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Évolution de l'idée de répression

Section 1.- L'état d'obligé avant la loi Poetalia Papiria

A.- Évolution de l'idée de répression

A.- Évolution de l'idée de répression

A l'origine, il n'était pas nécessaire de prononcer un jugement pour condamner : c'était un devoir de tuer l'auteur d'un acte magico-religieux, de le vouer aux dieux offensés. Par la suite, les Romains distingueront un élément subjectif : ou bien l'acte est accompli en connaissance de cause, auquel cas son auteur doit nécessairement subir la mise à mort rituelle ; ou bien l'acte est involontaire, et le rachat devient possible en offrant un sacrifice aux dieux ( v. Jacques Ellul,

Histoire des Institutions, 5e éd., op. cit., t. 1/2, p. 262 ).

Lorsqu'ils ne présentaient pas de caractère magico-religieux, les dommages occasionnés à un particulier relevaient en principe de la justice du pater ( 1 ), qui recourait parfois à la vengeance ( 2 ). Mais le renforcement de l'autorité de l'État ( 3 ), au Ve siècle, provoquera le déclin de la justice privée : désormais les

conditions d'exercice de la répression vont être fixées par la loi.

1.- La justice du Pater

Dans la Rome primitive, il semble qu'il y ait eu deux sortes de justices : tout

d'abord la justice de la civitas, mise en oeuvre pour sanctionner les crimes religieux, actes de magie ou actes attentatoires aux dieux ; enfin la justice du pater, interne à la gens.

Le pater gentis, assisté du Conseil des patres familias, a le droit de juger les différends entre les membres de la gens, ses clients, ou les plébéiens rattachés à sa gens. Il juge les questions de propriété, de relations familiales, etc. Il tient enfermés dans sa prison privée ceux qui ont causé quelque dommage à sa domus ou se sont engagés envers lui sans pouvoir tenir leurs engagements. Il a également la juridiction criminelle, soit pour sanctionner la désobéissance aux mores gentis, soit pour punir les crimes et délits. La peine que prononce le pater gentis est essentiellement purificatrice.

Lorsqu'un acte dolosif, nuisible, dommageable, a été causé volontairement ou non par une personne soumise à patria potestas ( enfant, esclave... ), il y a conflit entre les droits du chef de famille du responsable et la victime, ou plus

généralement le pater dont elle dépend. Le coupable doit alors être châtié au sein de son groupe ou expulsé et livré à la gens de la victime ( noxae deditio ).

D'abord utilisé en matière de vol ( loi des XII Tables ), le système des « actions noxales » permet d'obtenir le paiement d'une amende ou l'expulsion du

coupable. Le chef de famille peut également se libérer par abandon de tout ou partie du cadavre de l'auteur du dommage.

Sur la noxalité.- V. les études de Paul-Frédéric Girard, Revue Historique de Droit français et étranger, Paris, 1887, pp. 409 et suiv. ; B. Biondi, « Problemi ed

ipotesi in tema di actiones noxales », Bullettino dell' Istituto di diritto romano,

1929, pp. 99 et suiv., et Actiones noxales, Cortone, 1925 ; Otto Lenel, « Die Formeln des actiones noxales », Zeitschrift der Savigny-stifung für

Rechtsgeschichte : Romanistische Abteilung, 47, Weimar, 1927, pp. 1 et suiv. ; Fernand de Visscher, Le régime romain de la noxalité, Bruxelles, 1947, et « Il sistema romano della nossalita », I.U.R.A., Rivista internazionale di diritto romano e antico, Naples, 1960 ; M. Sargenti, « Contributo allo studio della responsabilità nossale in diritto romano », Publ. Univ. Pavie, 1949, pp. 59 et suiv., et « Limiti, fondamento e natura della responsabilità nossale in diritto romano », Publ. Univ. Pavie, 1950, pp. 103 et suiv. ; G. Pugliese, « Appunti in tema di azioni nossali », Studi Carnelutti, 2, 1950, pp. 113 et suiv., et

« Obligazioni del capo famiglia e responsabilità diretta del colpevole nel regime della nossalità », Studi Albertario, 1, pp. 235 et suiv. ; Henri Lévy-Bruhl, « Sur l'abandon noxal », Mélanges Ph. Meylan, 1, Lausanne, 1963, pp. 193 et suiv. On se reportera également aux manuels classiques de Raymond Monier, Manuel élémentaire de droit romain, t. 2, 3e éd., Domat-Montchrestien, Paris, 1944, n°s 56-60, pp. 90-96 ; André-Edmond Giffard et Robert Villers, Droit romain.., 4e éd., op. cit., n°s 383-389, pp. 270-275.

2.- La vengeance ( vendetta )

L'usage permettait au pater de recourir à la vengeance lorsqu'un acte illicite était dirigé contre les personnes. Réaction purement instinctive, la vengeance privée résulte d'un déséquilibre, d'un sentiment d'injustice face à la souffrance

qu'occasionnent la perte ou les blessures que subit un membre de la

communauté. Elle repose sur la notion de ressentiment, sur le besoin spontané et quasi inconscient de réparer le mal qui a été fait en punissant l'auteur matériel du dommage ( v. Raymond Saleilles, L'individualisation de la peine, 3e éd., Paris, 1927, p. 23 et suiv. ). D'abord sans mesure aucune, le système trouva peu à peu ses limites : la vengeance ne devait plus dépasser le mal causé. Il s'agit de la loi du talion ( du latin talis, « tel », c'est-à-dire « semblable » ), règle de discipline collective qui échappe à la notion d'obligation juridique. L'unique moyen de libérer l'auteur de l'acte dommageable consistant à présenter un otage que l'on détenait à sa place.

Mais avec l'érosion de l'organisation sociale fondée sur l'appartenance familiale, l'exercice de la peine quitta graduellement le domaine de la vengeance privée pour entrer dans celui de la compensation monétaire : apparut alors l'idée de pacte ( pactio ), passé de plus en plus fréquemment entre la famille de la victime et celle du coupable. D'abord facultative, cette pratique devint régulière et

moralement obligatoire. Elle eut pour effet de réduire la violence et diminuer le nombre des guerres privées familiales, l'intérêt matériel l'emportant sur le ressentiment. Le coupable et sa famille estimaient en effet moins risqué d'acquitter une composition pécuniaire.

A partir du moment où le délinquant consent à verser une indemnité ( poena ) , il prend envers la victime un engagement qui crée un lien de droit. Ce type

d'engagement existait dans les deux circonstances suivantes : quand le

coupable ne pouvait payer sur-le-champ, si la famille de la victime consentait à

lui laisser un délai pour s'exécuter ; lorsque l'engagement consistait à travailler dans la maison de la victime à titre de dédommagement ( v. Raymond Monier, Manuel élémentaire de droit romain, t. 2, 3e éd., op. cit. n° 26, pp. 40-42 ; Gabriel Lepointe et Raymond Monier, Les obligations en droit romain et dans l'ancien droit français, Librairie du Recueil Sirey, Paris, 1954, pp. 19-20 ).

3.- Renforcement de l'autorité de l'État

Dans quelques cas la loi des XII Table admet encore la vengeance privée, limitée au talion ou non ; cela se rencontre dans l'hypothèse du vol manifeste ( fur manifestus ) commis par un esclave et dans l'injure ( membrum ruptum ).

Pendant longtemps en effet la notion d'injuria répondra à l'idée de vengeance : même à l'époque classique, les actions accordées à la victime du délit tendent encore à satisfaire un désir de venger l'outrage subi ( Digeste, 47, 10, 7, 1 ). Mais ce moyen n'existe plus qu'à l'état de survivance car, dit-on, les dieux n'autorisent plus l'exercice de la vengeance privée. Dans toute la mesure du possible l'État s'efforce de la remplacer par une composition pécuniaire obligatoire, appelée poena, rançon que le délinquant s'oblige à payer à la victime et à sa famille.

Lorsqu'il s'agit de faits graves susceptibles de léser l'intérêt de la cité ( crimina ), et d'attirer sur elle la colère des dieux, l'État assure la répression au nom de la collectivité. Appartiennent à cette catégorie : les sacrilèges, trahison, désertion et crimes graves contre les particuliers, tels incendie volontaire ou homicide.

Les coupables encourent alors des sanctions criminelles : amendes fiscales, exil, déportation, voire peine capitale ( l'incendiaire, par exemple, encourt la peine du feu ).

Peu diversifié à l'origine, l'arsenal répressif se développa surtout sous le

principat ( 27 - 284 ) et plus encore au Bas-Empire ( 284 - 476 ). Alors que le droit républicain répugne à la peine capitale, lui préférant l'exil ( aquae et ignis

interdictio ), le droit impérial prévoit la mort dans de nombreuses hypothèses.

Très souvent on livrait le coupable aux bêtes féroces, dans les amphithéâtres et cirques où le public se rendait en masse. Toutes les catégories de fauves étaient utilisées - lions, panthères, léopards, tigres, ours, hyènes, loups et chiens, etc. - préalablement affamées ou rendues furieuses. Avant d'introduire les bêtes, on faisait faire le tour de l'amphithéâtre au condamné, un panneau sur lequel figurait le motif de sa condamnation attaché autour du cou. Il était ensuite

entravé et attaché à un poteau ou un portique sur lequel on clouait l'inscription, tradition d'origine carthaginoise que les romains réservaient primitivement aux déserteurs de leurs armées. Cet horrible spectacle tombera en désuétude après Constantin, au IVe siècle de notre ère, à cause de l'hostilité de l'Église ( v. Jean-Marie Carbasse, Introduction historique au droit pénal, coll. Droit fondamental, P.

U.F., Paris, 1990, n° 27, pp. 55-57 ; Martin Monestier, Peines de mort, Le cherche midi, 1997, p. 17 ).