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Persistance du système primitif de répression

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Chapitre I.- Formation des notions de délit et quasi délit

Section 1.- Formation de la notion de délit

B.- Persistance du système primitif de répression

Pendant les premiers siècles de Rome, la coutume autorise l'exercice de la vengeance et l'application du talion, toutes les fois qu'un acte illicite est dirigé contre les personnes. Lorsqu'il s'agit d'un dommage causé à la propriété

d'autrui, la répression se confond alors avec la réparation, celle-ci s'effectuant le plus souvent en nature : le coupable n'ayant généralement d'autre issue que de s'engager à travailler dans la maison de la victime, afin de la dédommager ( v. Georges Boyer, Droit romain, les obligations, cours de droit, II, p. 36 ; Paul Ourliac et Jean de Malafosse, Histoire du droit privé, t. 1, 2e éd., op. cit., n° 344, pp. 380-381 ). Très tôt cependant, un premier progrès se trouve réalisé avec la généralisation des compositions pécuniaires, qui permettent le rachat de la personne physique du coupable et réduisent le risque de guerre entre les familles des deux antagonistes. Mais un tel accord, simple succédané de la vengeance privée, ne vise en aucune façon à la réparation du dommage.

Dans la loi des XII Tables ( 1 ), malgré l'accroissement constant du pouvoir et du rôle de l'État, le caractère impulsif de la vengeance demeure ; mais à partir de la loi Aquilia ( 2 ), et ensuite durant la période classique ( 3 ), on observe une

différenciation beaucoup plus nette entre la répression et la réparation.

Sur les progrès de l'idée de réparation.- On se reportera à l'article du Pr. Bénoit,

« Essai sur les conditions de la responsabilité en droit public et en droit privé », Juris-classeur périodique, 1957, I, 1351 ; ainsi qu'à la thèse de Madame Sylvie

Rouxel, Recherches sur la distinction du dommage et du préjudice en droit civil français, dirigée par le Pr. Noël Dejean de la Batie, Grenoble, 1994, 340 p.

1.- Période de la loi des XII Tables

Au Ve siècle, l'État semble devenu assez fort pour être en mesure d'imposer une composition pécuniaire dont il fixe lui-même le taux. On ne parle plus dans ce cas de vengeance, mais plutôt d'un châtiment, d'une poena, que l'on inflige au coupable. Les modalités d'exécution sont arrêtées par un commun accord entre les chefs de famille des deux parties, à la suite d'un pacte ( pactum =

« accommodement », « traité » ), ou à défaut par décision de justice, au moyen d'une litis aestimatio ( v. Aulu-Gelle, Noctes atticae, XX, 1, 38 ; Varron, De lingua latina, VI, 71 ; André-Edmond Giffard et Robert Villers, Droit romain.., 4e éd., op.

cit., n° 318, pp. 227 ). En principe donc les actes contraires au jus peuvent être réprimés par une poena, que l'État substitue à la guerre privée, dans l'intérêt des groupes.

Les juristes ne tiennent compte alors que du caractère objectif du dommage ; la personnalité de la victime, la dimension subjective, n'exerce aucune influence sur le montant de l'indemnité. Parfois, l'amende correspond à une somme forfaitaire : vingt-cinq as, par exemple, pour un arbre coupé par le pied ou pour coups et blessures légères ( XII Tables, 8, 4 ; v. Aulu-Gelle, Noctes atticae, XX, 1, 12 ). Dans d'autres hypothèses, elle équivaut soit à la valeur de la chose

endommagée soit à un multiple du dommage ( XII Tables, 8, 9 ).

Mais au-delà de cette évolution, les sanctions des délits respirent encore la vengeance : la loi des XII Tables prévoit un grand nombre de faits délictueux, dont certains, comme l'injuria ou le furtum, tendent davantage à la satisfaction du désir de venger l'outrage subi qu'à l'indemnisation du dommage et de ses conséquences ( Cicéron, Pro Caecina, 35 ; Digeste, 47, 10, 7, 1 ). Ainsi, dans le cas du vol manifeste ( fur manifestus ), le voleur peut être mis à mort sur-le-champ, lorsqu'il a été surpris pendant la nuit ou si, de jour, il tente de se

défendre avec une arme ( v. Macrobe, Saturnales, I, 4, 19 : « de XII tabulis... quae permittit ut furem nocte liceat occidere et luci, si se telo defendat » ;

Paul-Frédéric Girard, Manuel élémentaire.., 7e éd., op. cit., pp. 425 et suiv. ; Perrin,

« La répression pénale dans les XII Tables », Revue Historique de Droit français et étranger, 1951, p. 403 ). Dans le cas d'ablation d'un membre ( membrum ruptum ), bras ou jambe amputés, broyés ou arrachés, les XII Tables autorisent la loi du talion, à moins d'un arrangement entre les parties.

2.- Période de la loi Aquilia

La loi Aquilia, en réalité un plébiscite, aurait été votée en l'an 287, sur la proposition d'un tribun nommé Aquilius, lors de la dernière sécession de la plèbe, en vue d'assurer la répression des dommages causés par les patriciens

aux paysans plébéiens : aux limites de leurs propriétés et de leurs possessions foncières ( v. Raymond Monier, Manuel élémentaire de droit romain, t. 2, 3e éd., op. cit., n° 41, p. 67 ). Il s'agit très certainement d'une loi de codification des dispositions antérieures ( Digeste, 9, 2, 1 ). Le damnum injuria datum, dont la loi Aquilia permet la sanction, concerne un ensemble de cas d'espèce, assez limités à l'origine, mais qui se multiplieront à l'époque classique sous l'influence de la loi, de la jurisprudence et du préteur ( v. B. Beinart, « The relationship of iniuria and culpa in the lex Aquilia », Studi Arangio-Ruiz, 1953, 1, pp. 279 et suiv. ; B. Albanèse, « Studi sulla legge Aquilia », Annali Palermo, 21, 1950, pp. 1 et suiv., et « Damnum iniuria datum », Novissimo Digesto Italiano, 5, 1960, pp. 110 et suiv. ; B. Perrin, « Le caractère subjectif de l'iniuria aquilienne à l'époque classique », Studi Francisci, 1956, 4, pp. 263 et suiv. ).

Un certain nombre de conditions s'imposent d'emblée à la reconnaissance du damnum injuria datum : un dommage causé sans droit ( injuria ) ; un acte

matériel du coupable ( corpore ) ; et enfin la destruction ou la détérioration de la chose ( corpori ). A l'instar de la loi des XII Tables, la loi Aquilia s'intéresse exclusivement aux atteintes matérielles, sans se préoccuper de la dimension subjective du dommage. Mais le stade de l'amende fixe se trouve maintenant dépassé : on tente de remédier à la perte réellement subie, en se basant

uniquement sur la valeur vénale de la chose détruite ou détériorée ( Institutes, 4, 3, 9 ).

Le premier chapitre de la loi Aquilia réprime le fait de tuer « injuria » un esclave ou un animal appartenant à la catégorie des quadrupèdes vivant en troupeaux.

La peine édictée, dans ce cas, est une composition pécuniaire dont le montant

équivaut à la plus haute valeur du bien endommagé ( quanti plurimi ) dans l'année précédent le délit.

Le troisième chapitre, d'application beaucoup plus large, vise quelques hypothèses particulières de dommages concernant les détériorations et la destruction de la chose d'autrui : lorsque, par exemple, une personne blesse un esclave ou un quadrupède ( bétail, chien, bête sauvage ) ; rompt, brise ou brûle un animal appartenant à une autre catégorie ; coupe du vin ou de l'huile avec des substances de nature à en altérer les qualités ( v. Joseph-Louis-Elzéar Ortolan, Explication historique des Instituts.., 6e éd., op. cit., n° 1753, p. 431 ). Ces faits, a priori moins graves, permettent de réclamer une amende basée sur la valeur de la chose dans les trente jours qui ont précédé le délit.

L'actio legis Aquiliae présente les caractères d'une action mixte : elle est reipersécutoire, donc donnée au simple, lorsque le délit n'entraîne aucune contestation ; il s'agit également d'une action pénale au double, visant par conséquent au prononcé d'une peine, contre celui qui nie le délit commis. En principe, toutes les règles des actions pénales s'appliquent à l'action de la loi Aquilia : les divers coauteurs peuvent être poursuivis successivement pour le tout, et si un individu a blessé puis tué un même esclave, il est passible de deux actions distincte ( Gaius au Digeste, 9, 2, 32, 1 ) ; l'action s'éteint par la mort du coupable ( Digeste, 9, 2, 23, 8 ) ; enfin, l'actio legis Aquiliae peut être donnée noxalement contre le chef de famille, lorsque le délit a été commis par un alieni juris ou par une autre personne placée sous sa potestas.

3.- Période classique

A l'époque classique, l'évolution de l'idée de responsabilité se fait au fur et à mesure des besoins et sous le signe de l'utilité : pour favoriser la réparation du dommage et combattre l'individualisme égoïste qui agit sans préoccupation de l'intérêt d'autrui, le préteur développe une théorie du risque ( a ), par la

responsabilité des choses que l'on a sous sa garde ( Code civ., art. 1384 ). Pour mettre en jeu la responsabilité, outre une infraction matérielle, il faut désormais un élément subjectif, une faute ( culpa ), que les juristes qualifient d'aquilienne ou de délictuelle, par opposition à la faute contractuelle. Le simple rapport de causalité, le simple lien matériel de cause à effet entre le fait délictueux et le coupable suffit ( injuria, furtum, damnum injuria datum ).

Sous l'impulsion des jurisconsultes, la doctrine introduit également une série de transformations, touchant à la fois le domaine des contrats et celui des délits ; à savoir, d'une part, la notion de préjudice ( b ), et d'autre part la notion d'intérêt ( c ).

a.- Théorie du risque

A l'époque classique, on trouve un certain nombre de solutions que d'aucuns

veulent rattacher à la théorie moderne du risque, défendue au début du XXe siècle par Raymond Saleilles et Louis Josserand ( v. Paul Ourliac et Jean de Malafosse, Histoire du droit privé, t. 1, 2e éd., op. cit., n° 350, p. 385 ). A

l'imitation de la loi Aquilia, cette théorie repose en partie sur l'idée que l'on est responsable du danger que l'on provoque, même sans mauvaise intention : un bûcheron tue un esclave en abattant des branches au bord d'une voie publique ( Institutes, 4, 3, 5 ; Paul au Digeste, 9, 2, 31 ) ; une personne travaillant en haut d'une maison jette en bas quelque chose et tue un passant ( Paul au Digeste, 9, 2, 31 ) ; un barbier officiant dans la foule coupe la gorge de son client après avoir été bousculé ( Ulpien au Digeste, 9, 2, 11 ) ; un militaire lance un javelot et tue un esclave hors d'un lieu d'exercice ( Institutes, 4, 3, 4 ) ; un médecin provoque la mort d'un esclave en l'abandonnant après une opération ( Institutes, 4, 3, 6 ) ; etc. Ces différents exemples tendent à démontrer qu'à cette époque on ne distinguait pas encore les notions de délit et quasi-délit.

Les circonstances objectives du délit constituent l'unique critère d'appréciation.

A cet égard, l'exemple du bûcheron abattant des branches est significatif : s'il coupe le bois loin de la voie publique, ou dans le milieu d'un champ, sa

responsabilité doit alors être écartée. Elle le sera pareillement si le bûcheron a crié, sans obtenir de réaction de la part de l'esclave ( Institutes, 4, 3, 5 ). Pour intenter l'action, le dommage subi par le plaignant doit résulter d'une lésion corporelle de la chose : provoquer la mort d'un animal en l'effrayant, ou inciter l'esclave d'autrui à s'enfuir, ne constituent pas des délits ( Gaius, Institutes, 3, 219 ).

b.- Notion de préjudice

A partir de l'interprétation de la loi Aquilia, la doctrine imposa l'idée que

lorsqu'une atteinte matérielle à une chose ( le damnum ) se trouve réalisée, il faut indemniser la victime de cette perte et des conséquences de la détérioration de la chose, quand ceux-ci sont évaluables en argent. La réparation paraît donc exclue, a contrario, quand le propriétaire de la chose ne subit aucun tort de l'atteinte portée à celle-ci ; lorsque, par exemple, un individu coupe sans l'emporter une moisson arrivée à maturité ( Digeste, 9, 2, 25 ), ou coupe des saules en maturité, sans toutefois nuire au tronc de l'arbre ( Digeste, 9, 2, 27 ).

Face à cette évolution, certains auteurs considèrent que les jurisconsultes romains ont dégagé la notion de préjudice ( v. Gabriel Lepointe et Raymond Monier, Les obligations en droit romain.., op. cit., pp. 77-78 ; Paul Ourliac et Jean de Malafosse, Histoire du droit privé, t. 1, 2e éd., op. cit., n° 366, pp. 393-394 ).

Mais ce point de vue mérite d'être nuancé, car les romains n'ont semble-t-il jamais tenu compte du pretium doloris, de l'émotivité et de la psychologie du sujet concerné ( Paul au Digeste, 9, 2, 33 ). Le droit romain consent tout au plus à l'indemnisation des conséquences matérielles de l'atteinte, mais en aucune façon de la dimension subjective du dommage ( v. Sylvie Rouxel, Recherches sur la distinction..., op. cit., p. 8 ).

En droit français, l'emploi du mot préjudice ( dérivé du latin praejudicare ), dans l'acception que nous lui connaissons aujourd'hui, ne semble pas avoir été

observé avant la fin du XIIIe siècle. Il entrera dans les locutions « courir en

préjudice », en 1326, « au préjudice de », en 1371, et « porter préjudice » en 1549 ( v. le Dictionnaire historique de la langue française, op. cit., sous l'art.

préjudice ).

c.- Notion d'intérêt

Dans les cas exceptionnels, où l'indemnité égale à la valeur de la chose ( quanti ea res est ) ne permet pas une complète réparation du dommage, les juristes romains font appel à la notion d'interêt ( id quod interest ). Le id quod interest, par opposition au quanti ea res est, représente l'intérêt que la victime aurait eu à ce que le fait dommageable ne se soit pas produit ( Ulpien au Digeste, 9, 2, 21, 2 ). Par souci d'équité, les jurisconsultes attribuent à la partie lésée une somme équivalente au dommage et à l'intérêt ; autrement dit des dommages-intérêts.

Sous le Haut-Empire, la jurisprudence applique cette méthode à la réparation du dommage causé au bien d'autrui, afin que soit accordée une indemnisation supérieure à celle du prix de la chose : Ulpien rapporte au Digeste le cas d'un esclave institué héritier, puis tué avant d'avoir accepté sa part de l'hérédité.

Consulté sur ce cas, le jurisconsulte Neratius Priscus - un des meilleurs

conseillers de l'empereur Hadrien - accorde au maître le prix de l'esclave, auquel il ajoute le montant de l'hérédité perdue ; il y a réparation du dommage, de

l'atteinte matérielle, et de l'intérêt correspondant ( Digeste, 9, 2, 23 ; Gaius,

Institutes, 3, 212 ).

On retrouve ce mode d'évaluation dans les actions sanctionnant les contrats de bonne foi, lorsque le débiteur n'exécute pas l'obligation : le juge peut tenir compte non seulement du damnum emergens, c'est-à-dire de la perte résultant de l'inexécution, mais également du lucrum cessans, c'est-à-dire du gain qu'il n'a pu réaliser ( Digeste, 19, 1, 1 ; 19, 1, 43 ). En 531, Justinien décidera que, pour toutes les obligations nées d'un contrat tels que la vente ou le louage, le montant de la condamnation ne pourra plus excéder le double de la valeur vénale de la chose due ( Code, 7, 47 ).

Dans les ventes d'esclaves, en cas de découverte d'un vice, l'acheteur peut obtenir une indemnité calculée d'après l'intérêt qu'il a, au moment des poursuites, à posséder un esclave exempt d'un tel défaut. En pratique, la

condamnation pécuniaire équivaut à la moins-value résultant du vice découvert, en se plaçant au moment de la litis contestatio ( Digeste, 21, 1, 44, 2 ; 21, 2, 16, 2 ). Si l'acheteur vient à découvrir successivement plusieurs vices, il peut agir à plusieurs reprises par l'action ex stipulatu ; à condition toutefois que le montant des condamnations successives ne dépasse pas la valeur de la chose ( Digeste, 21, 1, 31, 16 ; 21, 2, 32, 1 ).

Ainsi donc, à l'époque classique, l'obligation délictuelle tend à se rapprocher de l'obligation contractuelle. Mais à la différence de celle-ci, elle demeure

passivement intransmissible : elle pèse uniquement sur l'auteur du délit.

Sur la notion d'intérêt.- On peut consulter A. Fliniaux, Communication à la

société d'histoire du droit, séance du 8 mars 1928, Revue Historique de Droit français et étranger, 1928, p. 326 ; Raymond Monier, Manuel élémentaire de droit romain, t. 2, 3e éd., op. cit., n° 124, pp. 210-211, n° 174, pp. 312-314 ;

André-Edmond Giffard et Robert Villers, Droit romain.., 4e éd., op. cit., n° 368, p. 256.

§ 2.- Emergence de l'idée d'une responsabilité personnelle

Dès avant les XII Tables, le principe d'une répression subjective semble admis, au civil comme au pénal. Le droit criminel définit l'infraction non comme un simple fait matériel mais comme un acte accompli sciemment : en connaissance de cause. Le rôle central ainsi reconnu à l'élément intentionnel, au facteur

psychologique, permit aux juristes de déterminer des cas de non-imputabilité ( A ). Les peines étant personnelles ( B ), elles ne frappent, sauf exception, que l'auteur du délit. Mais après l'effondrement de l'Empire romain, l'idée d'une responsabilité personnelle ne s'imposa toutefois pas sans difficultés.

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