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Contribution ` a la diversit´ e : diversification vs. dispersion ?

1.2 Radiations ´ evolutives : quelques grands d´ ebats

1.2.3 Contribution ` a la diversit´ e : diversification vs. dispersion ?

Commen¸cons ce chapitre par une courte illustration. Jusque vers la fin du XXesi`ecle, les na-turalistes pensaient que les esp`eces qui peuplaient l’archipel des Philippines n’´etaient qu’un sous-ensemble des esp`eces continentales (Dickerson, 1928; Inger, 1954; Brown et Alcala, 1970; Lomolino et al., 2010). Des inventaires plus r´ecents ont cependant r´ev´el´e une bien plus grande diversit´e dans l’archipel (e.g., Linkem et al., 2010; Heaney et al., 2011; Brown et al., 2013b), notamment en termes d’esp`eces end´emiques. Les Philippines sont ainsi maintenant class´ees comme un point chaud de biodiversit´e (Mittermeier et al., 1999) : 56% des 440 esp`eces d’oiseaux pr´esentes sont end´emiques aux Philippines, de mˆeme que 70% des 215 esp`eces de mammif`eres, 80% des 111 esp`eces d’amphibiens, ou 74% des 270 esp`eces de reptiles (Hea-ney et al., 2010). Cette richesse d’esp`eces end´emiques est le r´esultat de multiples radiations ´

evolutives `a l’int´erieur de l’archipel, par exemple au sein des murid´es (Jansa et al., 2006; Brown et Diesmos, 2009; Heaney et al., 2011), scinques (l´ezards Scincidae ; Linkem et al., 2011; Siler et al., 2011), souimangas (oiseaux du genre Aethopyga ; Hosner et al., 2013), ou grenouilles Microhylidae (Blackburn et al., 2013). La diversit´e des Philippines provient ainsi d’un m´elange de colonisation et d’´evolution locale (Fig. 1.9).

Cet exemple illustre une question importante en macro´ecologie : quelle part joue la diver-sification en comparaison des processus de dispersion dans la d´etermination de la diversit´e locale ? Comment ces deux types de processus contribuent-ils `a g´en´erer les patrons spatiaux

Figure 1.9 – Fig. 7 de Brown et al. (2013a). Evolution vs. assemblage des communaut´es insu-laires de scinques des forˆets aux Philippines. La reconstruction des aires de distribution ancestrales `

a partir de la phylog´enie calibr´ee et des analyses de structure des communaut´es montrent que les communaut´es de l’ˆıle Mindanao et de la r´egion de Visayan sont surtout assembl´ees `a partir de dispersions de sources diverses, alors que les communaut´es de Luzon et Palawan ont surtout ´evolu´e in situ (clusters phylog´en´etiques).

de diversit´e ?

Les ˆıles ont depuis longtemps ´et´e utilis´ees comme mod`ele d’´etude en ´ecologie-´evolution. L’ob-servation de la biodiversit´e insulaire a jou´e un grand rˆole dans l’´etablissement de la th´eorie de l’´evolution par Charles Darwin (observation des pinsons des Gal´apagos ; Darwin, 1859) et Alfred Russell Wallace (oiseaux et papillons de l’Insulinde ; Wallace, 1855, 1870). Les ˆıles pr´esentent en effet un certain nombre d’avantages (Gillespie, 2007; Losos et Ricklefs, 2009; Warren et al., 2015) : elles ont une aire g´eographique clairement d´elimit´ee, imposant souvent la limite d’aire de distribution des esp`eces (end´emiques) ou populations, et donc faci-litant une meilleure reconstruction des distributions pass´ees ; elles sont nombreuses, formant des r´epliquas naturels pour l’´etude des patrons ; la connaissance de leur histoire g´eologique permet de calibrer l’histoire de l’assemblage ´eco-´evolutif des communaut´es insulaires ; elles contiennent souvent une vaste diversit´e d’esp`eces end´emiques, t´emoin de diversifications in situ (e.g. 83% d’esp`eces d’oiseaux end´emiques des ˆıles aux Gal´apagos, 100% d’esp`eces d’oi-seaux end´emiques de l’archipel de Tristan da Cunha, 99% des esp`eces d’escargots terrestre d’Hawaii Gillespie et Clague, 2009) ; enfin, le partage d’une histoire g´eologique commune

entre diff´erents clades permet l’´etude compar´ee des processus de diversification.

Les ˆıles ont ainsi ´et´e la source des premi`eres ´etudes sur les m´ecanismes structurant l’assem-blage des communaut´es, et notamment du mod`ele d’´equilibre dynamique de la biog´eographie insulaire (MacArthur et Wilson, 1963, 1967). Ce mod`ele s’opposait, dans les ann´ees 1960-1980 `a un autre paradigme en biog´eographie (Heaney, 2007) : le mod`ele de biog´eographie par vicariance (e.g., Rosen, 1978; Nelson et Platnick, 1981; Wiley, 1988), qui consid´erait la diversit´e comme d´etermin´ee par une succession d’´ev`enements de sp´eciation allopatrique as-soci´es `a des moments de ruptures g´eologiques, climatiques ou g´eographiques. Le rˆole de la diversification, mis en exergue dans ce second paradigme, ´etait n´eanmoins aussi soulign´e dans la premi`ere formulation de la Th´eorie de la Biog´eographie Insulaire, `a travers l’id´ee de “zone de radiation” (MacArthur et Wilson, 1963). Cette discussion sur la possibilit´e de cladog´en`ese au sein des archipels suffisamment isol´es introduit l’id´ee de compromis entre un rˆole accru de la dispersion dans la g´en´eration de diversit´e `a faible niveau d’isolement, et un rˆole accru de la sp´eciation dans la diversit´e `a fort niveau d’isolement. Les archipels oc´eaniques t´emoignent de la contribution importante de la diversification in situ pour de forts niveaux d’isolement : une grande partie des exemples de radiations ´evolutives cit´es au paragraphe 1.1.2 est ainsi localis´ee sur des archipels oc´eaniques (e.g. Hawaii, ˆıles Caraibes).

R´ecemment, cette relation entre les moteurs de diversit´e (dispersion vs. diversification) et la distance d’une ˆıle au continent a ´et´e explor´ee plus pr´ecis´ement par Rosindell et Phillimore (2011). `A l’aide d’une approche de mod´elisation th´eorique, ils confirment les attendus ´evoqu´es ci-dessus, et montrent en outre un pic d’anag´en`ese (i.e. sp´eciation par diff´erenciation d’une lign´ee, issue dans ce cas de la dispersion d’une esp`ece continentale) `a distance interm´ediaire du continent. Ce pic est li´e `a un compromis entre la limitation de la dispersion n´ecessaire `

a la sp´eciation allopatrique, et la n´ecessit´e de dispersion pour l’ouverture d’opportunit´es de sp´eciation.

La question de la contribution de la diversification aux patrons de diversit´e ne se pose pas seulement en termes d’isolement aux sources de colonisation, mais ´egalement comme une fonction du temps, de la taille des communaut´es locales ou de leur arrangement spatial (e.g. Losos et Schluter, 2000; Emerson et Gillespie, 2008; Whittaker et al., 2008; Gillespie et Baldwin, 2010; Kisel et Barraclough, 2010; Triantis et al., 2015). Triantis et al. (2008) mettent ainsi en ´evidence un rˆole limitant de la petite taille des ˆıles sur la cladog´en`ese, et

Emerson et Kolm (2005) un effet limitant du jeune ˆage des ˆıles (au sein desquelles la diversit´e est uniquement issue d’´ev`enements d’immigration). Enfin, ces ´el´ements changent en fonction des groupes taxonomiques en raison de variation en termes de capacit´es de dispersion et de temps de sp´eciation. Au sein des groupes ayant tendance `a sp´ecier plus rapidement (en raison par exemple de temps de g´en´eration plus courts et/ou de s´election sexuelle), la diversit´e peut ainsi ˆetre g´en´er´ee par cladog´en`ese sur des p´eriodes bien plus courtes (e.g. drosophiles et criquets `a Hawaii ; Carson, 1997; Mendelson et Shaw, 2005).

La contribution de la diversification `a l’assemblage des communaut´es d´epend donc de mani`ere complexe du contexte spatio-temporel, et des caract´eristiques des organismes.

1.2.4 Quelles pertes de diversit´e phylog´en´etique lors des extinctions d’esp`eces ?