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CHAPITRE 6 : DISCUSSION GENERALE

4. Forces et limites méthodologiques

La principale force de ce travail de recherche se situe dans l'approche innovante utilisée afin d’explorer de nouvelles perspectives au regard de la qualité de vie chez des patients atteints de métastases cérébrales. En effet, notre échantillon d’étude était constitué de participants à une cohorte biologique131 qui visait à observer la survenue d’évènements de santé dans le temps au

131 Selon l’Institut de santé publique/Institut de recherche en santé publique de l’Inserm, une cohorte peut être définie de la manière suivante : "c’est une étude qui repose sur le suivi des sujets y participant selon un protocole préétabli. Elle a pour but de décrire les circonstances de survenue et l’évolution des maladies. La quantification des risques, ainsi que l’analyse fine du mode de constitution de la cohorte et de la cohérence des résultats observés permettent d’argumenter l’éventuelle causalité des liens mesurés (http://www.iresp.net/)

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sein d’une population de patients atteints de métastases cérébrales traités par des techniques de neurochirurgie en Languedoc-Roussillon. La cohorte « CEREMET-LR » est la première étude en population française sur les métastases cérébrales, incluant une étude ancillaire en SHS qui avait pour vocation d’étudier des déterminants psychologiques de qualité de vie. Comme nous l’avons plusieurs fois souligné dans ce travail, la qualité de vie est un sujet relativement peu exploré dans les métastases cérébrales et notamment d’un point de vue psychologique. Les études actuelles, principalement transversales, qui intègrent des mesures de qualité de vie sont davantage axées sur l’efficacité des traitements et la survie. CEREMET-LR nous a permis d’étudier des liens, impossibles à étudier correctement de manière rétrospective et/ou transversale, entre des facteurs (cognitifs et psychosociaux) et l’évolution de la qualité de vie, et ainsi d’apporter des arguments sur d’éventuelles relations causales. Ainsi, CEREMET-LR se démarque des autres études réalisées à ce jour par la diversité des éléments mesurés et explorés (biologiques, mais aussi cognitifs et socio-psychologiques), ainsi que par son design prospectif et longitudinal. Cependant, il convient de souligner les limites de ce travail de recherche. Limites dues tout d’abord au design de l’étude.

Premièrement, comme la plupart des études de cohorte, CEREMET-LR a des limites qui résident essentiellement dans son manque initial de représentativité et dans l’érosion de cette représentativité au fil du temps. En effet, la sélection des sujets dans CEREMET-LR reposait sur l’acceptation des participants. Ainsi, l’échantillon étudié ne peut être considéré comme entièrement représentatif de la population apparentée, car il présente, initialement, un biais de sélection (Salines & De Launay, 2010). En outre, un nombre important de patients inclus ont été « perdus de vue » pour diverses raisons (e.g., progression de la maladie, décès, désintérêt vis-à-vis de l’étude). Cet important pourcentage132 de « perdus de vue » a limité, d’une part, la puissance statistique de notre étude, et d’autre part, il a peut-être entraîné de nouveaux biais qui ont aussi pu nuire à la représentativité (i.e., à la validité externe) et donc à la généralisation de nos résultats (Salines & De Launay, 2010).

Deuxièmement, un autre paramètre biaise notre échantillon. Des considérations éthiques font qu’il était nécessaire de communiquer aux participants certaines situations pathologiques « dépistées » (e.g., un épisode dépressif majeur). Les actions thérapeutiques qui ont parfois été entreprises ont pu modifier « l’évolution naturelle » des patients.

132 Six patients inclus avant intervention neurochirurgicale avaient déjà été « perdus de vue » lors de la première visite postopératoire (soit 23.08 % des 26 patients de départ) (c.f., Etude 1).

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Troisièmement, il est possible que du fait de leur répétition, les participants aient développé une accoutumance aux tests neuropsychologiques et aux questionnaires prévus dans le protocole SHS. Un biais d'accoutumance et/ou un effet de « test-retest », a donc pu entrainer une modification des comportements des patients (Salines & De Launay, 2010) et/ou des effets d’apprentissage au regard des délais rapprochés des évaluations.

Quatrièmement, en plus des biais méthodologiques susmentionnés qui ne peuvent être totalement évités dans une cohorte, comme la plupart des études en sciences humaines et sociales, notre étude est probablement sujette à l’effet Hawthorne133. Selon Fortin et Gagnon (2010), la réaction naturelle de participants se sachant inclus dans un projet de recherche est d’essayer de fournir ce qu’ils considèrent comme « une bonne réponse » et d’essayer d'agir de la façon qu’ils considèrent comme exemplaire, parfois à l’inverse de leurs pratiques habituelles. C'est un biais intrinsèque à la recherche impliquant la personne humaine, puisque pour des raisons éthiques les participants doivent préalablement donner leur consentement à participer. Cinquièmement, nos échantillons d’étude (Etude 1 et 2) étaient constitués de patients traités par chirurgie et de patients traités par radiochirurgie. Ainsi nos résultats ne permettent pas de distinguer les effets spécifiques de ces différents traitements neurochirurgicaux sur les facteurs psychologiques étudiés. En outre, l'hétérogénéité des caractéristiques cliniques des patients (i.e., nombre de métastases cérébrales, localisation cérébrale, latéralisation hémisphérique des lésions, traitements, type de tumeur primitive, contrôle de la maladie extra-cérébrale, etc.), l'hétérogénéité des symptômes, les comorbidités, les traitements concomitants et l’impossibilité de former un groupe témoin constitué de patients non traités, limite l’interprétation de nos résultats.

Sixièmement, comme nous l’avons déjà évoqué dans la discussion de notre première étude, le MoCA ne semble pas être un instrument optimal pour étudier le fonctionnement cognitif de patients atteints de métastases cérébrales. D’une part, nous n’avons pas retrouvé l’atteinte de la mémoire épisodique verbale pourtant trouvée dans plusieurs études qui avaient utilisé le Hopkins verbal learning test (HVLT), un test neuropsychologique standard (Chang et al., 2007; Gerstenecker et al., 2014; Herman et al., 2003; Meyers et al., 2004). Ainsi, le MoCA n’est probablement pas assez sensible pour détecter l’atteinte mnésique chez ces patients134.

133 L’effet Hawthorne décrit le processus par lequel les sujets humains d'une expérience changent de comportement parce qu'ils se savent étudiés.

134 Il est important de souligner que nous voulions éviter d’alourdir le protocole en multipliant les tests neuropsychologiques, du fait de la fatigabilité des patients. Par ailleurs, notre objectif était d’étudier le pouvoir

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D’autre part, dans le choix d’un bref outil de dépistage des troubles cognitifs, nous avions préféré le MoCA au MMSE car une étude avait montré que le MoCA était plus sensible dans cette population de patients (Olson et al., 2008). Cependant, lors du début de notre étude en 2015, le MoCA n’avait pas encore de versions de remplacement (Nasreddine & Patel, 2016). Ainsi les patients ont probablement bénéficié de la répétition du test, ce qui a nui à l’interprétation des données de notre première étude135.

Septièmement, lors de notre seconde étude, pour étudier les effets de médiation de la symptomatologie dépressive sur la relation entre la dimension « passé négatif » de la perspective temporelle et la qualité de vie, nous avons privilégié une approche transversale à une approche longitudinale car nous manquions de données longitudinales136. Or, à juste titre, MacKinnon (2008; cité par Kraemer, 2014) a souligné que l'utilisation de données transversales n’est pas appropriée pour étudier la médiation car elles ne satisfont pas au critère de précédence temporelle (i.e., elles ne permettent pas de montrer que la variable indépendante précède le médiateur qui lui-même précède la variable dépendante) et ne permettent donc pas de montrer une relation causale. Cependant, il est à noter que lors de notre première étude, nous avons montré : 1/ que les scores de « passé négatif » en baseline des patients étaient liés à leur symptomatologie dépressive post-intervention et 2/ que leur symptomatologie dépressive était prédictive de leur qualité de vie jusqu’à quatre mois post-intervention. Ainsi les résultats de l’Etude 1 suggèrent qu’une élévation des scores de « passé négatif » précédait bien une élévation des scores de symptomatologie dépressive, qui elle-même précédait bien une diminution de la qualité de vie.

Pour conclure sur les limites méthodologiques de notre travail, il nous faut souligner qu’en raison de la fatigabilité de notre population d’étude, nous avons dû limiter le nombre d’outils psychométriques utilisés. Ainsi, concernant l’évaluation psychoaffective, nous avons privilégié une mesure de la symptomatologie dépressive à une mesure de l’anxiété car des études avaient déjà montré que la dépression est le plus important prédicteur indépendant de la qualité des patients atteints de tumeurs cérébrales (Mainio, Tuunanen, et al., 2006; Pelletier et

prédicteur du fonctionnement cognitif global sur la qualité de vie, et non de préciser le profil cognitif, déjà connu, de cette population de patients.

135 Lors de la comparaison « patients postopératoires versus témoins », les patients présentaient des scores de rappel différé significativement plus élevés que les témoins.

136 Pour rappel : l'approche longitudinale consiste à suivre le développement d'individus pendant un temps déterminé (évaluations répétées) ; l'approche transversale consiste à étudier, à un moment donné et en une seule fois, plusieurs groupes d'individus et/ou plusieurs variables.

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al., 2002). Cependant, lors de la comparaison des patients pré et post intervention (Etude 1), après intervention le niveau de symptomatologie dépressive des patients ne s’était pas statiquement amélioré, alors que le niveau de fonctionnement émotionnel des patients (une dimension de la qualité de vie mesurée par l’EORTC QLQ-C30) s’était statiquement amélioré. Or une étude a montré que l’échelle de fonctionnement émotionnel de l’EORTC QLQ-C30 évalue principalement l’anxiété (Aminisani et al., 2017). Ainsi, bien que nous ne l’ayons pas spécifiquement mesurée, l’anxiété joue probablement un rôle distinct de celui de la symptomatologie dépressive dans la qualité de vie des patients atteints de métastases cérébrales.