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3. APPORTS THEORIQUES

3.3. P ROCESSUS DE SIGNALEMENT POUR L ‟ ENSEIGNEMENT SPECIALISE : REVUE DE

3.3.3. Phénomènes implicites

En parallèle à la procédure prescriptive liée au signalement de l‟élève pour l‟enseignement spécialisé, nous pouvons également considérer la présence de phénomènes scolaires implicites prenant part chez l‟élève. Ces phénomènes davantage informels ont tendance à s‟étendre sur une période plus ou moins étalée, débutant avant même la décision de signalement à proprement parler, et plus précisément dès que l‟apprenant est étiqueté comme étant en difficulté, puis à travers le moment où l‟annonce de son orientation en classe spécialisée aura été faite jusqu‟à ce qu‟il l‟intègre.

A partir du moment où l‟enseignant en charge de l‟élève commence à faire part à ses collègues des difficultés de celui-ci en amorçant des discussions informant de son éventuel intention de le signaler pour l‟enseignement spécialisé, les échecs informels de l‟élève vont avoir tendance à se renforcer, comme notamment celui lié au sentiment de ne pas ou ne plus être compétent ou encore celui lié à la peur de l‟échec et à la gêne de ne pas réussir. Si les savoirs ne leur sont plus enseignés, certains élèves risquent d'activer des stratégies réactionnelles d‟évitement des tâches comme le retrait en silence, l‟agitation et la perturbation, la négociation et l‟agressivité pouvant « se manifester dès qu‟une leçon ou une tâche est perçue comme une menace pour leur bien-être » (Pelgims, 2010b, p. 22). S‟en remettant à d‟autres collègues, l‟enseignant peut désormais retourner s‟occuper des autres élèves de sa classe mais en s‟exposant au danger de ne plus ajuster les tâches d‟apprentissage à l‟élève jugé en difficulté, autrement dit, de lui indiquer qu‟il n‟espère plus de progrès de sa part, ceci engendrant à son tour « la rupture du contrat éducatif implicite de confiance réciproque selon lequel l‟enseignant a confiance en l‟éducabilité de l‟élève et l‟élève fait confiance à l‟enseignant pour lui enseigner les savoirs lui permettant de réussir » (p. 22).

Là-dessus, comme le soulève Pelgrims (2010b), nombreux sont les élèves qui, au cours des derniers mois passés dans l‟enseignement ordinaire, ont ressenti un sentiment d‟abandon et celui de ne plus être à la hauteur des demandes de l‟enseignant :

Or un élève qui perçoit que l‟enseignant n‟attend plus rien de lui, qui n‟a plus la possibilité d‟interagir à propos des savoirs, est affecté dans son sentiment de

compétences scolaires, se sent de plus en plus exclu de son rôle d‟élève et de moins en moins appartenir au groupe-classe et, en conséquence, augmente les comportements réactionnels peu compatibles avec les attentes scolaires. (p. 23)

Outre la rupture du contrat éducatif implicite de confiance réciproque s‟opérant en classe ordinaire, un autre phénomène implicite d‟ampleur tout aussi considérable prend racine lors de l‟orientation de l‟élève dit en difficulté vers l‟enseignement spécialisé. Il s‟agit de « la loi du silence qui creuse une zone d‟ignorance chez les élèves concernés » (Pelgrims, 2010b, p. 23). En effet, bien qu‟il n‟existe, à priori aucune forme institutionnelle permettant de considérer cette annonce, celle-ci n‟est pas nécessairement menée dans un entretien pensé à cet effet. Du coup, nombreux sont les élèves qui, mal informés, voir désinformés se retrouvent sans raisons évidentes justifiant leur passage. Effectivement, certains l‟apprennent directement de leurs parents, d‟autres de leur enseignant mais à un moment inapproprié, etc.

Cette zone d‟ombre les pousse ainsi à se créer toutes sortes d‟explications par des motifs internes comme le sentiment d‟incompétence et/ou des motifs externes comme le rejet à l‟égard de l‟école. Ainsi, nous supposons qu‟à défaut de leur permettre de mieux cerner leurs difficultés et de leur donner les éléments essentiels pour se responsabiliser face à leur parcours, tout se passe comme si l‟école désengageait ses élèves au risque de les voir se retourner contre elle.

Aussi, lors du transfert « est amorcé le contrat social d’aides par lequel les acteurs, hors classe spécialisée, promettent à l‟élève la mise à disposition en classe spécialisée de toutes les aides dont il aura besoin, et par lequel l‟élève comprend que pour réussir il a besoin d‟aides » (Pelgrims, 2009, p. 139). Le sentiment de l‟élève de ne pas être à la hauteur est renforcé et le risque permanent d‟invoquer ce contrat social implicite d’aides pour toute situation difficile sera dès lors engagé par l‟élève. Effectivement, les interventions de l‟enseignant et les effets Topaze reflètent des particularités courantes au sein de ce contexte. Les enseignants octroient de nombreuses aides, notamment « avant qu‟un obstacle ne provoque du désengagement et de l‟indiscipline » (p. 140). La recherche de Schubauer-Leoni (2000) met d‟ailleurs en avant la présence de ce phénomène mais en contexte ordinaire cette fois-ci. En effet, au niveau d‟analyse micro-systémique, et plus précisément au niveau de l’étude de classes

« ordinaires » et de groupes d’élèves en soutien, les résultats recueillis de ces observations ciblées sur le champ disciplinaire des mathématiques, relèvent que « plus l‟enseignant considère que tel élève est en difficulté, plus il est tenté de l‟aider en contrôlant pas à pas le

raisonnement jusqu‟à l‟obtention de la „„bonne‟‟ réponse pour laquelle l‟élève est alors félicité ! » (p. 42). L‟auteur met en garde contre une prise en charge ne laissant aucune place à la prise de responsabilité de l‟élève lui-même.

Aussi, lors de son arrivée en classe spécialisée, il peut s‟avérer souvent délicat pour l‟élève d‟intégrer un nouveau groupe-classe, au vu du sentiment de honte ou encore de culpabilité qui l‟étreint. A ceci s‟ajoute le poids d‟un bilan scolaire faisant davantage étal de ses difficultés que de ses compétences. Autrement dit :

Les procédures officielles imposent rarement une trace des aspects positifs, un document qui fait mémoire des acquis scolaires de l‟élève : les savoirs qu‟il maitrise, les objectifs qu‟il a atteints, les tâches qu‟il a réussies, les défis scolaires qu‟il a relevés, les objets qui l‟intéressent, ses qualités en tant qu‟élève et camarade… (Pelgrims, 2010b, p.

23)

Afin que l‟élève puisse se créer une place au sein du groupe, il relève de la tâche de son enseignant de rendre compte socialement, de par l‟aide d‟outils évaluateurs, de ses connaissances et de ses acquis.

L‟hétérogénéité des élèves de classes spécialisées est considérablement importante. En effet, ces classes :

Réunissent des élèves dont les parcours scolaires antérieurs sont très variables du point de vue du nombre d‟années réalisées dans les conditions de l‟enseignement ordinaire, des programmes scolaires abordés, des réussites et échecs encourus, des ruptures sociales, pédagogiques et didactiques subies lors d‟un redoublement et des transitions scolaires, du nombre d‟années d‟apprentissages dans les conditions d‟une ou plusieurs classes spécialisées. (Barnett, Clarizio & Payette, 1996 ; Pelgrims, 2003, 2006, cités par Pelgrims 2009, p. 138)

Ainsi, cette hétérogénéité scolaire tend plus que tout à fragiliser l‟équilibre entier de la classe, équilibre au combien nécessaire à « l‟activité d‟enseignement et à l‟activité d‟apprentissage » (Pelgrims, 2010b, p. 23). Les parcours scolaires des élèves n‟autorisent ainsi peu ou pas la formation d‟une véritable culture scolaire, « volée » à laquelle pouvoir s‟identifier, amenuisant de la sorte, toute tentative d‟expériences socio-affectives, pédagogiques, didactiques vécues communément. Pour pallier le manque de mémoire

collective, il incombe alors à l‟enseignant de créer une culture, « des règles, des expériences, des accords, mutuels, des ajustements, des savoirs et savoir-faire, tant sociaux, pédagogiques et didactiques nécessaires à l‟ordre en classe, à la progression de l‟enseignement et des apprentissages » (Pelgrims, 2009, p. 138).

Comme nous venons de l‟apercevoir, le passage d‟un élève en classe spécialisée revêt différentes contingences scolaires plus ou moins implicites encourageant des émotions et comportements peu concordants avec les attentes scolaires. Cependant, ceux-ci tendent parfois à être « compris comme étant des „„symptômes‟‟ qui confirmeraient que les difficultés seraient inhérentes aux enfants, alors qu‟il s‟agit de modalités de réaction des élèves à l‟école qui les désigne „„en échec‟‟, „„en difficulté‟‟, „„ayant des besoins éducatifs particuliers‟‟ » (Pelgrims, 2010b, p. 24). Aussi, à défaut d‟une réglementation explicite entre les différents acteurs scolaires, nous comprenons aisément qu‟il relève davantage du choix et de la responsabilité morale de l‟enseignant que de recourir ou non aux mesures efficaces permettant d‟inverser ces phénomènes.