice de l’homéodomaine d’Antennapedia. Cet homéodomaine est constitué de 60 résidus d’acides aminés répartis en trois hélices. La pénétratine correspond à la séquence composée des résidus 43 à 58 de l’homéodomaine. Tout l’homéodomaine est capable d’être internalisé mais la séquence minimale nécessaire pour l’internalisation est celle correspondant à la pénétratine. Il a été montré qu‘elle peut adopter une structure en hélice α (Magzoub, Eriksson et al. 2002; Letoha, Gaal et al. 2003; Lindberg, Biverstahl et al. 2003; Christiaens, Grooten et al. 2004; Caesar, Esbjorner et al. 2006) à la différence d’autres peptides qui seront décrits plus loin comme les polyarginines ou Tat qui n’ont pas de structure particulière. La pénétratine adopte une structure en hélice α seulement dans un environnement hydrophobe (Derossi et al. 1994). Un récepteur chiral de membrane n’est pas nécessaire pour le passage à travers les membranes (Derossi, Calvet, and Trembleau 1996). En effet, Derossi et collaborateurs ont observél’internalisation à la

fois de la séquence 43-58D et de la séquence 58-43. Il est très peu probable que ces deux peptides interagissent spécifiquement avec un récepteur qui reconnaitrait une séquence précise d’acides aminés. La séquence du peptide 43-58D est identique à celle du peptide 43-58 mais est uniquement composée de D-énantiomères. Quant au peptide 58-43, il contient les mêmes résidus que la pénétratine mais la séquence des résidus est inversée. En outre ces deux peptides sont internalisés à 37°C et à 4°C ce qui sugère au moins un mécanisme non-endocytique.

D’après certains auteurs, la structure secondaire en hélice α de la pénétratine serait importante pour l’internalisation. Fisher et al. (Fischer et al. 2000) ont analysé l’importance de la structure secondaire en modifiant la conformation du peptide. Ils ont pu obtenir des peptides cycliques en additionnant des cystéines aux extrémités N et C puis en faisant une oxydation à pH élevé. La forme linéaire de la pénétratine était internalisée alors que la forme cyclique ne l’était pas. En greffant deux phénylalanines à la place des tryptophanes en position 48 et 56, le peptide n’est plus internalisé (Derossi et al. 1994). Cela signifie qu’au moins un des deux tryptophanes à un rôle crucial pour favoriser l’internalisation. Ainsi, de manière analogue, une étude (Mainguy et al. 2000) sur l’homéodomaine de la protéine Engrailed (un facteur de transcription qui intervient dans le développement embryonnaire) a montré qu’il est capable de pénétrer dans les cellules sans le tryptophane en position 56 si celui en position 48 est présent, ce qui révèle l’importance de ce résidu.

La pénétratine peut être internalisée entre 4°C et 37°C par un ou plusieurs mécanismes qui peuvent nécessiter ou non de l’énergie métabolique. Elle a accès au cytoplasme ainsi qu’au noyau (Derossi et al. 1994). L’internalisation de la pénétratine a été observée dans un grand nombre de types cellulaires et ne dépend pas de la concentration (entre 10 pM et 100 µM). Ce peptide a des propriétés basiques grâce à la présence de trois résidus d’arginine (R) et de quatre de lysine (K) qui lui confèrent un point isoélectrique supérieur à 12.

Il a aussi été montré que sans ses extrémités N et C elle n’était pas internalisé (Derossi, Calvet, and Trembleau 1996; Derossi et al. 1994). Cela suggère que les résidus des extrémités sont très importants pour l’internalisation. Fisher et al. ont étudié l’impact de diverses troncations dans la séquence 43-58 de la pénétratine. La troncation de

l’extrémité C-terminale et le retrait du dernier résidu de lysine ont un effet négatif sur l’internalisation. Cependant, les troncations à l’extrémité N-terminale se sont révélées moins perturbantes comparées à la troncation de la lysine en C-terminal puisque 60 % de la pénétratine tronquée à l’extrémité N-terminale a été internalisée en comparaison avec la pénétratine entière. Plusieurs études ont confirmé le rôle important des résidus basiques de la pénétratine : Lys 58, Lys 57, Lys 55, Arg 53, Arg 52 et Lys 46. Le rôle des résidus hydrophobes est moins clair (Drin et al. 2001; Fischer et al. 2000). La plupart des études suggèrent que les résidus basiques et un tryptophane (au minimum) sont impliqués et nécessaires pour permettre l’internalisation cellulaire de façon efficace. La pénétratine est un peptide capable d'induire différents changements dans les membranes selon la nature des lipides qui les composent. Un exemple a été étudié par Maniti et al. sur les phospholipides majoritaires du feuillet extracellulaire de la membrane plasmique des cellules eucaryotes (PC), du feuillet intracellulaire (PE) et des membranes microbiennes (PG et PE) (Ofelia Maniti et al. 2010). Le peptide, non-structuré en solution, était capable d'adopter différentes structures (hélice α et feuillet β) selon l’interaction avec les différents phospholipides. Avec les membranes PC et PE, la pénétratine est capable de se lier par des interactions électrostatiques et non électrostatiques en deux étapes. Dans la première étape, le peptide sépare les lipides puis dans la deuxième étape, les phospholipides se redistribuent dans une bicouche où les phospholipides sont plus compacts probablement grâce au changement structurel du peptide (Figure 27B, C). Dans le cas des membranes PC, la membrane reste assez fluide et le peptide reste « non structuré » (Figure 27B). Pour les membranes PE, la pénétratine acquière une structure en hélice α permettant une plus grande compaction de la membrane. En solution, le peptide relativement peu structuré peut interagir avec différents phospholipides et adopter différentes structures. Dans le cas de phospholipides chargés négativement (PG), la pénétratine se lie en une seule étape, principalement par des interactions électrostatiques. La liaison du peptide au phospholipide entraîne une baisse de la mobilité de ce dernier qui provoque ainsi une baisse de la compaction membranaire (Figure 27). Dans le même temps, le peptide se structure et on trouve des contributions d’hélice α et de feuillet β.

Figure 27. Modèle pour les interactions membrane-pénétratine. (A) L'association de la pénétratine avec les membranes de PG entraîne le changement conformationnel du peptide avec des contributions hélice α et feuillet β et une diminution de la fluidité de la membrane. (B) Pour les membranes PC, le peptide s'associe dans un processus en deux étapes mais demeure non structuré et ne change pas de façon notable la fluidité de la membrane. (C) Pour les membranes PE, la pénétratine interagit avec la membrane dans un processus en deux étapes avec un changement structurel (principalement hélice-α). Il en résulte une diminution de la fluidité de la membrane. Les flèches indiquent les mouvements de phospholipides induits par la pénétratine (Maniti 2010).

L’interaction de la pénétratine avec la membrane plasmique a été analysée par Maniti

et al. (Ofelia Maniti et al. 2012) sur des vésicules géantes de membrane plasmique

(GPMV). La pénétratine est capable de passer à l’intérieur des GPMV et d’induire des invaginations de la membrane (endocytose physique) par un mécanisme qui ne dépend pas de l’énergie métabolique.

La pénétratine utilise le processus d’endocytose des cellules mais peut aussi passer directement à travers la membrane. Des études biophysiques démontrent qu’elle affecte l'organisation supramoléculaire des lipides (généralement rendue plus importante par la présence de lipides anioniques) entraînant des changements dans la courbure de la membrane. Une telle courbure ou invagination de la membrane peut entraîner la formation de tubes ou de micelles inversées qui piégeront le peptide à

l'intérieur ou créeront un environnement propice pour traverser les bicouches lipidiques par translocation directe (I. D. Alves et al. 2010).

Plusieurs études ont montré l’internalisation cellulaire efficace de molécules hydrophiles liées à la pénétratine (Allinquant et al. 1995; F. Perez et al. 1994; Théodore et al. 1995). Différentes applications ont donc été développées grâce à l’homéodomaine d’Antennapedia, sa troisième hélice et d’autres variantes (Derossi, Chassaing, and Prochiantz 1998; Prochiantz 2000). Ainsi, la pénétratine et ses dérivés ont permis l’internalisation de molécules, de protéines, d‘oligonucléotides ou encore d’oligopeptides à l’intérieur de cellules in vivo et in vitro. Une des premières applications a été de lier des oligonucléotides portant un groupe thiol à la cystéine présente entre la deuxième et la troisième hélice de l’homéodomaine d’Antennapedia (Troy and Greene 1996). Cet homoédomaine a aussi été utilisé pour transporter des polypeptides recombinants de différentes tailles. Dans le cas de la pénétratine, on peut la synthétiser avec une cystéine à l’extrémité N-terminale ce qui facilite la formation d’un pont disulfure avec le thiol présent dans la cargaison. Avec cette méthode, la cargaison est relâchée dans le cytoplasme suite à la rupture du pont disulfure dans le milieu réducteur du cytoplasme (Figure 28).

Figure 28. Mode de couplage de la pénétratine avec des cargaisons à l’aide un groupe thiol (Ü. Langel 2007).

La pénétratine est capable de transporter des acides nucléiques peptidiques (ANP) qui sont naturellement très peu internalisés par les cellules. L’internalisation in vitro de ces acides nucléiques peptidiques (les bases sont similaires à celle de l’ADN) a été constatée

dans des cellules tumorales de prostate (Simmons et al. 1997) et dans des cellules de mélanome (Villa et al. 2000). Il est également possible de transporter des molécules de haut poids moléculaire dans des cellules (in vitro) comme Engrailed, HoxA-5, HoxB-4 et Pax-6 (Chatelin et al. 1996; A Joliot et al. 1998; Maizel et al. 1999). La pénétratine a aussi été utilisée pour transporter des principes actifs comme la doxorubicine, médicament anti-cancéreux. En effet, Mazel et al. (Mazel et al. 2001) ont lié de façon covalente la doxorubicine à l’extrémité N-terminale de la pénétratine. Ce système s’est montré 20 fois plus efficace pour tuer les cellules K562 que la doxorubicine seule.