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Service de l’enseignement des sciences comptables hEC Montréal 1

1. LA PERTinEnCE DE L’inFoRMATion CoMPTABLE

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ous entendons par pertinence de l’information comptable ou value relevance le fait que cette information est utilisée par les investisseurs, ou les autres acteurs sur le marché des capitaux, dans leur prise de décision. Empiriquement, la pertinence de l’information comptable est testée par la relation statistique entre la valeur boursière d’une entreprise et l’information comptable divulguée sur cette entreprise. Le modèle fréquemment utilisé pour tester la pertinence de l’information comptable est celui développé par Ohlson (1995) et Feltham et Ohlson (1995).

dans ce modèle, le bénéfice net comptable et la valeur comptable des capitaux propres expliquent la valeur boursière d’une entreprise.

Historiquement, la pertinence de l’information comptable a évolué selon l’étude américaine faite par Collins et al. (1997) portant sur 115 154 observations (entreprises-années) sur la période 1953-1993. Alors qu’au début de la période étudiée le bénéfice net et la valeur comptable des capitaux propres étaient tous les deux d’égale importance dans la relation valeur boursière – information comptable, l’importance de la valeur comptable des capitaux propres s’est par la suite améliorée au détriment de celle du bénéfice net. Trois faits semblent expliquer ce phénomène.

Tout d’abord, au fil du temps, le nombre de petites entreprises a augmenté. ces dernières sont souvent considérées comme des entreprises en démarrage dans leur cycle de vie. Pour ce genre d’entreprises, la valeur marchande repose plus sur les flux monétaires futurs que sur les bénéfices actuels. plusieurs études, dont amir et Lev (1996), constatent que la valeur comptable des capitaux propres est plus appropriée dans ces circonstances que le bénéfice actuel pour évaluer la valeur marchande.

ensuite, le nombre d’entreprises en difficulté financière a aussi augmenté au fil du temps. Dans ce cas, les investisseurs anticipant une faillite se tournent vers la valeur de liquidation de l’entreprise qui est très proche de la valeur comptable des capitaux propres. Ainsi, Burgstahler et Dichev (1997) ont constaté que la pertinence se déplace du bénéfice net vers la valeur comptable des capitaux propres lorsque l’entreprise connait des pertes ou fait face à une détresse financière.

Finalement, de plus en plus d’entreprises retardent volontairement la constatation de leurs charges ou produits exceptionnels. en faisant ainsi, le bénéfice comptable de ces entreprises ne reflète plus leur réalité économique. elliot et hanna (1996) ont constaté que le marché des capitaux ignore les éléments exceptionnels, aussi bien positifs que négatifs : le bénéfice avant les charges et produits exceptionnels semble être plus pertinent que le bénéfice net.

Ainsi, l’état des connaissances actuelles semble renforcer l’importance de la valeur comptable des capitaux propres au détriment du bénéfice net lorsqu’on examine la relation entre la valeur marchande et les informations comptables divulguées.

afin d’améliorer la mesure de la pertinence de l’information comptable, certaines études ont ajouté d’autres variables indépendantes dans le modèle original de Ohlson (1995). C’est ainsi par exemple que Cazavan-Jeny et Jeanjean (2005) ont ajouté dans leur modèle les actifs incorporels.

Dans cette optique d’amélioration de la mesure de la pertinence de l’information comptable, dans la présente étude, nous allons choisir une voie qui, à notre connaissance, n’a pas encore été explorée. Nous allons examiner l’effet modérateur des mécanismes de gouvernance sur l’utilisation de l’information comptable.

dans la section suivante, nous allons faire une revue des écrits sur l’influence des mécanismes de gouvernance sur la qualité de l’information comptable divulguée dans le but de renforcer les arguments qui appuient notre cadre théorique présenté à la section 3.

2. LES MéCAniSMES DE GouVERnAnCE ET LA quALiTé DE L’inFoRMATion CoMPTABLE DiVuLGuéE

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lusieurs variables relatives à la gouvernance d’entreprises ont été évoquées dans les écrits antérieurs. Il s’agit de la présence d’actionnaires externes détenteurs de blocs d’actions, des caractéristiques du conseil d’administration et du comité de vérification et les mécanismes externes de gouvernance.

2.1 La présence d’actionnaires externes détenteurs de blocs d’actions

Selon Jensen (1993), pour inciter les administrateurs externes à mieux surveiller les dirigeants, ils devraient être encouragés à détenir une quantité substantielle d’actions de l’entreprise. De tels actionnaires détenteurs de blocs d’actions, ou leurs représentants au conseil d’administration, ont non seulement un intérêt financier mais aussi une indépendance nécessaire pour bien protéger leur investissement dans la compagnie. Ainsi par exemple, la présence d’investisseurs institutionnels a une influence marquante sur les éventuels comportements opportunistes des gestionnaires.

D’une façon plus empirique, Beasley (1996) a constaté une relation négative entre le pourcentage d’actions détenues par les administrateurs externes et la probabilité de fraudes liées aux états financiers. il en est de même pour dechow et al. (1996) qui ont montré que les entreprises qui ont des administrateurs externes détenteurs de blocs d’actions ont moins tendance à être assujetties à des mesures disciplinaires de la SEC que les entreprises qui n’en ont pas.

2.2 Les caractéristiques du conseil d’administration

Les caractéristiques du conseil d’administration examinées par les études antérieures sont : la taille du conseil, son indépendance et l’expertise des administrateurs.

2.2.1 La taille du conseil d’administration

La taille du conseil d’administration est considérée comme un facteur déterminant de la qualité de l’information financière divulguée par l’entreprise. Les grandes entreprises, qui ont normalement un conseil d’administration de taille élevée, bénéficient d’économies d’échelles qui font que la préparation d’une information de qualité leur serait de moindre coût. Il serait alors logique d’avoir une relation positive entre la taille du conseil d’administration et la qualité de l’information financière divulguée. cependant, les résultats obtenus par certaines études semblent

contredire cette relation. Ainsi, Beasley (1996) a constaté que la probabilité de fraudes liées aux états financiers s’accroît avec la taille du conseil d’administration.

Dans le même ordre d’idée, Abbott et al. (2004) observent une relation positive entre la probabilité de manipulation du résultat et la taille du conseil. Toutefois, une étude semblable menée par Dechow et al. (1996) n’a pas produit de résultats significatifs. ils ont trouvé que la taille moyenne du conseil d’administration des firmes assujetties à des mesures disciplinaires imposées par la Securities and Exchange Commission (SEC), en raison de présumées violations comptables, est approximativement la même que celle des firmes de l’échantillon de contrôle.

ces résultats contradictoires semblent donner raison à Jensen (1993) qui affirme qu’il existe une taille optimale au-delà de laquelle le conseil d’administration n’est plus efficace. ce nombre optimal d’administrateurs pourrait dépendre du secteur d’activité de l’entreprise.

2.2.2 L’indépendance du conseil d’administration

Selon la théorie d’agence, le conseil d’administration joue le rôle principal de surveillance et de contrôle des activités de la haute direction. Le conseil d’administration est le plus important mécanisme de contrôle interne de l’entreprise ayant la responsabilité ultime de son bon fonctionnement selon Fama et Jensen (1983). En général, les membres externes du conseil d’administration sont les mieux placés pour surveiller les dirigeants de l’entreprise et assurer une information financière de qualité, ce qui met en évidence l’importance de la notion d’indépendance des administrateurs. Plusieurs études utilisent la composition du conseil d’administration pour évaluer cette indépendance. Cependant, les résultats obtenus sont contradictoires. Tout d’abord, Dechow et al. (1996) ont constaté que le pourcentage des administrateurs internes au conseil d’administration a une influence positive sur la manipulation des bénéfices. par conséquent, une relation positive existe entre le pourcentage d’administrateurs externes et la qualité de l’information financière. Beasley (1996) s’est intéressé également à l’influence de la composition du conseil d’administration sur la gestion des bénéfices. il a testé l’hypothèse selon laquelle la présence d’administrateurs externes réduit la probabilité de fraude. Il a constaté que la disposition à frauder diminue significativement avec le pourcentage d’administrateurs externes au conseil d’administration. Ensuite, Abbott et al.

(2004) ont fait une analyse logistique appariée d’entreprises américaines blâmées par la SEC en raison d’une information financière frauduleuse. Les auteurs ont trouvé des résultats différents de ceux de Beasley (1996) car ils n’ont pas observé une corrélation significative en ce qui a trait à la proportion d’administrateurs externes ou indépendants. enfin, abbott et al. (2004) ont également remarqué que le pourcentage d’administrateurs externes n’a pas d’influence sur la probabilité qu’une firme soit contrainte au règlement de la sec.

2.2.3 L’expertise des administrateurs

L’expertise des administrateurs a été mesurée par l’ancienneté et la compétence financière. Tout d’abord, en ce qui concerne l’ancienneté des administrateurs, Beasley (1996) a soutenu que celle-ci renforce la capacité du conseil d’administration à exercer un contrôle sur la haute direction. En effet, les administrateurs ayant plusieurs années d’expérience dans l’entreprise seraient beaucoup plus efficaces puisqu’ils sont plus enclins à maîtriser les comportements opportunistes et résister aux pressions éventuelles des gestionnaires. Beasley (1996) a constaté une relation fortement négative entre le nombre moyen d’années pendant lesquelles les administrateurs externes ont siégé au conseil d’administration et la probabilité d’émettre des états financiers frauduleux.

enfin, plusieurs études mesurent aussi l’expertise des administrateurs par leur compétence dans le domaine de la finance et de la comptabilité. par exemple, anup et sahiba (2004) ont trouvé que la probabilité de manipulation des bénéfices est faible pour les compagnies dans lesquelles le conseil d’administration se compose d’au moins un administrateur indépendant détenant un titre professionnel en comptabilité ou en finance.

2.3 Les caractéristiques du comité de vérification

de tous les comités issus du conseil d’administration, le comité de vérification est celui qui pourrait influencer directement la qualité de l’information financière divulguée. en effet, ce comité a pour rôle de vérifier les états financiers, le processus de vérification et le système de contrôle interne. Les caractéristiques du comité de vérification examinées sont la présence du comité, son indépendance et l’expertise de ses membres.

2.3.1 La présence du comité de vérification

La présence d’un comité de vérification était optionnelle aux États-Unis avant décembre 1999, date où elle a été rendue obligatoire. à part Beasley (1996), les études empiriques ont toujours confirmé l’importance du comité de vérification en matière d’information financière. ainsi, dechow et al. (1996) concluent que les firmes fautives ne possèdent généralement pas de comité de vérification dans leur conseil d’administration. De même, McMullen (1996) a trouvé que la présence d’un comité de vérification diminue de façon drastique la probabilité de voir se produire les conséquences suivantes d’une information financière de mauvaise qualité : poursuite pour information financière frauduleuse, correction des résultats trimestriels et existence d’actes illégaux. enfin, abbott et al. (2004) ont constaté que la présence d’un comité de vérification peut, sous certaines conditions, limiter les actes malveillants des dirigeants.

2.3.2 L’indépendance du comité de vérification

Comme dans le cas du conseil d’administration, la présence d’administrateurs externes au sein du comité de vérification devrait améliorer son indépendance (Klein, 2002). Cette étude a constaté une relation négative entre la manipulation des bénéfices et le degré d’indépendance du comité de vérification. cependant, la même étude a découvert que les comités de vérification composés exclusivement d’administrateurs externes ne sont pas nécessairement plus efficaces que ceux qui n’ont qu’une majorité. Toutefois, Abbott et al. (2004) constatent qu’un comité de vérification composé exclusivement d’administrateurs externes et se réunissant au moins deux fois par an réduit significativement la probabilité qu’une entreprise soit sujette à des mesures disciplinaires de la part de la SEC pour communication financière agressive ou frauduleuse. enfin, abbott et al. (2004) montrent que la disposition à corriger les résultats déjà publiés diminue de façon importante si tous les membres du comité de vérification sont indépendants.

2.3.3 L’expertise des membres du comité de vérification

comme dans le cas du conseil d’administration, l’existence d’un expert financier au comité de vérification pourrait améliorer son efficacité. L’effort des hauts dirigeants et des vérificateurs externes pourrait être stimulé par les questions pertinentes de l’expert financier, ce qui contribuerait à l’amélioration de la qualité de l’information financière. Jenkins (2002) indique qu’une proportion plus grande d’experts financiers au comité de vérification peut contribuer à la qualité de l’information financière. L’auteur examine la relation entre la gestion des résultats et l’efficacité du comité de vérification, telle que mesurée à l’aide d’un score positivement associé à quatre facteurs comprenant le pourcentage d’experts financiers. son étude montre qu’un comité de vérification efficace fait obstacle à la manipulation haussière des résultats. Par ailleurs, Abbott et al. (2004) montrent que la probabilité d’avoir à redresser les résultats diminue de façon importante lorsque le comité de vérification comprend au moins un expert financier.

2.4 Les mécanismes externes de gouvernance

D’autres mécanismes de gouvernance que nous pouvons lier à la qualité et à la pertinence de l’information comptable pourraient être identifiés dans la littérature.

il s’agit des caractéristiques du vérificateur externe et le nombre d’analystes financiers suivant l’entreprise.

2.4.1 Les caractéristiques du vérificateur externe

dans le processus de divulgation de l’information financière des entreprises cotées, la vérification externe est une étape obligatoire pour certifier la conformité des états financiers aux principes comptables généralement reconnus. La qualité de l’information financière pourrait alors varier avec celle du vérificateur externe, avec son indépendance et sa capacité à empêcher les manipulations comptables. Les écrits antérieurs ont utilisé trois variables pour mesurer les qualités du vérificateur externe, soient le ratio des honoraires par rapport aux honoraires totaux versés, l’appartenance aux quatre grands cabinets de vérification (BIG 4) et l’ancienneté du vérificateur.

La relation entre le ratio des honoraires de vérification et la qualité de l’information divulguée semble ne pas avoir donné des résultats concluants. En effet, Frankel et al.

(2002) trouvent que les entreprises offrant des honoraires relativement élevés pour des services qui ne sont pas liés directement à la vérification tendent à manipuler davantage leurs résultats. Par contre, Jenkins (2002) ne constate aucune relation positive entre le ratio des honoraires de vérification et la qualité de l’information financière.

pour l’appartenance du vérificateur aux grands cabinets comptables reconnus, les résultats des recherches empiriques semblent être également ambigus. DeAngelo (1981) soutient que les plus grands cabinets comptables effectuent une vérification de qualité supérieure. Plus la taille du cabinet (mesurée par le nombre de clients) est grande, moins le vérificateur à intérêt à tolérer les pratiques opportunistes d’un de ses clients. Alors que pour DeFond et Jiambalvo (1993), l’appartenance d’un vérificateur aux grands cabinets comptables reconnus n’a pas d’incidence significative sur l’obligation de corriger les états financiers après la réalisation d’erreurs comptables. Les mêmes auteurs ont même appuyé leurs idées en avançant que les conflits concernant les pratiques comptables de manipulation de résultats sont plus susceptibles de se produire lorsque le vérificateur appartient aux grands cabinets comptables. Dans le même ordre d’idée, Dechow et al. (1996) ne constatent aucune différence significative entre les firmes assujetties aux mesures disciplinaires de la SEC et les entreprises de contrôle, pour ce qui est du recours à des vérificateurs appartenant aux grands cabinets comptables.

enfin, la théorie prédisant que l’ancienneté du vérificateur provoque une perte de la qualité de la vérification est souvent évoquée dans les écrits antérieurs. cependant, les résultats obtenus par les études empiriques sont contradictoires. Ainsi, Knapp (1991) a constaté que la probabilité que le vérificateur détecte une anomalie est plus grande au cours des premières années de son mandat. Par la suite, cette probabilité diminue graduellement pour atteindre son plus bas niveau après 20 ans de service. Cependant, Frankel et al. (2002) ont observé une relation négative entre l’ancienneté du vérificateur et les régularisations anormales.

2.4.2 Le nombre d’analystes financiers suivant l’entreprise

Cette variable a été utilisée par Chung et al. (2003) avec la composition du conseil d’administration et la présence d’investisseurs institutionnels. Ces auteurs ont ainsi examiné l’influence de trois mécanismes de gouvernance sur la pertinence des investissements en actif incorporel et en recherche et développement (R&D) d’entreprises américaines. Ils ont trouvé que la valorisation des actifs incorporels et des investissements en R&D se base strictement sur le nombre d’analystes financiers suivant l’entreprise et la composition du conseil d’administration. plus précisément, plus le nombre d’analystes financiers suivant l’entreprise est élevé, plus les dirigeants sont contraints à optimiser la valeur de celle-ci.

2.5 De la qualité à la pertinence de l’information

La pertinence de l’information comptable, telle que définie dans la présente étude, fait référence à l’utilisation de l’information par les investisseurs, ou les autres acteurs du marché des capitaux, dans leur décision. Or, cette utilisation dépend de la perception de ces décideurs de la qualité de l’information disponible. Ainsi, tout mécanisme qui améliore la perception des décideurs de la qualité de l’information comptable devrait ultimement améliorer la pertinence de cette information. Nous nous basons sur cette prémisse afin de développer notre cadre théorique.