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La permanence du mythe du village malgré l’avancée de la gentrification à Berriat 1 Gentrification et effacement de la dimension populaire du quartier

territorialement Le cas des quartiers des Olivettes (Nantes), du Panier (Marseille) et Berriat (Grenoble)

Chapitre 4 : Situations géographiques et trajectoires évolutives de trois quartiers créatifs Terreaux et prémices de la clubbisation aux Olivettes, au

1. Gentrification et persistance de la figure du village : entre transformations sociales et continuités populaires dans les quartiers

1.3. La permanence du mythe du village malgré l’avancée de la gentrification à Berriat 1 Gentrification et effacement de la dimension populaire du quartier

L’évolution connue par le quartier Berriat depuis l’époque ouvrière et industrielle a engendré une mutation du profil sociodémographique de la population résidente. En 2013, les 13 865 habitants sont principalement de jeunes actifs120 appartenant à la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures (23 % des plus de 15 ans contre 20 à Grenoble). Passée de 46 % en 1976 à 7 % en 2013 (10 % à l’échelle de la ville), la part des ouvriers s’est fortement réduite illustrant l’avancée de la gentrification. Le processus d’embourgeoisement est rendu visible par l’installation de populations aisées dans le quartier. Entre 2001 et 2011 le dernier décile des revenus annuels par UC est ainsi passé de 29 402€ à 38 662. Le niveau de revenus a globalement augmenté pour s’élever légèrement au-dessus de la moyenne grenobloise, la médiane des revenus annuels étant passée de 15 169€ à 19 694€ entre 2001 et 2011 (contre 19 013€ pour la ville en 2011). Ancien quartier populaire de la ville, Berriat a perdu ce statut.

La continuité populaire au sein du quartier identifiée par Matthieu Giroud (2007) dans les années 2000 n’est toutefois pas totalement effacée. Des populations en situation de précarité se sont maintenues dans le quartier. Le premier décile des revenus annuels par UC a augmenté entre 2001 et 2011 mais reste à un bas niveau (de 4 897€ à 6 412). De plus, 22 % de la population du quartier vit sous le seuil de pauvreté en 2012 contre 18 % à l’échelle de la ville. Enfin, territoire accueillant historiquement les immigrés arrivant à Grenoble, Berriat possède encore en 2013 une population étrangère (9 %) et immigrée (13 %) conséquente, sans être le principal quartier de résidence de ces populations121. L’avancée de la gentrification n’a pas encore érodé toute la diversité sociale

et culturelle du quartier.

120 En 2013, la catégorie des 15-29 ans représente plus de 33 % de la population du quartier et celle des 30-44 ans

plus de 23 %. Ces classes d’âge sont les deux principales devant les 45-59 ans (15 %).

121 A l’échelle de la ville de Grenoble, les étrangers et les immigrés représentent respectivement 11 et 16 % de la

1.3.2. Le village : un mythe qui traverse les époques

Malgré la transformation sociale du quartier, l’image du village héritée de la sociabilité ouvrière perdure à Berriat (Ambrosino, 2009). La figure du village est revendiquée par les habitants pour définir la vie sociale ancrée dans le quartier (Bozonnet et al., 2008). Pour ses habitants, Berriat est « un village dans la ville » (Szántó, 2004, p. 169). A l’instar des quartiers des Olivettes et du Panier, une appropriation de l’histoire des lieux est opérée par les habitants actuels qui perpétuent ainsi le mythe du village. A Berriat les ouvriers sont remplacés par une population hétéroclite soudée par des pratiques artistiques et culturelles communes (Barou et Duclos, 2003). Cette population s’empare des barrières physiques qui enclavent le quartier pour revendiquer une forme de particularisme (Szántó, 2004). Malgré les transformations de leur quartier, les habitants le considèrent encore comme une entité à part et bien différenciée du reste de la ville (Giroud, 2007). La voie ferrée demeure une frontière marquant la distinction vis-à-vis de Grenoble. Lorsqu’ils franchissent « la barrière », les adolescents du quartier utilisent l’expression « on va en ville » (Trimaille, 2005, p. 95), symbolisant la distance symbolique qui sépare encore Berriat du reste de Grenoble.

La figure du village est également entretenue par la persistance de liens sociaux de proximité. Si la diversité culturelle et sociale (en baisse) du quartier n’est pas toujours bien vécue et perçue par les habitants, des espaces de rencontres et de côtoiements interculturels perdurent (Szántó, 2004). Les commerces de proximité, les cafés-bars, les places et les jardins publics sont les principaux lieux de ce type. Sur la place Saint-Bruno, le cœur symbolique plus que spatial du quartier, quatre catégories sociales se côtoient : les hommes maghrébins, les femmes avec enfants, les personnes âgées et les SDF (Ibid.). Les membres de ces différents groupes partagent le même espace mais sans interagir, chacun conservant ses distances. Le passage d’un côtoiement à un échange réel peut être facilité par l’action des différents acteurs associatifs du quartier tels que Cap Berriat et l’Union de quartier. Créée en 1966 et composée d’habitants volontaires, cette dernière joue un rôle de porte-parole des habitants auprès des élus et d’animation sociale de Berriat. Pour cela, elle organise la fête annuelle du quartier en juin et publie un journal de quartier pluriannuel122. Implantée sur la place Saint-Bruno, l’Union devient un lieu de rencontre et de vie à l’échelle de Berriat.

Au final, la référence au village repose sur la connaissance mutuelle d’une grande partie des utilisateurs du quartier. Cette connaissance s’inscrit dans un spectre large allant de la reconnaissance visuelle et de la simple politesse au statut d’ami. De manière générale, les

122 L’Union s’implique particulièrement sur les questions liées à la vie sociale, l’animation culturelle et l’urbanisme.

habitants ne se connaissent pas profondément, mais ne sont pas des étrangers les uns pour les autres. Cette interconnaissance est vectrice d’un bien être individuel et collectif : « La probabilité de rencontrer des visages connus en sortant de chez soi produit un sentiment de familiarité rassurante » (Ibid., p. 191). Dans ce contexte, les différences culturelles perçues s’amenuisent. La diversité culturelle du quartier devient familière pour les habitants, ce qui offre le double avantage de vivre dans un monde diversifié mais rassurant car connu : « C’est peut-être l’ambiguïté de ce sentiment d’être à la fois dans un monde plein d’étrangeté, mais une étrangeté apprivoisée, que les habitants du quartier Berriat expriment par analogie au « village », comme une façon rassurante de vivre l’urbanité » (Ibid., p. 192).

Les quartiers des Olivettes, du Panier et Berriat sont marqués par un processus de gentrification à l’état d’avancement différencié (tableau 6). Le Panier est le moins impacté mais voit surgir les prémices d’une muséification. Dans tous les cas, la combinaison de l’arrivée de populations aisées et du maintien de populations en situation de précarité et de populations immigrées crée une diversité sociale et culturelle au sein de ces territoires. Cette diversité permet la persistance de l’image populaire des quartiers et nourrit le discours du village dans la ville porté par les habitants.

Tableau 6 : Synthèse des indicateurs statistiques de la gentrification partielle des quartiers des Olivettes, du Panier et Berriat.

Quartier des Olivettes (Nantes)

Quartier du Panier (Marseille)

Quartier Berriat (Grenoble)

Médiane des revenus annuels par UC 2001 2011 2001 2011 2001 2011 13 598 € (15 226 €)* 18 676 € (20 226 €) 6 868 € (12 837 €) 11 392 € (16 789 €) 15 169 € (14 802 €) 19694 € (19 013 €)

Premier décile des revenus annuels par

UC 2001 2011 2001 2011 2001 2011 4 094 € (4 321 €) 5 263 € (5 599 €) 0 € (1 931 €) 285 € (2 339 €) 4 897 € (4 099 €) 6 412 € (5 231 €)

Dernier décile des revenus annuels par

UC 2001 2011 2001 2011 2001 2011 25 937 € (31 831 €) 36 429 € (43 147 €) 20 198 € (28 689 €) 27 677 € (37 929 €) 29 402 € (30 803 €) 38 662 € (39 264 €)

Part des cadres dans la population de plus de 15 ans 2008 2013 2008 2013 2008 2013 15 % (14 %) 19 % (15 %) 10 % (9 %) 11 % (9 %) 19 % (15 %) 23 % (20 %)

Part des ouvriers dans la population de plus de 15 ans en 2013 8 % (9 %) 11 % (9 %) 7 % (10 %)

* Les chiffres indiqués entre parenthèses correspondent aux données à l’échelle municipale (respectivement Nantes, Marseille et Grenoble).

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