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Chapitre 4. L’analyse sociolinguistique des interactions verbales au service de

4.2. Écart entre langue prescrite et langue réelle. Des pratiques interactionnelles non

4.2.2. genre et sa fiche descriptive

Parmi les demandes formulées en séances de formation linguistique par des enseignants et des apprenants, genre a retenu mon attention. Je me suis intéressée à genre parce qu’il a fait l’objet d’une interrogation sur son fonctionnement en salle de classe et cette interrogation a déstabilisé l’enseignant, à juste titre. Face à cette interrogation, il est complexe de répondre en termes de règles. Les interactions verbales comportent de nombreux petits mots spécifiques à l’oral, parfois empruntés à l’écrit. Ces petits mots accomplissent des activités interactionnelles, ont des effets pragmatiques, permettent de gérer le discours et l’interaction. Ils sont appelés de différentes façons en fonction de l’objet d’étude (marqueurs de discours, ponctuants, régulateurs, particules discursives, etc.)55. Cependant, dans les grammaires et dans les manuels, ils sont souvent traités comme des « disfluences » voire des « dysfluences », avec un -y- relatif aux dysfonctionnements56. En salle de classe, il n’est pas rare de constater que les enseignants de FLE les classent parmi les « tics de langage », une catégorie plutôt négative, parce qu’ils seraient non intéressants, spécifiques à un individu et à éviter.

L’analyse sociolinguistique de genre au sein d’interactions verbales montre que cette pratique accomplit des activités interactionnelles particulières et a des effets propres au genre de discours auquel les locuteurs participent. Tout d’abord, si des étudiants-apprenants de FLE souhaitent comprendre le fonctionnement de genre, c’est parce qu’ils l’entendent fréquemment dans des interactions quotidiennes. De plus, s’ils l’entendent aussi fréquemment, c’est parce que son utilisation – en tant que marqueur – n’a cessé de croitre ces dernières années, quasiment exclusivement chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans (Beeching 2016). Plus précisément, c’est l’utilisation de genre en tant que marqueur interactionnel qui est apparue récemment dans la langue réelle (André 2018/soumis). En effet, plusieurs études ont déjà été réalisées sur le marqueur genre, au-delà de ses utilisations dans des expressions telles que : un genre de, du genre à ou encore ce genre de chose. Yaguello (1998 : 18) remarquait, il y a un peu plus de vingt ans, que cette « nouvelle particule » se répandait « de plus en plus dans la génération de [ses] enfants ». Depuis, les valeurs pragmatiques de genre ont été identifiées. Il sert à exemplifier, illustrer, apporter une preuve, quantifier, introduire une explication, introduire un discours rapporté,

55 Pour des précisions terminologiques, voir André (2006a : 345-249).

56 Dans l’étude (André, Tyne 2012), mentionnée dans le chapitre 3, nous utilisons volontairement le terme de « dysfluence » à des fins polémiques.

catégoriser (Yaguello 1998 ; Fleischman 1998 ; Rosier 2002 ; Danon-Boileau, Morel 1997 ; Vladimirska 2016). Il permet également de jouer un rôle dans la construction syntaxique d’un énoncé (Rosier 2002 ; Chauveau-Thoumelin 2016), il peut remplacer comme si ou une conjonction de subordination. Il peut également introduire un discours métalinguistique (et serait l’équivalent d’une unité telle que je veux dire par là). Et enfin, il est également un marqueur interactionnel, c’est-à-dire qu’il joue un rôle au niveau de l’interaction et de l’implication de son interlocuteur dans son discours.

A l’instar des collections proposées par CLAPI-FLE, je propose une collection sur genre. Elle a pour objectif d’être une transposition didactique des analyses sociolinguistiques que j’ai effectuées afin d’aider les enseignants et les apprenants à comprendre cette spécificité du français parlé en interaction.

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Fiche descriptive de genre

Le marqueur genre permet d’accomplir plusieurs activités à l’oral en interaction. Par exemple, parmi les activités interactionnelles les plus facilement identifiables, il permet d’introduire un exemple, de donner une explication, de catégoriser, de donner une approximation. Ce marqueur permet également d’introduire un discours indirect ou de relater une scène. Le marqueur genre permet également, un peu comme tu vois, de demander à son interlocuteur d’être attentif ou de l’impliquer dans son discours.

D’un point de vue syntaxique, genre sert parfois de conjonction entre deux propositions. Le marqueur genre est essentiellement utilisé par des locuteurs jeunes (entre 15 et 25 ans) qui ont une relation amicale et qui participent à une conversation informelle.

La collection est organisée de la façon suivante :

1. genre : pour illustrer, exemplifier, apporter une preuve 2. genre : pour donner une approximation

3. genre : pour introduire une explication 4. genre : pour catégoriser

5. genre : pour introduire un discours indirect ou une scène recréée 6. genre : pour impliquer son interlocuteur dans son discours 7. genre : pour coordonner deux propositions

Illustration avec des exemples extrait du corpus TCOF.

1. genre : pour illustrer, exemplifier, apporter une preuve

Exemple 1.1. Deux étudiantes préparent un exposé. Elles déterminent une stratégie pour essayer de respecter le temps qui leur est imparti. (Cours_MAU_15).

L2 donne un exemple de ce qu’elle peut faire pour signaler à son amie qu’il lui reste deux minutes de présentation.

L2 ben moi comme je serais en face ce que je fais bah je je te chronomètre et puis comme ça je te fais genre signe quand ça

fait une minute deux minutes L1 ok on peut faire ça

Exemple 1.2. Deux étudiantes parlent de leur avenir professionnel. (Corpus_AMA_15)

L2 donne un exemple de ce qu’elle souhaite faire. L1 propose ensuite un autre exemple (en posant une question).

L1 tu veux faire quoi toi

L2 moi je veux faire quelque chose en rapport avec la langue des signes + genre

accompagner les enfants sourds (…)

L1 et genre orthophoniste ça te plairait pas Exemple 1.3. Une étudiante raconte à une amie son séjour Erasmus. (Erasmus_UZA_17)

L1 utilise genre comme interrogatif, pour demander à L1 de donner des exemples de matières qu’elle a suivies pendant son séjour universitaire. L2 commence son tour par genre pour donner un exemple.

L2 on a fait pas mal de matières qui n'ont pas forcément à voir avec la sociologie de façon directe

L1 genre quoi +

L2 genre euh + on avait euh démocratie et

société civile

2. genre : pour donner une approximation

Exemple 2.1. Trois étudiantes racontent leur travail saisonnier. (Dimanche_NAG_16)

L3 prend *Pren1* (prénom anonymisé) comme exemple puis donne une approximation de ce qu’elle a volé.

L3 mais euh ouais genre *Pren1* nous elle

euh elle a travaillé au McDo cet été et du coup elle a volé genre des caisses entières

de crème Deluxe

L1 là du coup elle en a plein chez elle

Exemple 2.2. Un jeune homme raconte son voyage en Angleterre. (Coree_GHU_14).

L1 donne une approximation de la distance

entre deux villes. L1 sur un site ouais on était parti clubbing avec les enfants à Worthing qui est à peu près à genre une heure de Brighton enfin

3. genre : pour introduire une explication

Exemple 3.1. Un jeune homme raconte à ses amis son travail en Australie. (Garcons_TOU_17)

L2 fait une parenthèse pour expliquer

pourquoi il faisait chaud. L2 mais ouais ouais quand même là-dessus j'ai eu de la chance [rire] [toux] mais c'était chaud parce que genre euh dans la ferme

de kiwis tu sais c'était pendant l'été L3 ouais

L2 il faisait trente-cinq degrés et on devait ramasser des kiwis sous trente-cinq degrés euh toute la journée [toux]

4. genre : pour catégoriser

Exemple 4.1. Une jeune femme raconte son voyage en Inde. (Inde_BEL_ZIN_15).

L1 explique qu’il existe plein de moyens de transport différents qui peuvent s’apparenter à des taxis.

L1 c'est vraiment une des choses qui nous a le le plus euh le plus surpris et au niveau de la circulation et bien il y a des voitures des taxis mais il y a tout il y a des vélos il y a des tuks-tuks ces petites mobylettes avec des des places pour transporter genre taxis

mais il y a aussi des animaux il y a des euh comment des chameaux des dromadaires qui tirent des charrettes

5. genre : pour introduire un discours indirect ou une scène recréée

Exemple 5.1. Une jeune femme raconte à une amie ce qu’il s’est passé lors de son trajet en voiture de chez elle à l’université. (Automobile_GUE_08)

L1 rapporte les paroles d’un

automobiliste. L1 et euh avant juste avant dans le village il y avait euh + il y avait une caisse devant moi et une autre derrière et celle de derrière lui collait au cul genre vas-y avance et tout

L2 < ouais

L1 mais > super nerveusement quoi

Exemple 5.2. Un jeune homme raconte à ses amis son travail en Australie. (Garcons_TOU_17)

L2 rapporte le mail qu’il a reçu. L2 je devais quitter ma famille d'accueil j'avais nulle part où aller j'avais pas de taff et tout tu vois et genre euh ben à minuit moins dix

j'ai reçu un mail de de la ferme qui me disait oh ben c'est bon si vous voulez vous pouvez venir euh demain on vous loge

Exemple 5.3. Une jeune femme raconte à une amie ce qu’il s’est passé lors de son trajet en voiture de chez elle à l’université. (Automobile_GUE_08)

L1 raconte la scène qu’elle a vécue. Elle accompagne son discours de gestes qui imitent ceux de l’automobiliste.

L1 ben quand on arrive au stop le matin tu sais il y a une queue

L2 ouais

L1 mais laisse tomber + elle s'arrête et euh là le mec je je commence il sort de la caisse et il va voir celui qui l'a doublé et tu sais

genre trop vénère il commence à faire des

gestes dans tous les sens tu vois qu'il crie tu vois qu'il est pas content tu ne sais pas pourquoi mais euh + voilà et la file de voitures qui avance qui avance et tout

6. genre : pour impliquer son interlocuteur dans son discours

Exemple 6.1. Une jeune femme raconte un film à un ami. (Film_TRE_15)

L1 ponctue son discours avec genre. Le marqueur accomplit plusieurs activités interactionnelles et, par la même occasion, en multipliant les apparitions de genre, il implique son interlocuteur dans son discours.

L1 ouais bah j- c'est ça qui rythme le truc que là genre il y en a un c'est un acteur et l'autre c'est un prof d'histoire euh à la fac je crois donc euh en gros il y en a qui a une vie de ouf l'autre qui a une vie de merde et euh et oui c'est le même principe en fait c'est un schizo tu vois mais il y a des trucs trop bizarres avec une histoire d'araignée pas compris pourquoi genre euh genre la

fin et vraiment euh genre sa copine est

enceinte enfin sa femme enfin bref elle est enceinte et genre euh tout à la fin il va la

voir dans une pièce et en fait elle s'est transformée en araignée

7. genre : pour coordonner deux propositions, à la place d’une subordination

Exemple 7.1. Deux étudiantes parlent de la vie à Tahiti. (Tahiti_AIT_17)

L2 utilise genre à la place de que. L2 ouais c'est ça la vie elle est chère là-bas L1 ou les gens ils sont pauvres c'est quoi

ouais

L2 hum + je crois genre on paye beaucoup

là-bas L1 hum

8. genre : pour introduire une question

Exemple 8.1. Une jeune femme (L1) interroge son ami (L2) sur son ancien métier de militaire. (Armee_MER_15)

L1 introduit sa question par genre. L2 bah nous on a ses rations combat et on dort euh + sur des pauvres lits de merde et juste avec une petite moustiquaire au-dessus pour dire que on est protégé quoi L1 mais genre c'est parce qu'ils ont pas les

budgets ou euh

L2 oui l'armée française n'a pas du tout le budget

Exemple 8.2. Une jeune femme (L1) interroge son ami (L2) sur son ancien métier de militaire. (Armee_MER_15)

L1 introduit sa question par genre.

Les deux premiers sont une amorce, L2 interrompt L1 pour prendre la parole. Dès que L1 a terminé son tour et le message qu’il souhaitait communiquer, L1 reprend sa question en commençant par mais genre. On remarque ici que genre introduit les deux alternatives de la question.

L1 il y en a ou pas des mecs qui se tapent des putes

L2 ah oui oui il y en a il y en a même eu un qui a attrapé le sida là-bas donc euh L1 sérieux par une pute

L2 bah oui +

L1 et genre euh < genre i-

L2 une pute > c'était en fait euh + une euh une fille euh du village qui était venue pour ai- aider en cuisine +

(…) ###

L1 mais genre il est tombé amoureux ou genre il voulait < juste la

L2 non non > c'est voilà + L1 hum + chaud quand même +

Conclusion

Le marqueur genre peut accomplir différentes activités interactionnelles. Parfois, une seule occurrence vise plusieurs objectifs, tels qu’exemplifier et justifier ou expliquer et demander l’attention de l’interlocuteur.

Il apparait à différents endroits dans le tour de parole, parfois au début pour prendre la parole, parfois entre deux unités et parfois en fin de tour.

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Ainsi, la fiche descriptive de genre est réalisée à partir de l’analyse sociolinguistique d’interactions verbales (corpus TCOF). Elle est rédigée pour être utilisée soit par des enseignants, soit par des apprenants de FLE, essentiellement pour un travail en compréhension orale (même si, pour les apprenants qui le souhaitent, un travail en

expression est possible avec la fiche). Elle est présentée ici dans une version courte et simplifiée. Sa version finale comporte plus d’exemples pour chacune des catégories et donne la possibilité d’écouter les extraits sonores de chaque exemple. Elle présente également des liens vers des corpus oraux et multimodaux pour que les utilisateurs puissent effectuer leurs propres requêtes (via un concordancier), compléter leurs observations et analyser les occurrences qu’ils rencontrent (sur les principes de l’apprentissage sur corpus, développé dans le chapitre suivant) afin de les comprendre. Cette fiche a été testée et évaluée par des enseignants de FLE du DéFLE à Nancy.