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7. Nanodomaines des membranes

7.1 Les domaines radeaux

L’existence de domaines de membrane appelés radeaux lipidiques ou radeaux est encore sujette à controverse. Néanmoins, ces radeaux font référence à des domaines enrichis en cholestérol, sphingomyéline et glycérophospholipides. Ces composants peuvent s’assembler de façon compacte grâce à des interactions intermoléculaires. L’isolement de fractions lipidiques des membranes en utilisant des détergents comme le triton X-100 a permis leur découverte (Brown 2001) d’où aussi leur appellation DRM (detergent resistant membranes).

Ainsi, le critère initial de définition d’un radeau lipidique était un domaine de la membrane résistant à l’extraction dans du triton X-100 1%. Ces radeaux contiennent 3 à 5 fois plus de cholestérol que le reste de la membrane qui représente d’un tiers à la moitié de l’ensemble des lipides (Deborah A Brown and Rose 1992; Pike et al. 2002; Prinetti et al. 2000). Il en va de même pour la sphingomyéline qui représente 1 à 15% du total des lipides dans les radeaux. 10 à 20% des autres lipides sont des glycosphingolipides tels que les cérébrosides et les gangliosides (Deborah A Brown and Rose 1992; Prinetti et al. 2000). Les glycérophospholipides tels que la phosphatidylcholine et la phosphatidyléthanolamine représentent moins de 30% des lipides dans les radeaux alors qu’ils représentent environ 60% des lipides dans la membrane. Les radeaux contiennent donc peu de glycérophospholipides.

Figure 23. Représentation de l’hétérogénéité latérale de la membrane. Les domaines radeaux sont définis comme aillant petite taille mais très dynamiques, enrichis en cholestérol, phospholipides saturés, sphingolipides, glycolipides et en protéines couplées au GPI notamment. Ces domaines ont des propriétés physiques particulières. La fluidité y est plus faible. Ces domaines sont présents à la fois dans les feuillets interne et externe et sont répartis probablement de manière aléatoire dans la membrane (Sezgin et al. 2017).

Ces radeaux peuvent exister également dans des membranes modèles qui miment les membranes biologiques puisque comme mentionné précédemment, les sphingomyélines interagissent avec le cholestérol en formant des liaisons hydrogène et grâce à l’interaction lipophile entre les chaînes du cholestérol et des sphingolipides. La Figure 24 représente la définition initiale des radeaux.

Figure 24. Définition des radeaux lipidiques (membranes résistantes aux détergents, DRM). Les radeaux et leurs composants peuvent être isolés en utilisant des détergents. Ce sont les fragments de faible densité. On ne retrouve que peu, voir pas de ces fragments dans les membranes pauvres ou sans cholestérol (Edidin 2001).

Le cholestérol semble stabiliser ces domaines radeaux (Gibson Wood et al. 2011). Il est abondant dans ces domaines et son interaction préférentielle avec les sphingolipides est primordiale pour leur formation (K Simons and Ikonen 1997). Il interagit également avec les gangliosides ce qui provoque la formation de domaines riches en cholestérol dans les membranes modèles (Lozano et al. 2013). D’une manière générale, les domaines radeaux ont pour effet de réduire la mobilité latérale des molécules et ont une composition chimique différente du reste de la membrane ainsi que des épaisseurs différentes. Ceci est commun avec d’autres types de domaines qu’on appelle les cavéoles, qui sont principalement définies comme des domaines invaginés de la membrane plasmique contenant la cavéoline. Les domaines radeaux pourraient avoir comme fonction de séparer des éléments spécifiques dans le but de réguler leur interaction avec d’autres éléments de la membrane et donc leur activité. Ils peuvent induire une augmentation de la concentration de certaines molécules et ainsi avoir une fonction catalytique. Par exemple des enzymes pourraient rencontrer plus facilement leur substrat et déclencher des réactions (transduction du signal par exemple) (Sezgin et al. 2017). En outre des interactions avec les lipides majoritaires des radeaux comme

le cholestérol ou les glycosphingolipides pourraient changer la conformation des protéines présentes dans ces domaines et donc leur activité (Laganowsky et al. 2014; Daniel Lingwood et al. 2011). La formation de phases liquide ordonnée (Lo) et liquide désordonnées (Ld) est en grande partie provoquée par l’action du cholestérol sur les phospholipides. En effet, le cholestérol conduit préférentiellement à la condensation de la phase Lo par rapport à la phase Ld. L’addition de sphingolipides entraîne un enrichissement en sphingomyéline dans la phase ordonnée qui contient jusqu’à 35%de cholestérol (en mol). Cela favorise la formation de domaines. À très forte concentration de cholestérol (au-delà de 50% en mol), seule la phase Lo existe. Plusieurs auteurs ont étudié le procédé de formation de radeaux dans des membranes consistant en un mélange de phospholipides, cholestérol et sphingolipides (Grainger et al. 1990; Y. H. Hao and Chen 2001; Holopainen et al. 2001; Korlach et al. 1999). Dietrich et al (Dietrich et al. 2001) et Korlach et al. (Korlach et al. 1999) ont étudié des vésicules unilamellaires géantes par microscopie confocale. Ils incorporent du Laurdan (lipide fluorescent expliqué plus en détails au chapitre Matériels et Méthodes) dans une bicouche composée de DOPC/cholestérol/sphingomyéline et de 1% en mol de ganglioside. L’émission du Laurdan dépend de l’état d’hydratation du milieu environnant avec un décalage vers le bleu de 50 nm observé dans la phase Lo relativement à la phase Ld. Les GUV sont alors observés en microcopie d’absorption à deux photons. Des zones d’environ 10 µm sont visibles à la surface des vésicules ce qui indique une séparation de phase et la formation de radeaux (Figure 25) (W. H. Binder, Barragan, and Menger 2003). Ces zones disparaissent quand la température s’élève au-delà de la température de transition de phase. D’autres méthodes permettent d’étudier les radeaux. L’AFM peut être utilisée pour mesurer l’épaisseur des membranes contenant plusieurs phases. Des différences dans l’épaisseur de la membrane peuvent signifier un changement de phase et l’existence d’un domaine particulier ou d’un radeau (Milhiet et al. 2002). Le SAXD (Diffraction de rayons X aux petits angles) permet également de déterminer l’épaisseur des membranes (Majewski et al. 2001). Afin d’étudier la mobilité latérale des molécules dans les radeaux il est possible d’utiliser la technique SPT (single particule tracking). Dans cette technique une sonde à laquelle est greffée une particule d’or (40 nm) est incorporée à un mélange contenant des radeaux. La microscopie confocale est utilisée pour identifier les domaines (Bagatolli and Gratton 2000). La technique permet de

déterminer le coefficient de diffusion dans les différentes phases de la membrane : le coefficient de diffusion est deux fois plus petit dans la phase Lo par rapport à la phase Ld. Dans une autre étude, le TOF-SIMS (spectroscopie de masse à ionisation secondaire) est utilisé pour étudier la composition des radeaux dans des membranes de DPPC/DOPS (Ross et al. 2001).

Figure 25. Formation de domaines dans des vésicules unilamellaires géantes (GUV) composées de DOPC/cholestérol/SM (1/1/1). (A) Formation des GUV 24,3°C contenant deux types de domaines. (B) Destruction des radeaux en élevant la température à 30,5°C (W. H. Binder, Barragan, and Menger 2003).

La taille des radeaux est difficile à évaluer mais les études par AFM et SPT suggèrent qu’elle se situe entre 10 et 100 nm. Cependant, d’autres études menées par microscopie et TOF-SIMS donnent des valeurs allant jusqu’à plusieurs micromètres. En outre, le nombre de molécules associées aux radeaux varie entre 100 et plusieurs centaines de milliers. Mesurer précisément la taille des radeaux est complexe car ce sont des systèmes dynamiques dans lesquels les différents composants sont à même d’être en mouvement. La microscopie de fluorescence a montré en effet que les frontières entre les radeaux et les lipides environnants bougent dans une échelle de temps de l’ordre de quelques secondes. D’après L. Pike (Pike 2006), on peut définir les radeaux comme de petits domaines hétérogènes, très dynamiques, de l’ordre de 10 à 200 nm enrichis en cholestérol, en sphingolipides et en phospholipides saturés. Les domaines radeaux peuvent parfois être stabilisés pour former des plateformes plus importantes grâce à des interactions protéines-protéines et protéines-lipides. En effet des protéines

transmembranaires sont présentes dans ces domaines et elles peuvent posséder des sites de liaison du cholestérol ou de sphingolipides (Sezgin et al. 2017). Cependant, les radeaux ne contiennent pas forcément de sphingolipides (Larocca et al. 2010, 2013). Le concept de radeaux est aussi conforté par le fait que les membranes lipidiques sont hétérogènes à l’échelle nanométrique, ce que montrent les résultats expérimentaux obtenus par microscopie à haute résolution (Owen et al. 2012; Wit et al. 2015). Dans des membranes composées de plusieurs lipides, les lipides peuvent se grouper par affinités ou se mélanger. Le premier diagramme de phase d’une membrane composée de plusieurs lipides a été obtenu pour un mélange de DPPC et de cholestérol en 1989 (Vist and Davis 1989). Des regroupements à l’échelle nanométrique ont été observés dans ces membranes. Ces regroupements sont aussi observés dans des simulations pour des membranes planes sans tension (Meinhardt, Vink, and Schmid 2013; Toppozini et al. 2014). La Figure 26 montre des domaines Lo de différentes tailles, obtenus avec des simulations de Monte-Carlo dans le cas de bicouches lipidiques binaires (Schmid 2017a). Les domaines Lo se réarrangent en fonction du temps et en fonction de la température, en particulier du refroidissement (la vitesse de refroidissement a un rôle dans le réarrangement des domaines Lo). Ces réarrangements semblent dépendre de la cinétique de la formation de ces domaines ainsi que la façon dont ils grandissent (Rosetti, Mangiarotti, and Wilke 2017; Tessier et al. 2009).

Figure 26. Vue de dessus et de côté de petits regroupements du cholestérol obtenus avec des simulations pour des membranes binaires. Les molécules de cholestérol sont en bleu et rose et les phospholipides en vert et jaune (adapté de (Schmid 2017)).