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CHAPITRE 6 : DISCUSSION GENERALE

2. Perspectives d’application

Ce travail de recherche sur des déterminants psychologiques de la qualité de vie de patients atteints de métastases cérébrales ouvre des perspectives pour la pratique clinique. En effet, selon les résultats, les patients atteints de métastases cérébrales ont une orientation vers le « présent fataliste » plus élevée que des personnes non malades, et leur orientation vers le

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« passé négatif » a un impact néfaste sur leur symptomatologie dépressive et leur qualité de vie. Ainsi, pour favoriser le bien-être de ces patients, des interventions visant à modifier leur perspective temporelle, et plus spécifiquement à favoriser la diminution de leur orientation vers le « présent fataliste » et vers le « passé négatif », deux dimensions négativement reliées à l’état émotionnel positif et au bien-être, pourraient leur être proposées (Anagnostopoulos & Griva, 2012; Boniwell et al., 2010; Boniwell & Zimbardo, 2003; Drake et al., 2008; Keough et al., 1999; Roseanu et al., 2008; Stolarski et al., 2014; Tseferidi et al., 2017; Wakefield et al., 2010; Zhang & Howell, 2011; Zhang, Howell, & Stolarski, 2013; Zimbardo & Boyd, 1999).

Depuis ses débuts, la recherche sur la perspective temporelle a accumulé de nombreuses preuves qui soutiennent que les applications basées sur la théorie du temps définie par Zimbardo et Boyd (2008) pourraient être utiles pour résoudre des problèmes psychologiques et sociaux comme : la conduite automobile à risque (Zimbardo et al., 1997), l’insertion sociale des sans-abris (Epel et al., 1999), la consommation de substances (i.e., alcool, drogue et tabac) (Apostolidis, Fieulaine, Simonin, & Rolland, 2006; Keough et al., 1999; Wills, Sandy, & Yaeger, 2001), les comportements sexuels à risque (Henson, Carey, Carey, & Maisto, 2006), l’ajustement psychologique face au diabète (Martz & Livneh, 2007), le suicide (Van Beek et al., 2009), etc. Cependant, l’intérêt clinique de la théorie de la perspective temporelle a véritablement émergé de la collaboration entre Zimbardo et Richard et Rosemary Sword, deux psychologues cliniciens. Ensemble, ils ont élaboré une nouvelle approche thérapeutique, de type narrative124, du syndrome de stress post-traumatique, basée sur la théorie de la perspective temporelle appelée « time perspective therapy » (Zimbardo et al., 2012). Cette thérapie de la perspective temporelle a démontré son efficacité dans la réduction des symptômes associés au syndrome de stress post-traumatique, des symptômes anxieux et dépressifs, mais aussi dans l’amélioration du bien-être (Zimbardo et al., 2012).

124 La thérapie narrative a été développée Michael White et David Epston (1990). Les principes clé de l’approche narrative sont : 1/ La « réalité » d’un individu est une construction, ainsi la vie d’un individu doit être considérée avant tout du point de vue de celui qui en fait le récit ; 2/ L’identité d’une personne se construit plus à partir des histoires racontées aux autres sur ses événements de vie, qu’à partir des événements réels. Ainsi, l’identité se construit à partir des histoires qui sont racontées et validées par les autres ; 3/ si la personne a un problème, elle peut l’extérioriser en dissociant de son identité la personne de l’histoire qui véhicule le problème ; 4/ L’individu est considéré comme l’expert de sa propre vie, car c’est lui qui en a écrit l’histoire. Il est donc capable d’en réécrire une autre, porteuse de solutions. Sur la base de ces principes, la thérapie narrative consiste à : a) le patient décrit son problème (son scénario dominant) ; b) le patient est encouragé à adopter des perspectives alternatives à travers la déconstruction du récit actuel ; c) le thérapeute aide le patient à créer un récit plus utile et plus satisfaisant.

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L'objectif de cette thérapie est tout d’abord d'identifier le profil de perspective temporelle du patient, de détecter d’éventuels biais temporels125, puis de travailler à équilibrer les différentes dimensions de sa perspective temporelle afin de favoriser chez l’individu le développement d’une perspective temporelle équilibrée et flexible, adaptée à la situation actuelle et à ses fréquents changements. Ainsi, une approche inspirée de la thérapie de la perspective temporelle développée par Zimbardo et al. (2012) pourrait être adaptée aux patients atteints de métastases cérébrales afin de rééquilibrer leur perspective temporelle et, ainsi, prévenir une dépression et améliorer leur bien-être. Des études ont montré que les souvenirs « passé négatifs » et/ou les pensées « présent fataliste » pouvaient être équilibrées par des souvenirs « passé positif », une orientation hédoniste vers le présent « saine » (i.e. sans prise de risque) et une orientation vers le futur positive (Sword, Sword, & Brunskill, 2015; Sword et al., 2014; Zimbardo et al., 2012). Une diminution de l’orientation vers le « passé négatif » des patients pourrait, par exemple, être favorisée par un travail qui consiste à modifier le contenu des ruminations mentales sur les expériences douloureuses passées, en aidant les patients à reconstruire leurs histoires en identifiant et en valorisant les aspects positifs négligés (Sword et al., 2014). Une diminution de l’orientation vers le « présent fataliste » pourrait aussi être obtenue par un travail qui consiste à apprendre aux patients à profiter de l’instant présent. L’orientation vers le présent étant principalement expliquée par la voie bottom-up qui sous-tend l’influence indirecte de la perspective temporelle sur le bien-être via les comportements (Cunningham et al., 2015). Les patients pourraient, par exemple, être encouragés à introduire des comportements pro-sociaux qui compensent l’évitement et l’isolement associés aux affects dépressifs, et des comportements auto-apaisants comme la méditation et l'exercice physique (Sword et al., 2015; Zimbardo & Boyd, 2008).

Finalement, la thérapie de la perspective temporelle pourrait être indiquée chez les patients atteints de métastases cérébrales. Néanmoins, favoriser l’orientation vers le futur pourrait ne pas être approprié chez ces patients dont la maladie incurable en limite l’extension126. En effet, distinguer une approche palliative d’une approche curative est l'un des composants clés dans l’adaptation de la thérapie de la perspective temporelle à une nouvelle population de patients (Sword et al., 2014). Ainsi, chez les patients atteints de métastases

125 Lorsque l’influence d’un registre temporel prédomine exagérément sur l’influence des deux autres, ou lorsqu’un registre temporel est largement sous-utilisé, l’individu présente « un biais cognitif temporel » (Zimbardo & Boyd, 1999).

126 L’extension vers le futur est la distance temporelle maximale jusqu’à laquelle un individu peut mentalement se projeter dans le registre temporel futur.

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cérébrales, le travail thérapeutique devrait peut-être se limiter à favoriser l’orientation vers le « passé positif » et le « présent hédoniste ». A partir d’un travail de recherche en psychologie clinique, Kazakina (1999, cité par Kazakina 2015) a montré que chez les personnes âgées par exemple, le prédicteur le plus puissant de la satisfaction de vie était une attitude positive vers le présent et vers le passé. La pratique clinique de la thérapie de la perspective temporelle auprès de patients atteints de métastases cérébrales pourrait contribuer à l’adaptation de la thérapie à ces patients, et notamment aider à déterminer s’ils peuvent bénéficier de cette thérapie malgré leurs troubles cognitifs, mais aussi favoriser l’émergence d’implications empiriques et théoriques. L’incontournable défi contemporain de la pratique basée sur les preuves en psychologie127 soutient l'intégration de cette expertise clinique dans la recherche (APA Presidential Task Force on Evidence-Based Practice, 2006).