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CHAPITRE 6 : DISCUSSION GENERALE

3. Considérations éthiques

Considérant la politique d’éthique de la recherche impliquant la personne humaine (loi Jardé), le projet de recherche CEREMET-LR a nécessité l’avis d’une instance officielle sur son protocole biomédical et sur son étude ancillaire en sciences humaines et sociales (SHS). Ainsi, en mai 2014, le Comité de Protection des Personnes (CPP) a donné un avis favorable au démarrage du projet (Annexe M). De même, la Direction Recherche Innovation (DRI) du CHRU de Montpellier, le principal centre investigateur, a donné son accord pour participer128. Cependant, alors que la recherche était positivement menée depuis environ une année (41 patients avaient déjà été inclus, et 84 évaluations avaient été réalisées sans susciter de difficultés), celle-ci a suscité des craintes et des réticences chez un professionnel médical. Considérant que les évaluations cognitives et psychosociales prévues par le protocole SHS menaient à une forme de maltraitance des patients, il a saisi le comité d’éthique du CHRU. Selon ce professionnel, les évaluations en baseline réalisées, pour la plupart, la veille de l’intervention neurochirurgicale pour des raisons d’organisation internes au CHRU pouvaient générer de l’anxiété supplémentaire chez des patients fragilisés par l’annonce récente de métastases cérébrales et par une neurochirurgie imminente. L’évaluation de la dépression

127 Evidence-based practice in psychology (EBPP).

128 Une réunion de mise en place de l’étude a été organisée sur le centre investigateur, et tous les professionnels impliqués auprès des patients atteints de métastases cérébrales ont été invités à y participer. Lors de cette réunion le protocole biomédical et SHS a été présenté, puis avec l’accord des médecins investigateurs, l’étude a démarré.

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notamment, avec le Beck Depression Inventory-2nd (BDI-II) (Beck et al., 1996), et plus particulièrement son item 9 « Pensées ou désirs de suicide »129 évoquait, selon ce professionnel, une idée de la mort choquante dans un contexte médical où la vie est menacée. En outre, selon ce professionnel, la recherche de déterminants de la qualité de vie de ces patients n’avait aucun sens si les patients n’y avaient pas de bénéfice direct (i.e., si aucune intervention visant à améliorer leur qualité de vie ne leur était proposée).

Suite à la saisine du comité d’éthique du CHRU, une réunion a été organisée avec les personnes impliquées dans la recherche et le soin de ces patients (i.e., promoteurs de l’étude, coordonnateurs des protocoles de recherche biomédical et SHS, soignants et représentants du comité d’éthique, etc.). Lors de cette réunion, le rationnel de l’étude a de nouveau été présenté. Des précisons ont été apportées quant au fait que des recherches similaires dans leur méthodologie avaient déjà été menées auprès de patients atteints de tumeurs cérébrales primitives et métastatiques (Bosnyák et al., 2015; Gerstenecker et al., 2014, 2015; Mainio, Hakko, Niemelä, et al., 2005), et que ces recherches avaient pour vocation de mieux connaitre les déterminants de qualité de vie de ces patients afin de proposer secondairement des interventions adaptées. Une garantie que les évaluations en baseline ne seraient plus organisées la veille de l’intervention a été donnée (cette programmation la veille n’étant d’ailleurs pas liée au protocole puisque l’évaluation en baseline pouvait selon celui-ci être réalisée jusqu’à un mois avant l’intervention neurochirurgicale). Néanmoins, les inclusions dans l’étude ancillaire se sont progressivement amenuisées, jusqu’à s’éteindre complètement. Les coordonnateurs ont décidé de mettre fin aux inclusions dans l’étude ancillaire avant les deux ans d’inclusion initialement programmés. Finalement, 65 patients ont été inclus dans l’étude ancillaire en en SHS de la cohorte CEREMET-LR au lieu des 180 espérés lors de l’élaboration du protocole.

Ce que cette expérience nous évoque, c’est que le « tabou de la mort » à l'hôpital, déjà admirablement décrit par l’historien Philippe Ariès en 1975130, persiste bien que le développement des unités de soins palliatifs (USP) ait constitué un remarquable progrès. À travers une étude spatiale récente (de l’architecture, de la topographie et de l’ambiance) d’une

129 0/ Je ne pense pas du tout à me suicider ; 1/ Il m'arrive de penser à me suicider, mais je ne le ferais pas ; 2/ J'aimerais me suicider ; 3/ Je me suiciderais si l’occasion se présentait.

130 Dans un essai sur l'histoire de la mort en Occident, Philippe Ariès, un journaliste, essayiste et historien français, évoque ce « tabou de la mort » à l'hôpital : « la mort, si présente autrefois, tant elle était familière, va s'effacer et disparaître. Elle devient honteuse et objet d'interdit. (...) [il s'agit] d'éviter, non plus au mourant, mais à la société, à l'entourage lui-même le trouble et l'émotion trop forte, insoutenable, causés par la laideur de l'agonie et la simple présence de la mort en pleine vie heureuse, car il est désormais admis que la vie est toujours heureuse ou doit toujours en avoir l'air (...) ».

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USP, la sociologue Pauline Launay (2016) a analysé la manière dont le dispositif révèle toujours ce certain rapport à la mort à l’hôpital. L’auteur a par exemple constaté que les USP sont construites à la marge des structures hospitalières et reléguées vis-à-vis des services curatifs. Selon Launay (2016), ces unités spécialisées dans l’accueil des patients en phases avancée et terminale de maladies graves, évolutives et incurables, sont des lieux clos. Si la volonté de présenter le mourir comme une étape naturelle du cycle de la vie peut toutefois y transparaître, il semble que cette volonté s’arrête à leurs portes. En effet, dans les unités de soins curatifs, le « déni psychique de la mort » qui frappe nos sociétés occidentales (Saunders, 1967) semble se cristalliser. Un rapport sur « la mort à l’hôpital » commandé par l’Inspection générale des affaires sociales a d’ailleurs montré que bien que plus de la moitié des français meurent en établissement de soins, pour les acteurs hospitaliers la mort est vécue comme une incongruité, un échec, et qu’à ce titre elle est largement occultée (Lalande & Veber, 2009).

Pour les patients atteints de métastases cérébrales, la prise en charge ambivalente, à fois curative au regard des symptômes et palliative au regard de la maladie, est problématique. En effet, ces patients sont en phase avancée et terminale d’une maladie grave, évolutive et incurable. Ils peuvent être soignés de la plupart de leurs symptômes, mais pas de leur maladie. Cependant, à moins d’une progression brutale de leur maladie, ils sont exclusivement suivis dans des services de soins curatifs où la prise en charge de la mort ne fait pas partie des missions reconnues (Lalande & Veber, 2009). Cette situation, qui contraint les chercheurs à ne pas pouvoir aborder des questions liées à la mort, freine les initiatives de recherche, notamment de recherche sur la qualité de vie, dans un contexte où la qualité de la survie a pourtant souvent plus d’importance que sa durée (Lipsman et al., 2007). En outre, des études ont montré que les patients dont on évalue la qualité de vie rapportent être plus satisfaits de leur interaction globale avec les équipes médicales et peuvent parfois bénéficier d’une amélioration de leurs scores de qualité de vie (Basch et al., 2016; Velikova et al., 2004). Ces résultats témoignent d’un bénéfice direct des patients lors d’études sur les déterminants de qualité de vie, même lorsqu’aucune intervention visant à améliorer la qualité de vie n’est proposée.

Cette étude combinée à une cohorte biologique témoigne de la difficulté de la recherche en psychologie à être intégrée dans un établissement hospitalier, et plus particulièrement dans un service de neurochirurgie qui intervient dans le traitement de patients atteints de métastases cérébrales. En effet, bien que la dépression soit connue pour avoir un impact négatif sur le délai de survie des patients atteints de cancers (Kuchler et al., 1999; Mainio, Hakko, Timonen, et al.,

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2005; Mainio, Tuunanen, et al., 2006; McCorkle et al., 2000; Spiegel & Giese-Davis, 2003). Bien qu’elle soit considérée comme le plus important prédicteur indépendant de la qualité de vie des patients atteints de tumeurs cérébrales primitives (Mainio, Tuunanen, et al., 2006; Pelletier et al., 2002). Bien que ce soit un trouble mental dont les critères diagnostiques sont établis par une classification nosographique internationale qui intègrent les pensées de mort récurrentes comme critère (American Psychiatric Association, 1994). La simple évaluation de celle-ci avec l'une des échelles les plus utilisées (i.e., le BDI-II) a été considérée comme une « maltraitance » par un professionnel médical. Cet événement suggère que l’hôpital est le lieu du soin au corps, et que l’ensemble de l’organisation est régulièrement pensé en fonction de cette unique réalité. Bien que la dimension psychologique y soit omniprésente, elle est souvent évacuée. (Marty, 2011). La subjectivité qu’introduit la recherche en psychologie, dans un univers où pour soigner le corps malade il semble nécessaire de l’objectiver (Sicard, 2007), peut même être perçue comme une entrave au soin (Marty, 2011).

Il faut toutefois souligner que les soignants de patients atteints de métastases cérébrales sont confrontés à des situations particulièrement éprouvantes sur le plan humain. Ces situations peuvent devenir traumatiques pour les soignants eux-mêmes. Ainsi, la dimension psychologique et relationnelle du soin constitue une réalité incontournable. Ces situations institutionnelles difficiles témoignent, selon nous, du fait que la médecine a besoin de la psychologie pour intervenir, tant auprès des malades, que des équipes soignantes (Marty, 2011). Bien que la place réservée aux psychologues dans les services de soins a considérablement évolué (Bass, 2012), chercheurs et cliniciens doivent encore travailler à faire reconnaitre leur expertise de la dimension psychologique au sein des services hospitaliers de médecine.