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Le principe de l’indépendance : nécessaire mais pas suffisant Le second facteur susceptible de décliner l’intensité normative relève de l’adhésion

2.2. Les déterminants de l’intensité normative : quelle force contraignante ?

2.2.2. Le principe de l’indépendance : nécessaire mais pas suffisant Le second facteur susceptible de décliner l’intensité normative relève de l’adhésion

la difficulté à évaluer « objectivement » un grand nombre de critères, d’autant

• plus que le noteur dépend des informations que les entreprises acceptent plus ou moins de fournir

la non-pertinence d’une échelle linéaire de notation16. Ces faits observés

• illustrent donc la pression normative (économique ou politique) et ses effets variables dans la mise en œuvre concrète de la norme au sein des entreprises visées par la norme.

2.2.2. Le principe de l’indépendance : nécessaire mais pas suffisant Le second facteur susceptible de décliner l’intensité normative relève de l’adhésion aux valeurs portées par la norme. En ce sens, il s’agit de repérer empiriquement les positions défendues par les acteurs vis-à-vis des valeurs associées à la norme d’inclusion d’administrateurs indépendants dans les conseils.

L’administrateur indépendant que nous avons interrogé considère que

’indépendance est « une condition nécessaire mais pas suffisante à une bonne gouvernance. Il faut aussi être compétent ». Ces propos rejoignent ceux de Denis Kessler17, Pdg Scor, qui déclare :

« Un administrateur doit selon moi avoir d’abord et avant tout une forte personnalité qui lui permettra de se forger sur chaque sujet son intime conviction mais aussi de l’exprimer et participer activement aux débats du conseil et de ses comités.

Je crois que les différents critères dits objectifs mis en avant pour qualifier un administrateur comme indépendant sont toujours incomplets et discutables..(…) des administrateurs qui satisfont tous les critères « objectifs » d’indépendance peuvent s’avérer être en définitif très passifs » (Lettre IFA, n° 15, février 2008, p.5).

Ainsi, l’administrateur indépendant doit donc être doté d’attributs comportementaux lui permettant d’ « exprimer » son indépendance et fondent en partie sa compétence d’administrateur. L’Institut Français des Administrateurs abonde largement dans ce

16 En matière de risque, on utilise parfois des échelles non linéaires, par exemple en progression géométrique 1, 5, 25, 125 ou 1, 3, 9, 27.

17 Vice-Président du CNPF à l’occasion du rapport Vienot 1 et membre de la commission Bouton.

sens en proposant dans son rapport de 2006 que soit « prise en compte la capacité à résister à certaines formes de pression de type psychologique qui peuvent s’exercer consciemment ou inconsciemment au sein du Conseil d’administration » (cf annexe 3). Cette importance accordée à la compétence s’accompagne de la nécessité pour les administrateurs indépendants de suivre des programmes de formation.

Du point de vue des codes analysés, il ressort que chacun des codes français reconnaît également la compétence comme une des qualités premières d’un administrateur. Le tableau 2 ci-dessous montre plus précisément à la fois la part congrue du critère de compétence, mais également son poids grandissant comme critère complémentaire à celui de l’indépendance.

Tableau 2 : nombre d’occurrences des termes indépendant (s) (ou indépendance) et compétent(s) (ou compétence) associés au mot administrateur

Indépendant(s) ou

indépendance Compétent(s) ou compétence

Viénot I (1995) 22 3

Viénot II (1999) 12 0

Bouton (2002) 26 6

Code consolidé (2003) 24 6

En tenant les propos suivants : « l’administrateur éclairé [est un administrateur]

indépendant, qui agit dans le sens de l’intérêt social, qui comprend la stratégie, qui adhère au projet et qui accepte l’erreur mais pas la faute », l’administrateur interrogé résume cette complémentarité entre indépendance et compétence.

Les qualités de l’administrateur (indépendance/compétence) s’expriment par ailleurs dans une dynamique collective qui renvoie au dialogue qui s’instaure entre les différents schémas mentaux des administrateurs. Ainsi, l’administrateur indépendant interrogé précise que « le conseil d’administration est un lieu de débat et de critiques constructives. Il n’y a pas d’administrateurs lisses et neutres. Ils sont là pour faire bouger la société (…), pour débattre et élaborer ensemble une orientation stratégique ». L’administrateur indépendant est donc là pour « border le CA d’une culture différente » ; en ce sens, un bon administrateur « est une personne idéale, d’une certaine maturité, qui sache dire non quand il le faut et pour cela avoir la compétence pour le dire ».

Si l’adhésion à la norme facilite l’orientation des comportements des dirigeants, elle facilite également le travail de notation et donc renforce l’effectivité de la fonction de mesure de la norme. Dans les faits, nous observons qu’en cas de forte adhésion à la norme, le noteur bénéficie d’une relation privilégiée avec l’entreprise qui lui communique un nombre d’informations qui va parfois au-delà de ce que le noteur réclame. On peut parler ici de schémas mentaux partagés entre le noteur et l’entreprise.

ConCLuSion

Notre objectif était de croiser les regards des théoriciens des sciences juridiques et des sciences de gestion avec ceux des praticiens afin de comprendre les enjeux et les pratiques de la norme relative à l’inclusion des administrateurs indépendants au sein des conseils.

En nous appuyant sur les travaux des juristes-chercheurs relatifs au droit souple, nous avons examiné les fonctions d’orientation des comportements et d’évaluation de cette norme, sous l’angle des théories de la gouvernance issues des paradigmes de l’efficience et de la légitimité. nos résultats empiriques valident la plausibilité de l’existence de ces deux fonctions et donc la plénitude de normativité de la norme d’inclusion des administrateurs indépendants au sein des conseils (proposition 1 validée).

Dans la logique de nos confrères juristes, nous avons complété notre étude en testant la plausibilité de l’intensité normative de l’inclusion des administrateurs indépendants dans les conseils (proposition 2). Nous observons des pratiques hétérogènes qui semblent s’expliquer en partie par des pressions (économiques et politiques) et une adhésion normatives qui dépendent des caractéristiques des entreprises.

A l’instar d’autres études conduites sur le processus de normalisation en gouvernance cette étude montre que la diffusion constatée de la norme donne l’impression d’un

« effet d’universalisation »18 produisant « l’illusion que l’énonciation normative est le fait d’un sujet universel, à la fois impartial et objectif, alors qu’il est produit par une catégorie professionnelle particulière qui appartient au groupe dominant ».

Au regard de cette étude, nous observons un double phénomène : au niveau macroéconomique, la création même de la norme d’indépendance a un effet immédiat, celui de légitimer les places financières en cherchant à garantir leur

18 Bitard (2003, p. 32 reprenant Bourdieu)

attractivité. Au niveau microéconomique, l’organisation et le dirigeant peuvent opter ou non pour une application de la norme (dans un souci de légitimité et/ou d’efficience organisationnelle) ; cette liberté préservée par le droit souple confère à la norme d’indépendance des administrateurs une intensité normative hétérogène malgré la volonté au niveau macroéconomique, de cibler à travers la norme, une gouvernance plus efficace19 dans son rôle universellement prétendu de préservation de l’intérêt social.

Le droit souple tient une place centrale dans le processus d’élaboration généralisée des règles de gouvernance. En ce sens, la crise de gouvernance révélée par de multiples scandales financiers s’accompagne d’un phénomène de « privatisation » de sa régulation. cependant, la course-poursuite sans fin vers le durcissement des normes et la permissivité qu’elle accorde à ne pas l’appliquer ont le mérite ensemble de laisser entre-ouvertes d’autres voies au niveau microéconomique pour cheminer vers une bonne gouvernance. il apparait finalement que les acteurs en privilégiant un droit souple optent pour un desserrement possible de la contrainte macroéconomique des marchés en libérant la latitude managériale dans le choix d’application ou non des normes. Cette approche suppose dans la pratique que les évaluations soient calibrées en intégrant des critères de « non application positive », ce qui suppose en conséquence que le marché soit en mesure d’exercer alors son rôle d’évaluateur, donc qu’il soit efficient.

19 Précisons en convergence avec Charreaux (2002) que les mécanismes de gouvernance sont par nature complémentaires et substituables. Il ne s’agit pas dans cette étude centrée sur un des dispositifs du système de gouvernance de l’entreprise de présumer de l’efficacité de l’ensemble. Nous soulignons ici que la norme de l’indépendance de l’administrateur parce qu’elle est de texture souple implique une vigilance sur la sanction possible que son évaluation peut produire.

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AnnExES

Annexe 1 : Diffusion accélérée des codes en gouvernance (source