• Aucun résultat trouvé

6) L’importance relative de multiples valeurs guide l’action Toute attitude, tout comportement, implique nécessairement plus d’une valeur L’arbitrage entre des valeurs

3.3 Les principes épistémologiques de la théorie de l'apprentissage transformationnel

3.3.3. Les perspectives de sens, héritières de la notion de paradigme de Kuhn

La théorie de l'apprentissage transformationnel se fonde également sur une étape clef du développement psychologique de l'adulte en formation : l'évaluation critique des présomptions d'ordre épistémique, socioculturelle ou psychique (Mezirow, 2001). En effet, cette évaluation n'est possible que dans la confrontation de nouvelles perspectives de sens. Dans la théorie de Mezirow, les perspectives de sens constituent les éléments essentiels dont la stabilité est remise en question par l’expérience d’événements perturbateurs. Leur continuité tout au long de la vie est ce qui confère au sujet le sens de son identité, sa

41 cohérence, sa stabilité et un sentiment de prévisibilité relative. Pour Mezirow (2001, p.16), une perspective de sens renvoie à «la structure des postulats et des attentes à travers lesquels on filtre les impressions ressenties [...] Elle façonne et délimite de manière sélective la perception, la cognition, les ressentis, et la dissipation en prédisposant nos intentions, nos attentes et nos buts. » De tels cadres de référence sont ainsi constitués d’habitudes de pensées et de points de vue qui mobilisent de manière quotidienne, consciemment ou non, des schèmes de sens. Les perspectives de sens sont des structures métacognitives dont Kisiel (1982) donnait la définition suivante : "ce à travers quoi nous regardons, plutôt que ce que nous regardons, quand nous portons notre regard sur le monde" (Mezirow, 1991, p66), elles ont une fonction paradigmatique car fondées sur une base théorique mise en relation et collectivement entretenue. Le concept de perspectives des sens est hérité de concepts répandus dans divers champs disciplinaires, Mezirow citant Gideen (1976, p142) répertorie les concepts qui ont inspirés sa notion de perspectives : les "jeux de langages" de Wittgenstein, les "réalités alternatives" de Castaneda, les "structures de langages" de Whorf, les "problématiques" de Bachelard et Althusser et enfin les "paradigmes" de Kuhn. La notion de paradigme de Kuhn est utilisée dans sa philosophie de la science pour désigner "une découverte scientifique universellement reconnue qui, pour un temps, fournit à la communauté des chercheurs des problèmes-types et des solutions", le paradigme agit comme un mécanisme perceptif et cognitif qui transforme la "réalité" en représentation (Lemoigne, 1984). L'intérêt du paradigme kuhnien appliqué à la théorie de l'apprentissage est que Kuhn lie les concepts de paradigmes et de révolution, ce qui sous-entend une transformation car :

"Pour Kuhn, les paradigmes se succèdent et l'on passe de l'un à l'autre par une "révolution", car ils sont inconciliables. À un moment de l'histoire d'une science, le paradigme qui modèle la science normale rencontre des difficultés. Des énigmes apparaissent. Il s'ensuit une crise qui dure un certain temps et peut provoquer un malaise et des dissensions dans une partie de la communauté scientifique. Une ou plusieurs nouvelles théories permettant de résoudre les énigmes se proposent. Un nouveau paradigme se forme et l'on abandonne le précédent. Le nouveau paradigme, à son tour, rencontrera des anomalies qui provoqueront une crise, et ainsi de suite".(Juignet, 2015)

Le changement de paradigme comme celui de la perspective de sens conduit à une nouvelle manière de voir le monde qui apparaît. Il y a une disjonction et une incompatibilité (une "incommensurabilité") entre l'ancien et le nouveau paradigme. Plus largement et toujours selon Juignet, les changements de paradigme aboutissent à des "révolutions dans la vision du monde". Il n'y a pas de superpositions possibles entre des paradigmes et l'émergence de ceux-

42 ci intervenant suite à une crise, que Mezirow qualifiera de "desorienting dilemma", un des concepts clefs de la théorie de l'apprentissage transformationnel.

43

3.3.4 "le Dilemme désorientant", pierre angulaire de la théorie de l'apprentissage transformationnel

Le processus de transformation du modèle originel de la théorie de l'apprentissage transformationnel de Mezirow, débute par un évènement qu'il nomme "dilemme désorientant" ou "perturbateur". Cet évènement conduit aux transformations de perspectives qui sont produites, soit à la suite d'une accumulation de transformations de schèmes de sens provoquées par une série de dilemmes, soit en réponse à un dilemme marquant imposé de l'extérieur (Mezirow, p 184). La nature de ce dilemme est soit auto-induite soit inhérente à une action extérieure. Pour Keane (1985), ce "déséquilibre intérieur" perturbe l'harmonie du moi sans que le problème soit compris, ni nommé de manière satisfaisante (Mezirow, p194). Ce dilemme, pour Breton (2018) provoque une brèche dans la structure des anticipations constituant l’horizon du devenir du sujet. Il s’agit d’un événement qui s’impose au cours de l’existence et qui rend nécessaire la modification des manières de penser et d’agir. Toujours selon ce même auteur, cette configuration biographique peut être pensée à partir des modèles de la transition, de ses contextes d’émergence (Boutinet, 2013)et de ses niveaux d’intensité. Les processus à l’œuvre, selon que la transition est anticipée ou non, choisie ou subie, transforment cependant de manière assez radicale la dynamique d’apprentissage qui en résulte, son rythme d’évolution, ses modalités de résolution (Bédard, 1983). Ce dilemme est également associé à la notion d'épreuve, de rupture, pour Greene citée par Mezirow (2001, p211) "la préoccupation centrale d'un apprenant est de mettre de l'ordre quand des ruptures se produisent", ces ruptures sont des évènements qui modifient un déroulement biographique stable d'un sujet et fonde le caractère discontinuel de l'apprentissage transformationnel. Alhadeff-Jones (2018) mobilise le concept d'épiphanie pour caractériser le dilemme perturbateur. L’épiphanie met l’accent sur les dimensions psychologiques associées à l’expérience d’une discontinuité dans son rapport à soi, aux autres et au monde (Alhadeff- Jones M. , 2017). À l’origine, le terme vient du grec « epiphainesthai » signifiant « ce qui apparaît ». Repris dans le vocabulaire religieux, il renvoie à une manifestation divine. Plus largement, il désigne une « manifestation de ce qui était caché » (Rey, 2000, p.1273). En sciences humaines, il renvoie généralement à l’expérience d’une prise de conscience qui catalyse un processus de croissance personnelle (McDonald, 2005, p.11). Ainsi, Denzin (1989,1990, cité par McDonald (2005) définit l’épiphanie comme un moment qui laisse une marque dans la vie des individus et qui a le potentiel de les amener à traverser des expériences transformatrices. La notion d’épiphanie renvoie notamment à des crises existentielles, dont les effets peuvent être à la fois positifs et/ou négatifs. Elle révèle le caractère de la personne et

44 altère fondamentalement la manière dont elle interprète les expériences vécues. L’épiphanie peut ainsi être conçue comme un élément catalyseur de la perception d’une nouvelle identité. Ce dilemme désorientant est le déclencheur d'un changement de paradigme, il est une interface entre des présupposés épistémologiques qui ne donnent pas satisfaction au sujet et des nouveaux présupposés reconstruis grâce au processus réflexif.