• Aucun résultat trouvé

2.1 « Pour vivre heureux, vivons cachés » (1989-1999)

3. un CoMPRoMiS PoRTEuR DE ConTRADiCTionS

3.2 L’hypothèse d’instrumentalisation

On comprend beaucoup mieux, dès lors, pourquoi la transparence peut en venir à constituer un profond motif d’inquiétude (Zarka, 2006). Ce dernier, en effet, émane d’un mouvement plus large de démocratisation du gouvernement d’entreprise qui est des plus ambivalents sous le rapport des attentes formulées par les stakeholders (gomez, 2001). Le cas de la firme enron, qui fut longtemps célébrée comme un

« modèle de gouvernance », est sur ce point emblématique du décalage qui peut exister entre le principe de transparence et les conséquences possibles de sa mise en œuvre concrète… qui, dans ce cas, n’a pas empêché un détournement de valeur par les principaux dirigeants jugé « digne » d’un scénario hollywoodien9.

Véritable « cas d’école » qui permet d’illustrer les ambivalences de la transparence, Enron n’est cependant que « l’arbre qui cache la forêt » (Pastré et Vigier, 2003).

dit autrement, le cas de la firme californienne n’est qu’un exemple, parmi d’autres, qui permet d’illustrer l’ambiguïté fondamentale dont la transparence est porteuse sous le rapport de cette « discipline managériale » que son imposition était censée induire. En fait, sans avoir besoin d’évoquer les effets du dogmatisme qui peut désormais régner en la matière, dogmatisme qui conduit, par exemple, à interpréter la moindre dissimulation comme une tentative de manipulation, il apparaît que cette ambiguïté peut effectivement être grande à compter que la mise à disposition du public d’informations privées toujours plus nombreuses peut parfaitement être mise au service d’un conditionnement de « l’Opinion ».

Soumise aux règles d’un jeu médiatique, cette dernière risque fort, alors, de perdre sa fonction critique et de se voir assujettie par des groupes d’intérêts privés qui utilisent la technique publicitaire au service de leur pouvoir (Habermas, 1962).

Pour preuve, et méditant au passage sur l’aphorisme selon lequel parfois « il faut que tout change pour que rien ne change », si « l’Opinion » avait tendance auparavant à suspecter les dirigeants de gagner beaucoup d’argent, s’engageant dans des activités critiques pour transformer cet état de fait en réclamant plus de transparence, elle sait aujourd’hui, pour cause d’obligation, que c’est effectivement le cas, à la différence près que cela lui est présenté comme une avancée en matière de justice sociale.

De ce point de vue, le paradoxe que nous avons soulevé dans cet article disparait si l’on admet par conséquent l’hypothèse que les dirigeants peuvent jouer des effets de domination liés à leur position d’expert (Plihon, 2001) pour tenter de « tirer leur épingle du jeu » dans un monde qui, pour être plus transparent, n’en reste pas moins structuré par les stratégies des acteurs. Dans un contexte qui rend incertaines les

9 nous faisons référence au film « conspiracy of fools » que les studios Warner comptent porter à l’écran sur l’effondrement de la société californienne.

normes sociales par lesquelles on peut évaluer le bien-fondé de leurs rémunérations, c’est ainsi que dirigeants et instances patronales font désormais le « pari de la transparence » pour justifier leurs rémunérations devant une « opinion » qui voit ainsi ses attentes partiellement satisfaites, ayant réussi à obtenir cette transparence qu’elle appelait de ses vœux… mais pas forcément les produits qu’elle pouvait en escompter.

ConCLuSion

S

ouvent présentée comme la principale solution pour lutter contre les « abus » en matière de rémunération des dirigeants, le principe de transparence n’en est pas moins porteur de nombreuses contradictions. Comme nous avons essayé de le montrer, s’il sanctionne une avancée de type politique, en ce sens que c’est un principe qui a été imposé sous la pression des investisseurs institutionnels et de la société civile, ce dernier a été récupéré par des dirigeants qui l’ont instrumentalisé pour justifier l’élévation de leurs rémunérations. d’un point de vue pragmatique, il est important de comprendre que ce phénomène n’est jamais que le produit d’une réaction patronale qui est, somme toute, parfaitement compréhensible, la publicisation de l’entreprise de laquelle la transparence sur la rémunération des dirigeants participe étant un phénomène historique avec lequel les dirigeants d’entreprise sont obligés de composer. Pour l’heure, force est de reconnaître qu’ils le font avec un talent indéniable.

BiBLioGRAPHiE

aglietta m. et rébérioux a., 2004, Les dérives du capitalisme financier, albin Michel, Paris.

Aymar T., 2007, Golden Boss, Eyrolles, Paris.

Bebchuk J. et fried d., 2004, pay without performance, The Unfulfilled promise of Executive Compensation, Harvard University Press.

Bonazza P., 2007, Les Goinfres : enquête sur l’argent des grands patrons français, Flammarion.

Boltanski L. et Thévenot L., 1987, Les économies de la grandeur, PUF et Centre d’Etude de l’Emploi, Paris.

Boltanski L. et Thévenot L., 1991, de la justification. Les économies de la grandeur, Gallimard, Paris.

Bonazza P., 2007, Les goinfres. Enquête sur l’argent des grands patrons français, Flammarion.

Bonazza P., 2008, Les patrons sont-ils trop payés ?, Larousse.

Bourdieu P., 1989, La Noblesse d’état. Grandes écoles et esprit de corps, Minuit, Paris.

Calori R. et Atamer T., 2003, Diagnostic et décisions stratégiques, Dunod, Paris.

Chapas B., 2006, Marché et rémunération des dirigeants : les limites de l’analyse économique contemporaine, Gestion 2000, mai-juin, pp.95-113.

Fama E., 1980, Agency Problems and the Theory of the Firm, Journal of Political Economy, vol.88, n°2, pp.288-307.

Galbraith J.K., 1989, Le nouvel état industriel, Gallimard (première édition américaine : 1967), Paris.

Gomez P.-y., 1996, Le gouvernement de l’entreprise : modèles économiques et pratiques de gestion, InterEditions, Paris.

Gomez P.-y., 2001, La république des actionnaires, Syros, Paris.

Habermas J., 1993, L’espace public, Payot (première édition allemande : 1962), Paris.

Jensen m. et meckling W., 1976, Theory of the firm : managerial Behavior, Agency Cost and Ownership Structure, Journal of Financial Economics, vol.3, pp.305-360.

Jensen M. et Murphy K., 1990a, CEO Incentives _It’s not How Much you Pay, But How, Harvard Business Review, n°3, pp.138-153.

Jensen M. et Murphy K., 1990b, Performance Pay and Top-Management Incentives, Journal of Political Economy, vol.98, n°2, pp.225-264.

Jensen M. et Zimmerman J., 1985, Management Compensation and the Managerial Labor Market, Journal of Accounting and Economics, vol.7, n°1-3, pp.3-9.

Jensen m., murphy K. et Wruck e., 2004, remuneration: Where we’ve been, how wegot to here, what are the problems, and how to fix them, ecgi finance Working paper,n°44.

Kolb R. (Ed.), 2006, The Ethics of Executive Compensation, Blackwell Publishing.

Lainé P. 2008, Maman, quand je serai grand, je veux être patron du CAC40, Gutenbe.

Lordon F., 2000, La création de valeur comme rhétorique et comme pratique : généalogie et sociologie de la valeur actionnariale, L’Année de la Régulation, vol.

4. La Découverte, p.117-170.

Pastré O. et Vigier M., 2003, Le capitalisme déboussolé, La Découverte.

Pérez R., 2003, La gouvernance de l’entreprise, La Découverte.

Plihon D., 2001, Le nouveau capitalisme, Flammarion, Paris.

Porquet J.-L., 2005, que les gros salaires baissent la tête, Michalon, Paris.

Rajan R. et Zingales L., 1998, Power in a Theory of the Firm, The quarterly Journal of Economics, vol.113, n°2, pp.387-432.

Zarka y.-C., 2006, Ce secret qui nous tient, Cités, n°26, pp.3-6.

Zingales L. 2000, In search of new foundations, Journal of Finance, vol.55, n°4, pp.1623-1654.

THIERRY POULAIN-REHEM

The impact of assigning free cash flow on shareholder value creation: The case of the debt and dividend policy of listed French companies

the impact of assigNiNg free cash flow oN