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Quelles pertes de diversit´ e phylog´ en´ etique lors des extinctions d’esp` eces ? 45

1.2 Radiations ´ evolutives : quelques grands d´ ebats

1.2.4 Quelles pertes de diversit´ e phylog´ en´ etique lors des extinctions d’esp` eces ? 45

que les clades actuels subissent une ´erosion sans pr´ec´edent (Myers, 1990; Leakey et Lewin, 1992; Pimm et al., 1995; Dirzo et Raven, 2003; Barnosky et al., 2012; Pimm et al., 2014) : l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) notait en juin 2015 que sur les 77 340 esp`eces ´evalu´ees 22 784 ´etaient menac´ees d’extinction, et le taux d’extinction ac-tuel est estim´e environ 1 000 fois sup´erieur au taux d’extinction naturel (Pimm et al., 2014). Parmi les groupes taxonomiques les mieux connus, on estime que 32% des amphibiens, 34% des conif`eres, 26% des mammif`eres et 13% des oiseaux sont menac´es d’extinction (IUCN, 2015), et ces chiffres pourraient encore croˆıtre dans les prochaines d´ecennies (Barnosky et al., 2011). L’histoire de la diversification de l’arbre du vivant a d´ej`a ´et´e marqu´ee de cinq crises d’extinction massives (“the Big Five”, `a la fin de l’Ordovicien, du D´evonien, du Permien, du Triassic et du Cr´etac´e ; Raup et Sepkoski, 1982; Jablonski, 1994; Alroy, 2010), caract´eris´ees par l’extinction de plus de 75% des esp`eces (voire 80 `a 96% pour la crise Permien-Triassique) sur une p´eriode courte `a l’´echelle des temps g´eologiques (Barnosky et al., 2011; Chen et Benton, 2012). La crise actuelle, due aux activit´es anthropiques (changements d’habitat, r´echauffement climatique, surexploitation, transport d’esp`eces invasives, pollution) consti-tuerait donc la sixi`eme grande crise d’extinction, et peut-ˆetre la plus importante (Pimm et al., 1995; Barnosky et al., 2011).

Les crises d’extinction pass´ees ont remodel´e la diversit´e, via l’extinction s´elective de certains groupes taxonomiques, suivie de l’´emergence de nouveaux groupes (e.g. t´etrapodes, reptiles

marins, et crustac´es d´ecapodes lors de la crise Permien-Triassique Chen et Benton, 2012). De nombreuses ´etudes s’int´eressent `a comprendre comment la crise d’extinction actuelle pourrait fa¸conner la diversit´e future (et comment pr´eserver au mieux cette diversit´e), en ´etudiant en particulier les pertes de diversit´e phylog´en´etique associ´ees aux futures pertes potentielles de diversit´e sp´ecifique (Mace et al., 2003; Purvis, 2008; Veron et al., 2015).

La diversit´e phylog´en´etique d’un ensemble de taxons peut-ˆetre calcul´ee comme la somme de toutes les longueurs de branches n´ecessaires pour connecter ces taxons sur leur arbre phylog´en´etique (Faith, 1992) : P D = P

jLj, o`u Lj d´esigne la longueur de la branche j sur l’arbre phylog´en´etique. Il existe d’autres indices permettant de quantifier l’histoire ´evolutive d’un clade, tels que la distance phylog´en´etique moyenne (e.g., Webb, 2000) ou la variabilit´e phylog´en´etique des esp`eces (Helmus et al., 2007). La diversit´e phylog´en´etique de Faith est cependant la mesure la plus utilis´ee en biologie de la conservation du fait de sa simplicit´e, de son fort lien `a la richesse sp´ecifique, et de sa capacit´e `a prendre en compte de l’ensemble de l’histoire ´evolutive des taxons. La diversit´e phylog´en´etique fournit `a la fois une mesure de la richesse de l’histoire ´evolutive de l’arbre du vivant (Faith, 1992; Purvis et al., 2000a; Purvis, 2008), un estimateur de la diversit´e fonctionnelle agr´eg´ee sur une multitude de caract`eres (Faith, 2013), et une mesure du socle de diversit´e permettant l’´evolution future (certains auteurs insistent notamment sur les valeurs d’option, en r´ef´erence aux services ´ecosyst´emiques futurs ; Forest et al., 2007; Faith, 2008; Faith et al., 2010; Faith et Pollock, 2014).

Au cours des deux derni`eres d´ecennies, un certain nombre d’´etudes se sont attach´ees `a com-prendre comment la diversit´e phylog´en´etique serait impact´ee par les extinctions `a venir, et `

a caract´eriser les facteurs qui pouvaient influer sur les pertes de diversit´e phylog´en´etiques. L’une des premi`eres ´etudes th´eoriques, Nee et May (1997), a lanc´e le d´ebat par un r´esultat inattendu : cette ´etude concluait que mˆeme si 95% des esp`eces s’´eteignaient, 80% de la di-versit´e phylog´en´etique serait conserv´ee. Depuis, plusieurs ´etudes ont montr´e que ce r´esultat ´

etait li´e au mod`ele de diversification utilis´e pour simuler les arbres (Mooers et al., 2012; Lambert et Steel, 2013), `a savoir le coalescent de Kingman (Kingman, 1982). Ce mod`ele g´en`ere en effet des arbres phylog´en´etiques pr´esentant une acc´el´eration du tempo de bran-chement, et donc une forte redondance phylog´en´etique entre esp`eces, `a l’oppos´e des patrons macro´evolutifs commun´ement observ´es dans les arbres empiriques (e.g. Nee et al., 1992; Zink et Slowinski, 1995; Lovette et Bermingham, 1999; Pybus et Harvey, 2000; R¨uber et Zardoya,

2005; Kozak et al., 2006; Seehausen, 2006a; Weir, 2006; McPeek, 2008; Phillimore et Price, 2008; Rabosky et Lovette, 2008a; Jønsson et al., 2012). Les mod`eles de naissance-mort, qui g´en`erent des arbres ayant un tempo de branchement plus r´ealiste, avec moins de redondance phylog´en´etique, pr´edisent plus de pertes de diversit´e phylog´en´etique (Mooers et al., 2012; Lambert et Steel, 2013).

Ces approches th´eoriques ont ´egalement r´ev´el´e un effet important de la topologie des arbres sur la perte de diversit´e phylog´en´etique (Nee et May, 1997; Heard et Mooers, 2000), no-tamment accrue par des topologies d´es´equilibr´ees, caract´erisant beaucoup de phylog´enies empiriques (e.g. Guyer et Slowinski, 1991; Heard, 1992; Mooers, 1995; Purvis, 1996; Blum et Fran¸cois, 2006; Pigot et al., 2010; Davies et al., 2011). En parall`ele, la multiplication des ana-lyses empiriques de pertes potentielles de diversit´e phylog´en´etiques (permise par une meilleure connaissance des phylog´enies et des risques d’extinction des esp`eces ; voir la synth`ese de Veron et al., 2015), a mis en ´evidence l’influence significative de la distribution des risques d’extinc-tion dans l’arbre, notamment dans le cas de regroupement de forts risques d’extincd’extinc-tion chez des esp`eces phylog´en´etiquement proches (Bennett et Owens, 1997; McKinney, 1997; Russell et al., 1998; Purvis et al., 2000a; Baillie et al., 2004; Bielby et al., 2006; Fritz et Purvis, 2010) ou chez des esp`eces ´evolutivement distinctes (von Euler, 2001; Johnson et al., 2002; Redding et Mooers, 2006).

L’effet de ces diff´erents facteurs (types de patrons macro´evolutifs et distribution des risques d’extinction) sur ces pertes potentielles de diversit´e phylog´en´etique reste relativement peu caract´eris´e.

1.3 Des mod`eles pour comprendre les radiations ´evolutives

Je propose dans cette troisi`eme partie une r´eflexion sur les mod`eles th´eoriques utilis´es pour comprendre les m´ecanismes `a l’œuvre dans les radiations ´evolutives, et leurs cons´equences sur les patrons de diversit´e. J’essaie de montrer ici comment le type de questions auxquelles nous souhaitons r´epondre guide nos choix de mod´elisation, expliquant par l`a le pourquoi des diff´erents types de mod`eles que j’ai pu utiliser au cours de cette th`ese. Dans un premier temps, j’introduis la notion de mod`ele m´ecaniste, par opposition aux mod`eles statistiques ou ph´enom´enologiques ; je pr´esente alors les deux types d’approche, leurs avantages et in-conv´enients (section 1.3.1). Dans un deuxi`eme temps, je propose une r´eflexion autour de

l’utilisation de mod`eles individu-centr´es (section 1.3.2). Ensuite, je met en regard mod`eles de diversification bas´es sur des processus neutres et mod`eles de diversification bas´es sur la th´eorie de la niche ´ecologique ; je pr´esente les fondements th´eoriques de ces deux types de mod`eles, et montre comment ces approches peuvent permettre (et ont permis) de r´epondre `a des ques-tions biologiques diff´erentes (section 1.3.3). Enfin, j’introduis les m´ethodes de mod´elisation par coalescence, en expliquant en particulier les conditions dans lesquelles elles peuvent ˆetre utilis´ees (section 1.3.4).