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Chapitre 4. L’analyse sociolinguistique des interactions verbales au service de

4.1. Exposition des apprenants à des interactions verbales authentiques

4.1.1. PFC-EF, FLORALE et CLAPI-FLE

La rencontre entre les corpus et la didactique semble aujourd’hui petit à petit devenir une évidence justement parce que certains corpus rassemblent et organisent des données langagières et interactionnelles intéressantes pour des apprenants de langue. Cependant, la rencontre n’est encore qu’un effleurement. Seules quelques initiatives ont vu le jour. Elles viennent généralement de sociolinguistes de corpus qui envisagent des utilisations de leur corpus pour l’enseignement du français. Je ne mentionnerai que trois initiatives dans cette partie, celles qui me paraissent les plus avancées en ce qui concerne l’établissement de liens entre corpus, enseignement et apprentissage : PFC-EF, FLORALE et CLAPI-FLE.

♦ PFC-EF

Le projet PFC (Phonologie du français contemporain) propose un grand corpus oral de français (Durand, Laks, Lyche 2002). Les données de ce corpus sont recueillies en suivant un protocole identique dans tous les pays du monde, afin d’être facilement comparables. En plus des mots prononcés et des textes lus, le corpus est constitué d’entretiens guidés et de conversations informelles. Depuis 2006, le projet PFC-Enseignement du français47 est destiné à l’exploitation pédagogique du corpus PFC (Detey et al. 2009, Detey et al. 2010). Il met à la disposition des enseignants et des apprenants des ressources pour l’apprentissage de l’oral et pour la familiarisation aux variétés de français dans le monde. Le site Internet du projet propose des ressources linguistiques, des fiches explicatives, des séquences didactisées, des fiches pédagogiques ainsi qu’un moteur de recherche (concordancier) pour accéder au corpus. Les ressources didactiques disponibles dans le cadre de ce projet soulignent également les oppositions entre français parlé et français écrit ou entre normes et variations.

Plusieurs travaux sont consacrés à l’exploitation du corpus du projet à des fins d’amélioration de la prononciation des apprenants de FLE ainsi que de leur compréhension de la variation phonético-phonologique (Detey et al. 2009). Plusieurs phénomènes de l’oral (comme les phénomènes de schwa ou de liaison mais aussi des phénomènes syntaxiques, pragmatiques ou culturels) sont expliqués et illustrés avec les données du corpus afin d’aider les enseignants et les apprenants à saisir les caractéristiques des français parlés. Dans une perspective de sensibilisation à la variation phonétique, Detey (2010 : 162) souligne que

les données des corpus, en particulier PFC, pourraient offrir aux apprenants un input phonétique dont les caractéristiques pourraient assurer un apprentissage phonologique plus résistant à la variation d’une part et à l’influence des représentations orthographiques d’autre part, sous réserve, naturellement, d’être employé de manière adéquate.

Ainsi, le projet PFC-EF propose une exposition aux variations qui s’appuie sur des recherches pointues émanant des données fournies par les corpus afin de soutenir l’enseignement et l’apprentissage de l’oral en FLE.

Parallèlement, le projet IPFC (Interphonologie du français contemporain) recueille un corpus d’apprenants, de locuteurs non natifs du français afin :

1) de documenter et d’étudier l’apprentissage du système phonologique du français par des apprenants de diverses L1 ; 2) de de documenter et d’étudier la variation (…) ; 3) de proposer des activités autour de la prononciation du français et de son apprentissage ; 4) de promouvoir l’image du français langue internationale. (Racine et al. 2012 : 4).

Ce corpus permet également des comparaisons avec le corpus PFC ainsi que des comparaisons intra-corpus en étudiant les productions langagières de natifs de diverses origines. Dans le domaine de la didactique de l’oral, l’étude de l’interphonologie des apprenants de FLE montre notamment l’importance de l’exposition des apprenants à la langue cible ainsi que celle de l’exploitation des corpus à des fins didactiques. La prononciation est un aspect important de la compétence socio-interactionnelle dans la mesure où elle garantit l’intelligibilité et la compréhensibilité des discours et parce qu’elle est également une marque de l’identité des locuteurs, qu’ils soient natifs ou non natifs (Detey et al. 2016). Sensibiliser les apprenants et les enseignants de FLE à la prononciation en leur proposant des données en corpus et des analyses de ces données, permet d’aborder la notion de variation.

♦ FLORALE

Afin de proposer aux apprenants une exposition au français parlé, la ressource FLORALE48 (français langue orale et FLE) a été élaborée. Comme le montrent ses concepteurs, Surcouf et Ausoni (2018) en examinant la partie orale des manuels de FLE, la langue à laquelle les apprenants sont exposés est souvent la langue écrite, héritée de la grammaire traditionnelle et de la norme. Ils soulignent : « Aussi les descriptions pédagogiques en FLE en viennent-elles paradoxalement à priver l’apprenant d’un nombre important d’informations fondamentales sur le fonctionnement de la langue cible » (Ibid. : 82). Les auteurs défendent l’utilisation d’une « ressource d’enseignement-apprentissage du français parlé sur corpus » (Ibid.). La ressource FLORALE est constituée d’émissions radiophoniques de France Culture. Un certain nombre de phénomènes caractéristiques de l’oral sont annotés (phonétiques/phonologiques, syntaxiques, interactionnels, lexicaux). L’objectif est bien la confrontation des apprenants à des exemples oraux authentiques, souvent éloignés des exemples construits des manuels voire éloignés des exemples dits

« authentiques » des manuels (Surcouf, Giroud 2016). La ressource FLORALE compte seulement cinq heures d’enregistrement mais l’interface du site Internet permet une navigation simple pour écouter des phénomènes rarement décrits par ailleurs. Bien que la ressources soit composée d’émissions de radio, elle présente tout de même des énoncés typiques de l’oral souvent négligés des enseignements de FLE. Ce constat est d’autant plus intéressant que les émissions de France Culture pourraient facilement être qualifiées d’élitistes et par conséquent faisant un « bon usage » du français, c’est-à-dire un français très normatif étant donné le haut niveau de scolarisation des participants (souvent des universitaires).

Quatre entrées sont proposées sur la page d’accueil du site : prononciation, structures de phrases, outils de la conversation, mots et expression. Chaque entrée propose plusieurs sous-catégories comme on le voit sur la capture d’écran ci-dessous pour l’entrée « outils de la conversation » :

Figure 8 : Les sous-catégories de la catégorie « Outils de la conversation » dans FLORALE Chaque sous-catégorie est illustrée avec des exemples extraits du corpus. Voici un extrait des énoncés proposés pour la sous-catégorie « Quels petits mots pour organiser ce qu’on dit ? » :

Figure 9 : Extrait de la liste d’exemples qui illustrent la sous-catégorie « Quels petits mots pour organiser ce qu’on dit ? » dans FLORALE

L’apprenant ou l’enseignant peut écouter ces phénomènes dans un contexte assez court. Le site est également outillé d’un concordancier qui permet d’effectuer une recherche dans l’ensemble des émissions du corpus. Voici un extrait des résultats de la recherche de genre dans le concordancier :

Figure 10 : Extrait des résultats de la recherche de « genre » dans le concordancier de FLORALE

L’utilisateur peut écouter l’extrait, accéder à un contexte plus large ou écouter toute l’émission. Certains phénomènes de prononciation sont transcrits phonétiquement comme dans l’extrait 4 de la figure ci-dessus. Ainsi, la ressource FLORALE permet de sensibiliser les apprenants et les enseignants de FLE aux spécificités de la langue parlée en interaction en proposant différents aspects de la langue à observer.

♦ CLAPI-FLE

Une autre initiative qui mérite d’être mentionnée dans les efforts réalisés pour confronter les apprenants à la langue parlée en interaction est celle menée par l’équipe LIS du laboratoire ICAR à Lyon avec CLAPI-FLE49 (Alberdi et al. 2018 ; Etienne, Jouin à paraitre). La page d’accueil présente toutes les possibilités offertes par cette ressource :

Figure 11 : Page d’accueil de CLAPI-FLE La plateforme comporte plusieurs types de ressources :

• Quarante extraits du corpus d’interactions CLAPI ont été choisis, décrits et didactisés pour que des enseignants de français puissent les utiliser en salle de classe. Ces extraits sont « classés par type d’interaction (achats/ventes, réunions, conversations, repas, appels téléphoniques, jeux, visites...), thèmes de conversation, actions langagières, registre de langue plus ou moins formel, ainsi que par niveau de langue (A1-C2) » (Alberdi et al. 2018 : 58). Ces extraits sont accompagnés de fiches pédagogiques qui peuvent aider les enseignants à les exploiter à des fins didactiques.

• Des « collections » qui présentent des phénomènes spécifiques au français parlé en interaction. Par exemple, la collection « le truc c’est que » comporte

une brève explication de cette pratique interactionnelle et des exemples extraits du corpus CLAPI viennent illustrer le fonctionnement de cette pratique.

• Des « fiches explicatives » appelées également « mini-cours » qui viennent documenter précisément un fait de langue. Par exemple, on trouve une fiche qui explique le fonctionnement du marqueur « trop », une autre celui des remerciements ou encore une autre celui des questions.

Ainsi, « la plateforme CLAPI-FLE tente aujourd’hui de répondre à certains des besoins exprimés par les didacticiens et les enseignants en familiarisant les apprenants au français oral tel qu’il est parlé dans les interactions sociales ordinaires, qu’elles soient professionnelles ou privées » (Ibid. : 67). Les fiches pédagogiques sont réalisées en collaboration avec des étudiants de deuxième année de Master de Didactique des langues de Paris Descartes, encadrés par Elodie Oursel, et bénéficient des recherches en interaction menées par l’équipe lyonnaise. Ces fiches tentent de transposer les analyses interactionnelles à la didactique, voici un exemple :

Figure 12 : Fiche pédagogique dans CLAPI-FLE

Dans cet exemple, la vidéo exploitée est décrite selon les éléments principaux suivants : le domaine (professionnel) ; les thèmes abordés (la cuisine, l’alimentation et la restauration) ; le type de discours ou le ton de l’échange (formel) ; la situation ou le lieu (achat dans un commerce) ; les actions langagières réalisées (acheter, confirmer, prendre congé, remercier, saluer) ; le débit (normal) ; la variété (standard) ; les locuteurs. Cette fiche précise également des éléments didactiques tels que les objectifs qui peuvent être travaillés avec cette vidéo et le niveau des apprenants (selon le CECRL) avec qui cette vidéo peut être

travaillée50. Chaque ressource est également accompagnée de sa transcription (avec la possibilité de la simplifier ou de la complexifier selon les conventions ICOR), de propositions d’exploitation et de données sur le vocabulaire (fréquence, répartition entre les locuteurs).

Cette plateforme est très riche en termes de transposition didactique. Elle est parfaitement complémentaire avec les deux précédentes ainsi qu’avec les travaux possibles à partir du dispositif FLEURON, au niveau des ressources proposées aux enseignants et aux apprenants ainsi que de la façon de les appréhender pour enseigner et apprendre à interagir en français.