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6.1. État I Les constructions du XIV e siècle

6.1.1. Phase 1 La maison-forte (1325 ?)

L’étude du mur nord (UM11), dressé le long du grand Thiou, a été déterminante pour circonscrire et redécouvrir les plus anciennes élévations conservées dans le Palais de l’Isle (ill. 6 et 7). Elle apporte aussi un certain nombre de rectification, sur les hypothèses proposées précédemment. De même, c’est par la compréhension de ce mur nord que l’on a pu saisir d’autres vestiges plus ténus de la mai- son-forte (UC8.1 ; 11.1). Ce premier état, que nous proposons ici de restituer, appartient à la prison

du XIVe siècle, mentionnée par le texte de 1325, dans lequel il est question que « Jean de Monthouz »

perçoit dix sous pour les frais de nourriture de deux prisonniers. On s’efforcera, tout d’abord, de cir- conscrire les murs reconnus comme étant ceux de la première maison-forte. Il sera ensuite question d’en décrire les matériaux et les dispositifs particuliers comme l’échafaudage et les fenêtres.

Le mur NORD – L’élévation que l’on connaît le mieux de l’ancienne maison-forte est sans conteste le

parement extérieur de son mur nord longeant le grand Thiou (UC11.1) (fig. 8 et 9).  Elle est cir- conscrite entre les deux puissantes chaînes d’angle qui se développent sur toute la hauteur du mur nord et sur environ 1,50 m de large (fig. 10). Ces chaînes se caractérisent par des assises comprises entre 25 et 45 cm de haut, mais surtout par l’usage systématique de deux blocs de calcaire suc- cessifs, parfois trois. En partie basse du mur, la chaîne d’angle ouest ne se développe qu’à partir de 2,50 m au-dessus du niveau du Thiou. Elle est, en effet, installée sur une série de blocs répar- tis sur six assises se prolongeant en direction de l’ouest et se terminant par un décroché. Cette disposition laisse supposer que le mur nord de l’ancienne maison-forte se prolongeait en attente d’une construction et servait aussi à contenir la terrasse de l’île. Du côté est, la chaîne d’angle opposée se prolonge de la même manière avec des blocs très clairement disposés en attente. Ces deux chaînes d’angle donnent ainsi les limites d’une façade nord d’environ 12,05 m de long se prolongeant le long du Thiou par des extrémités pour permettre une liaison avec une construction projetée. En élévation, le mur de l’ancienne maison-forte se développe depuis le niveau du Thiou (446,60 m NGF) jusqu’à une césure horizontale (458,5 m NGF) située approximativement sous la corniche actuelle. Il s’élevait ainsi sur plus de 12 m de haut si l’on considère les quelques assises situées sous le cours d’eau de la rivière (moins d’1 m). La dernière assise de la chaîne ouest, qui ne compte qu’un seul gros bloc, et une partie du mur ne font pas partie de cette unité de construction, mais appartiennent à une reprise postérieure (UC11.13).

I Annecy (74) Palais de l’Isle « Élévations extérieures et charpentes »

Le mur OUEST – Une partie du mur (UC8.1) situé en retour d’angle de la façade nord appartient

également à la maison-forte du XIVe siècle (fig. 11). Dans le cadre de cette étude sur les extérieurs,

on n’a, en effet, accès qu’à une infime partie de ce mur ancien qui se développe au-dessus du toit des vieilles archives. Le reste de son élévation est complètement repris et phagocyté par les extensions successives. Les vestiges accessibles délivrent peu de renseignements, si ce n’est que l’on retrouve les mêmes matériaux et la même mise en œuvre qu’au niveau du mur nord.

Le mur EST – Le mur est de la maison-forte a été entièrement reconstruit au XVIIIe siècle (UM12).

Cependant son existence à cet emplacement est assurée. En effet, il est situé dans l’exact prolonge- ment de la chaîne d’angle qui relie le mur nord (fig. 12). Élisabeth Sirot a d’ailleurs reconnu son prolongement à l’arrière de la tour des latrines avant que celui-ci ne soit dissimulé par un nouvel enduit appliqué lors des travaux de 1982-85. Ces quelques éléments permettent d’en retracer son orientation générale et son épaisseur.

E W

0 5m

ill. 7. Vestiges de la maison-forte

vers 1325 (?) - Mur NORD - État 1 -

phase 1 - (éch. 1/300).

N

Cour des prisons Cour du palais Le Thiou l'I sle de Passage Le Thiou XIVe s. État I - phase 1 0 5m

ill. 6. Vestiges de la maison-forte vers 1325 (?) Plan - État 1 - phase 1 - (éch. 1/300).

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Cour des prisons Cour du palais Le Thiou l'I sle de Passage Le Thiou XIVe s. État I - phase 1 0 5m N

Cour des prisons Cour du palais l'I sle de Passage Le Thiou XIVe s. État I - phase 1 0 5m

6 - Les résultats de l’étude archéologique I

La limite SUD – Le mur sud de la maison-forte n’a pas été identifiée dans les élévations impactées

par les travaux extérieurs du Palais. Pour Louis Blondel, puis Élisabeth Sirot, ce mur se trouve sous le mur intérieur qui longe les cachots et le grand corridor (fig. 5 et ill. 5 supra). Ce choix leur permet de restituer une maison-forte de plan carré. Hormis ce principe géométrique, rien ne permet aujourd’hui de retenir cette solution plus qu’une autre, sa maçonnerie n’a rien à voir avec celles des élévations identifiées comme appartenant à la maison-forte. Enfin, il n’est conservé qu’au premier niveau du palais. Dans les niveaux supérieurs, l’espace est entièrement occupé par les salles

plafonnées datées du XVIe siècle (audience, justice, chambre des comptes). Au niveau du comble, le

plan des salles coïncide avec celui de la charpente datée de 1573-1574d. L’ensemble de ces obser- vations suggèrent qu’il paraît plus juste, sans en apporter la preuve, que le mur sud de l’ancienne

maison-forte se trouvait plus vraisemblablement à l’emplacement de celui du XVIe siècle41 (ill. 6).

Matériaux et mises en œuvre – Les maçonneries de la maison-forte sont relativement hétérogènes. Les deux chaînes ont été conçues à partir de calcaire blanc alternant avec des modules orangés. Ces blocs conservent des traces de pic et de discrètes ciselures relevées (fig. 13). Les maçons les ont parfois calés avec des petits éclats de taille (calcaire noir). Ces puissantes chaînes d’angle se singula- risent particulièrement du reste de la maçonnerie formées de moellons irréguliers, de cailloux et de galets. Seuls quelques modules de pierre ont été équarris et pourraient appartenir à des réemplois. Ces matériaux irréguliers sont liés par un mortier qui se caractérise par sa couleur légèrement grise et ses nombreux graviers noirs. La présence de cet agrégat, mêlé au sable et au liant, assure au mor- tier une meilleure cohésion et évidemment une résistance supérieure. Cette recette était parfaite- ment adaptée pour bâtir des murs en blocage qui nécessitaient une importante charge de mortier.

Les trous de boulin – Un dispositif d’échafaudage a été mis en évidence sur l’élévation nord (UC11.1) (fig. 9). Des trous de boulins sont, en effet, conservés sur deux lignes horizontales situées dans la moitié supérieure du mur, à plus de 8,50 m et 11,80 m du lit du Thiou, respectivement à 457,50 m et 454,20 m NGF. Au travers des différentes reprises du mur, on a pu identifier deux trous de boulin sur la première ligne, quatre sur la seconde où les reconstructions sont les moins nombreuses. Ils ont été ménagés entre deux moellons, couverts d’un troisième formant le linteau. Leurs ouvertures sont d’environ 20 cm de côté ce qui permet la mise en place de boulins relative- ment puissants. Ce choix technique et la répartition des trous sur le mur suggèrent qu’ils n’appar- tiennent qu’à l’ancrage ponctuel d’un échafaudage en pieds installé dans le lit du Thiou. Ces deux lignes supérieures de boulins, dont la plus haute est située moins d’un mètre sous l’arase supérieure du mur, avaient pour fonction de retenir la structure provisoire sur toute la longueur du mur à un point d’ancrage relativement haut. Cet indice suggère que la hauteur du mur actuelle correspond probablement à celui d’origine.

Les fenêtres – Le relevé complet du mur nord (UC11.1) et son analyse attestent que l’ensemble des grandes ouvertures visibles actuellement sur la façade appartiennent à des reprises postérieures de l’élévation. Ils révèlent en revanche l’existence des vestiges d’une petite fenêtre au centre du mur (451,30-452,60 m NGF). Il ne subsiste de cette ouverture murée que son appui, son linteau fracturé et son piédroit ouest. Son second piédroit a été remployé dans le bouchage de l’ouver- ture (UC11.5). L’ensemble de ce cadre de pierre a été taillé dans une molasse grise. Sa restitu-

41. Comme nous le verrons dans la suite de cette étude, ce mur du XVIe siècle qui porte les planchers et la charpente de toit a

tion complète indique qu’il était extrêmement rudimentaire, tant par ses dimensions, (77, 3 par 37,5 cm) que par le simple chanfrein qui l’ornait. La création de nouvelles baies dans le mur nord condamne la possibilité de savoir combien de ces petites fenêtres animaient l’élévation primitive ou si d’autres types d’ouvertures existaient. On peut toutefois envisager, sans prendre trop de risque, que les espaces intérieurs de la maison-forte étaient relativement peu éclairés.

Au terme de la présentation des vestiges du premier état maison-forte, on est en mesure de répondre à un certain nombre de questions. Celle de la datation est à l’évidence la plus difficile. Il subsiste

peu d’éléments particulièrement datant. À notre sens, rien ne permet aujourd’hui de retenir le XIIe

ou le début du XIIIe siècle comme l’envisageait, en 1961, Louis Blondel. Rappelons que celui-ci se

base sur la géométrie du plan carré, redécoupé en croix par quatre cellules et un couloir voûtés. Or, la légende du plan de 1760 mentionne que ces espaces intérieurs ont été démolis, et recons-

truits à neuf (fig. 4). Est-ce que les travaux du XVIIIe siècle se superposent aux murs médiévaux ?

Existaient-ils dès les XIIe-XIIIe siècles, comme le suggère Louis Blondel ? Ces questions restent sans

réponses dans l’état d’avancement des recherches sur le Palais.

Pour dater la maison-forte, on ne peut que s’appuyer sur quelques comparaisons avec d’autres édifices de l’ancien diocèse de Genève comme la maison-forte de Magland, la partie primitive du manoir Novel à Annecy-le-Vieux… Ces exemples nous ramènent surtout vers la fin du Moyen Âge. La typologie (linteau, chanfrein…) de la seule fenêtre conservée de la maison-forte laisse

plutôt envisager le XIVe siècle. Sa simplicité fonctionnerait assez bien avec la période où les murs

du Palais étaient ceux d’une prison médiévale comme l’évoque le texte de 1325, dans lequel il est question que « Jean de Monthouz perçoit dix sous pour les frais de nourriture de deux prison- niers ». Ainsi, on ne rejoint pas la proposition de datation avancée par Louis Blondel, ni celle de d’Élisabeth Sirot qui à partir de l’étude du parement intérieur du mur nord considérait que la

maison ne conservait aucune disposition du XIVe siècle42

Sur le bâtiment lui-même, l’étude n’a mis en évidence aucune surélévation comme cela a pu être mentionné à propos des dispositifs intérieurs. De même, rien ne nous permet de supposer que l’ancienne maison était « fortifiée » ou qu’elle « a été privée d’un étage, car sa hauteur actuelle ne

correspond pas à celle que l’on observe dans les tours du XIVe siècle43 ». Au contraire, on serait

plutôt tenté de restituer un bâtiment aussi haut que la largeur de sa façade nord (env. 12 m) et se développant un peu plus en direction du sud (entre 13,20 et 14,50 m).

Lors de son chantier, son mur nord (UC11.1) a été laissé en attente au niveau des premières assises pour permettre son extension, à l’ouest comme à l’est. Enfin, les avant-corps défensifs en charpente dans le prolongement des baies en molasse imaginés par Louis Blondel à partir d’un compte de 1353-1354, n’ont jamais existé en façade du mur nord tel qu’il se présente aujourd’hui. On verra plus loin que les ouvertures indiquées par l’archéologue du canton de Genève n’ont été

mises en œuvre qu’au XVe siècle. De même, la poterne qui permettait selon lui le transfert des

prisonniers et le ravitaillement en bateau appartient également à une phase postérieure. La prison médiévale est transférée au château, en 1355, et les bâtiments de l’Isle vont donc faire l’objet de travaux pour en faire un atelier monétaire.

42. Sirot (É.) 1989, p. 71 43. Sirot (É.) 1989, p. 67.

6 - Les résultats de l’étude archéologique I