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Chapitre I Généralités sur les milieux granulaires

I. B 2.b.i Le phénomène de ségrégation

Définissons de manière plus précise la notion de ségrégation : la ségrégation désigne le phénomène par lequel un groupe de grains, d’abord mêlés à d’autres, s’en séparent ou en restent séparés. L’origine du phénomène de ségrégation vient du fait que des particules ayant des propriétés différentes (masse, volume, rugosité, …) se comportent de manière différente à l’intérieur de l’empilement de grains. Le mélangeage apparaît comme l’inverse de la ségrégation : dans ce cas, des groupes de grains séparés sont mêlés à d’autres de façon individuelle, ou en partie collective. La notion de groupe de grains conduisant à une ségrégation peut être fondée sur une propriété commune aux grains :

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densité, taille, forme, coefficient de friction, rugosité, rigidité (…), ou une combinaison de ces diverses propriétés. Notons que l’on peut quantifier la ségrégation à l’aide d’outils statistiques.

Lacey [26] (1954) a introduit deux grandeurs pour caractériser un mélange réel considéré (pas d’exposant) par rapport à un mélange qui serait aléatoire (indice *) ou totalement ségrégé (indice °). Une intensité de ségrégation S et un indice de mélange M ([27], thèse de J.-M. Missiaen) peuvent être définis en fonction de l’écart type N sur une variable expérimentale x obtenue sur N tirages :

2 * 2 0 2 * 2 N N N N S        (I-34) 2 * 2 N N M    (I-35)

S varie de 0 pour un mélange totalement homogène à 1 pour un mélange totalement ségrégé. M varie de 0 pour un mélange totalement ségrégé à 1 pour un mélange totalement homogène. Remarquons que dans les faits, l’indice de ségrégation S dépend du nombre de grains N considéré dans la mesure (S=S(N)) et n’est pas exactement une propriété intrinsèque du mélange considéré. On peut prouver que I varie de

N

1

pour un mélange parfaitement homogène à 1 pour une ségrégation totale [28]. Il faut donc comparer l’échelle d’observation (N, nombre de particules dans l’échantillon) et l’échelle de ségrégation, dont l’étendue peut être évaluée en nombre de particules dans la zone ségrégée (E=Np). Rappelons que la qualité du mélange augmente si E et S diminuent.

Pour avoir ségrégation, il suffit que le milieu granulaire soit en mouvement. Presque tous les types de sollicitation induisant un mouvement de grains peuvent entrainer de la ségrégation :

 Un cisaillement plan

 Des vibrations (verticales/horizontales)

 L’envolement ou la chute de grains dans le fluide/gaz environnant  Un obstacle imposé aux grains lors de leurs parcours

27 Si l’on ajoute qu’il peut y avoir des combinaisons de ces mouvements, on se rend compte de l’extrême complexité du problème. On comprend aussi pourquoi l’on ne peut expliquer le phénomène de ségrégation d’une manière générale. Ainsi, nous illustrerons ce problème par quelques exemples.

 Ecoulements dans un tambour tournant

Nous ne détaillerons pas ici l’influence de la taille des grains, de la vitesse de rotation, du diamètre et de la hauteur du cylindre mais noterons les deux principaux phénomènes visualisés dans les écoulements en tambour tournant [29]. Dans l’expérience du tambour tournant, un cylindre contenant un milieu granulaire est mis en rotation. Le paramètre influençant le plus un tri des grains est la taille des particules [30]. Quand le tambour est mis en rotation, deux phénomènes distincts de ségrégation s’opèrent (Figure 11, [29]).

Premièrement, une ségrégation radiale dans le plan perpendiculaire à l’axe de rotation du cylindre, s’installe en quelques tours de tambour. Celle-ci a pour origine une différence de taille entre les particules générant des longueurs de chute différentes sur le tas en mouvement. La surface du milieu granulaire est plus « lisse» pour les gros grains qui peuvent rouler facilement et ont tendance à aller plus loin. Les petits grains s’arrêtent plus vite, tombent dans les espaces interstitiels et se retrouvent au milieu de l’empilement. Enfin, après plusieurs centaines, voire milliers de tours de tambour, on peut observer une ségrégation axiale. Celle-ci a pour origine une différence de coefficient de friction et d’angle de talus dynamique2 entre les grains. Cette ségrégation reste mal comprise et est encore à l’origine de nombreuses recherches.

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Figure 11. Schéma illustratif. Ségrégation radiale : s’opère à partir de quelques tours de tambour. Ségrégation axiale : existe s’il y a une différence de coefficient de friction entre les particules, peut nécessiter des milliers de tours de tambour. Image extraite de [29]

 Silo : ségrégation par déversement en tas

Lorsque des grains se déversent d’un silo ou d’un sablier, on peut observer dans le tas formé un cœur de grains fins et de gros grains aux bords de l’empilement ([31], Figure 12). On peut expliquer ce phénomène de la manière suivante : pour les gros grains, le milieu apparaît plus lisse, ils ont tendance à glisser (rouler) plus facilement et aller plus loin [32].

Figure 12. Images extraites de [31]. A gauche : illustration des phénomènes s’opérant lors d’un déversement à tas. A droite : photographie de la ségrégation observée dans un sablier (Photographie Stéphane Bourlès, GMCM)

29 Néanmoins, la réalité de ce phénomène de ségrégation par déversement est plus complexe comme nous le constatons sur la Figure 12 présentant la ségrégation issue d’un écoulement dans un sablier. On observe ici une troisième zone derrière la couche de gros grains où une majorité de grains de petite taille se concentre. Les petits grains de cette zone externe ont probablement subi un mode de transport différent. Ils ont été entrainés par le mouvement ascendant de l’air dans le sablier, ce qui leur a permis d’atteindre cette région plus éloignée. De manière plus rigoureuse, supposons que les grains de rayons rg,

de masse volumique  et de vitesses v soient soumis à une force d’entraînement

F

e

6

r

g

u(t)



, où uest la vitesse de l’air qui dépend du temps et la viscosité de l’air.

On obtient par l’équation de la dynamique où le vecteur a désigne l’accélération de la particule :

a

r

r

g

t

u

v

r

g

g3 g3

3

4

3

4

))

(

(

6





(I-36)

Et si l’on ne regarde que la composante des forces engendrant un déplacement horizontal des grains : x g g x x g

u

t

v

r

a

r

3

3

4

)

)

(

(

6



(I-37) Soit : 2

2

)

)

(

(

9

g g x x x

r

v

t

u

a

(I-38)

L’accélération horizontale des grains est inversement proportionnelle au carré du rayon. Si la vitesse d’entrainement est supérieure à la vitesse de déplacement (ux>vx), ce

sont les grains les plus petits qui iront le plus loin. Remarquons qu’ici, nous supposons que l’air entraîne les grains vers la périphérie. Cette considération n’est pas triviale mais elle permet d’expliquer les phénomènes rencontrés.

 Ségrégation par vibrations verticales

Un des effets des vibrations est appelé « Brazil Nut Effect » en référence à la ségrégation entre des noix de petites tailles, et des noix de taille plus importantes appelées

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noix du Brésil. Le « Brazil Nut Effect » (BNE) fait référence au fait que soumises à une agitation, de grosses noix du brésil, mélangées à d’autres noix plus petites, ont tendance à remonter. Dans un milieu granulaire quelconque, le BNE fera référence au fait que, soumis à une vibration, les grains de taille plus importante ont tendance à remonter. On explique ce phénomène par la percolation des petits grains à travers les gros grains : les petits grains peuvent se glisser sous les gros grains et tombent vers le fond de l’empilement. Ce phénomène s’observe de manière expérimentale [32] et numérique [33]. On parle de « Reverse Brazil Nut Effect » (RBNE) lorsque les grains les plus gros tombent vers le fond de l’empilement. On observe ce phénomène lorsque la densité des gros grains est beaucoup plus grande que celle des petits et que certaines conditions sur les coefficients de friction sont remplies. Par exemple, dans [34], des grains de 2,4 mm de diamètre et de densité 8,4 sont mélangés à de plus petits grains de 1,4 mm et de densité 2,5 puis soumis à des vibrations verticales. Pendant les 25 premières heures de vibration, on retrouve les gros grains au sommet de l’empilement (BNE). Ensuite, du fait d’un changement de coefficient de friction dû à l’usure des grains, la tendance s’inverse et ce sont les petits grains qui se retrouvent au sommet de l’empilement (RBNE). Les propriétés menant à la ségrégation sont donc complexes et se combinent, le coefficient de friction a aussi un rôle sur la ségrégation et permet de basculer d’un mode à un autre.

Figure 13. Représentation schématique des tendances en fonction de la fréquence f et de

l’accélération  délivrées. Informations extraites de [35] pour un mélange de grains de

cuivre de 0,25 mm et de verre de 0,12 mm soumis à des oscillations sinusoïdales verticales

31 Dans [35] sont testées des combinaisons d’accélération et de fréquence sur un mélange de grains de cuivre de 0,25 mm et de verre de 0,12 mm de diamètre. En fonction de la fréquence et de l’accélération appliquées, trois types de configurations sont observées : BNE, RBNE, et une combinaison « sandwich » où les grains de cuivre sont coincés entre deux couches de grains de verre (Figure 13).

Notons qu’en présence d’une distribution granulométrique gaussienne, la présence de ségrégation n’est pas systématiquement constatée (ou est trop faible pour être détectée) lorsque le milieu granulaire est soumis à des vibrations verticales (notamment dans la thèse d’Emilie Rouèche [36]). L’ensemble des paramètres ayant une influence sur la ségrégation étant très nombreux, la question de la ségrégation dans le cas d’un milieu granulaire soumis à des vibrations horizontales reste en suspens et sera l’objet de notre attention (VI.A.4 ).