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Diversit´ e en ´ equilibre dynamique vs. diversit´ e hors ´ equilibre ?

1.2 Radiations ´ evolutives : quelques grands d´ ebats

1.2.2 Diversit´ e en ´ equilibre dynamique vs. diversit´ e hors ´ equilibre ?

Certains patrons macro´ecologiques et macro´evolutifs sugg`erent l’existence de facteurs limitant la diversit´e produite lors des radiations ´evolutives. C’est le cas du ralentissement du tempo de branchement dans les arbres phylog´en´etiques (e.g., Lovette et Bermingham, 1999; Weir, 2006; Phillimore et Price, 2008; Jønsson et al., 2012), mais aussi de la relation tr`es forte entre la richesse sp´ecifique et l’aire disponible (courbe aire-esp`ece, observ´ee notamment dans les syst`emes insulaires ; e.g., Brown et al., 2001; Whittaker et al., 2008; Rabosky, 2013). Historiquement, l’id´ee de limite `a la diversit´e s’est construite `a travers deux conceptions : la th´eorie de la niche ´ecologique, et les mod`eles neutres de d´erive, sp´eciation et dispersion stochastiques.

L’id´ee avanc´ee par Charles Darwin selon laquelle les esp`eces ´ecologiquement similaires se-raient soumises `a plus de comp´etition, limitant leur coexistence et g´en´erant une s´election divergente (Darwin, 1859), a donn´e naissance `a la th´eorie de la niche ´ecologique (Grinnell, 1924; Elton, 1927; Hutchinson, 1959) et au principe d’exclusion comp´etitive (Hutchinson, 1959; MacArthur et Wilson, 1967). Ces th´eories postulent respectivement que les simila-rit´es entre esp`eces en termes de besoin de ressources et d’habitat d´eterminent les interactions comp´etitives, et que ces interactions limitent la coexistence des esp`eces trop similaires (notion de similarit´e limitante). Ces notions sont `a la source des r`egles d’assemblage en ´ecologie des communaut´es (Diamond, 1975), mais ´egalement des ´etudes sur la structure phylog´en´etique des communaut´es, c’est `a dire du lien entre divergence ´ecologique et divergence taxonomique (Webb et al., 2002; Cavender-Bares et al., 2006; Emerson et Gillespie, 2008; Vamosi et al., 2009). Elles forment la base de l’hypoth`ese de remplissage de l’espace de niches (“ecological niche filling”), qui postule une limitation du nombre d’esp`eces pouvant coexister dans un

en-vironnement donn´e du fait des interactions comp´etitives. Ce mod`ele est inspir´e des mod`eles de croissance logistique en dynamique des populations, issus d’observations de convergence des taux individuels de naissance et de mort `a l’approche d’une taille de population corres-pondant `a la “capacit´e de charge” d’un environnement donn´e (limite de biomasse d´etermin´ee par les ressources disponibles ; Hutchinson, 1959; Pianka, 1976). L’hypoth`ese de remplissage des niches ´ecologiques ´etend cette observation `a l’´echelle macro´ecologique, en proposant une “capacit´e de charge” des m´etacommunaut´es en termes d’abondance (biomasse, ou nombre d’individus), et donc de diversit´e sp´ecifique (Cornell, 2013). Dans ce contexte, la diversifica-tion serait limit´ee par une diminution des opportunit´es de sp´eciation `a mesure que la diversit´e croˆıt, due `a un d´eclin de la s´election disruptive et de la s´election divergente en raison d’une diminution des ressources disponibles et de l’accroissement des interactions comp´etitives (Ri-cklefs, 1987; McPeek, 1996, 2008; Urban et al., 2008; Cornell, 2013).

En parall`ele, l’id´ee de limite `a la diversit´e s’est aussi d´evelopp´ee sur la base de processus neutres purement stochastiques, n’invoquant aucune diff´erence ´ecologique entre esp`eces. Suite aux observations de relations aire-esp`eces (et distance-esp`eces) au d´ebut des ann´ees 1960, et reprenant des id´ees avanc´ees par E. G. Munroe (Lomolino et Brown, 2009), MacArthur et Wilson posent les bases d’une th´eorie math´ematique visant `a expliquer les patrons de diversit´e `

a partir des processus de dispersion, de sp´eciation et de d´erive d´emographique : la Th´eorie de la Biog´eographie Insulaire, que j’ai d´ej`a ´evoqu´ee (MacArthur et Wilson, 1963, 1967). Ils proposent ainsi que la diversit´e soit d´etermin´ee par un ´equilibre dynamique entre taux d’immigration et taux d’extinction, variant tous deux de mani`ere diversit´e-d´ependante. La limite `a la diversit´e est alors li´ee `a l’accroissement du taux d’extinction par d´erive stochastique `

a mesure que la diversit´e s’accroˆıt, dˆu `a un d´eclin de l’abondance des esp`eces (en lien avec une limitation de l’espace). Cette perspective a ´et´e reprise plus tard `a travers la Th´eorie Neutre de la Biodiversit´e (abr´evi´ee ici “TNB” ; Hubbell, 2001), qui formalise ce mod`ele de mani`ere “individu-centr´e” et inclut explicitement le processus de sp´eciation (mod`ele d´etaill´e au paragraphe 1.3.3). Le d´eclin du taux de diversification avec l’accumulation de diversit´e d´ecoule alors non seulement de l’augmentation de la probabilit´e d’extinction par d´erive, mais aussi de la diminution de la probabilit´e de sp´eciation (proportionnelle `a l’abondance des esp`eces dans la version originale de la TNB ; Hubbell, 2001).

(Wiens et al., 2011; Cornell, 2013; Harmon et Harrison, 2015; Manceau et al., 2015; Rabosky, 2007; Valente et al., 2015). Plusieurs auteurs argumentent que la diversit´e empirique des clades est d´etermin´ee non pas (ou rarement) par des limites ´ecologiques ou g´eographiques (Wiens, 2011), mais par le taux de diversification des clades (e.g., Cardillo et al., 2005; Ra-bosky et al., 2007), ou le temps dont ces clades ont b´en´efici´e pour se diff´erencier (e.g., Stephens et Wiens, 2003; Wiens et al., 2011; Brown et al., 2013a; Cornuault et al., 2013) - les limites th´eoriques de diversit´e n’´etant en d´efinitive jamais atteintes. Ceci peut ˆetre particuli`erement vrai dans le cas des radiations r´ecentes, par exemple sur des ˆıles jeunes (nouvelles ou issues de fragmentations), r´ecemment st´erilis´ees, larges ou fortement isol´ees (Brown, 1971; Rijsdijk et al., 2014). Certains auteurs proposent ´egalement que l’´equilibre th´eorique ne soit pas at-teint en raison de modifications environnementales plus rapides que l’atat-teinte de l’´equilibre ´

evolutif (Heaney, 2000; Whittaker, 2000; Whittaker et Fernandez-Palacios, 2007), ou qu’il soit parfois d´epass´e temporairement en raison d’un d´elai de r´eponse de l’extinction (“over-shooting effect” ; Gillespie, 2004; Gavrilets et Losos, 2009). Ces ph´enom`enes, avec l’existence de biais li´es aux processus de reconstruction phylog´en´etique, pourraient expliquer les pa-trons macro´evolutifs de ralentissement du tempo de branchement observ´es dans les arbres phylog´en´etiques (Moen et Morlon, 2014).

Par ailleurs, l’existence mˆeme d’un ´equilibre de sp´eciation-extinction sur des ´echelles de temps compatibles avec l’´evolution est elle-mˆeme discut´ee (notion de non-´equilibre fondamental ; Emerson et Kolm, 2005; Morlon et al., 2010). Wilson (1969) propose ainsi un changement fr´equent de l’´etat d’´equilibre ; id´ee reprise depuis par certains auteurs, qui proposent une succession d’´equilibres (dans le temps, ou vus comme des processus imbriqu´es), d´etermin´es par un rˆole d´ecroissant de l’´ecologie et croissant de l’´evolution : (1) un ´equilibre non interactif (densit´e suffisamment faible pour que l’extinction ne soit pas caus´ee par la comp´etition), suivi de (2) un ´equilibre interactif (extinction fortement li´ee `a la comp´etition intersp´ecifique), (3) un ´

equilibre filtrant (en r´eponse au filtre environnemental, “ecological fitting”), (4) un ´equilibre adaptatif (apr`es ´evolution en r´eponse aux interactions intersp´ecifiques et `a l’environnement ; “evolutionary packing”), et (5) un ´equilibre radiatif (apr`es cladog´en`ese, i.e. diversification `a partir d’une lign´ee ancestrale ; Janzen, 1985; Warren et al., 2015). La th´eorie ´eco-´evolutive sugg`ere ´egalement l’´emergence possible de niches ´ecologiques au cours du processus de di-versification (e.g., Geritz et al., 1998; Doebeli et Dieckmann, 2000; Bonsall et al., 2004). La

question de l’´etablissement et de la structuration d’un ´equilibre de diversit´e demeure donc ouverte. En cons´equence, l’exploration des patrons de diversit´e hors-´equilibre, et leur com-paraison aux patrons pr´edits `a l’´equilibre, demeure un enjeu majeur (Warren et al., 2015). Enfin, les m´ecanismes `a l’origine d’une diversit´e-d´ependance de la diversification, et donc d’un ´equilibre th´eorique, restent relativement sp´eculatifs, et ceci `a diff´erents niveaux m´ecanistiques : (i) quant au rˆole des processus neutres li´es `a la limitation par l’espace g´eographique par rapport aux limites ´ecologiques (comme ´evoqu´e au d´ebut de ce paragraphe), (ii) quant au rˆole d’une diversit´e-d´ependance n´egative du taux de sp´eciation par rapport `a une diversit´e-d´ependance positive du taux d’extinction (Rabosky et Lovette, 2008b), et (iii) quant aux m´ecanismes micro´evolutifs et boucles de r´etroaction ´eco-´evolutives dont ´emaneraient ces d´ependances (Rabosky, 2013).