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District, cluster et quartier culturel ou créatif : de la nécessité de définir les quartiers créatifs

2. Les quartiers créatifs : une construction territoriale dynamique de clusters ancrés spatialement

2.2. District, cluster et quartier culturel ou créatif : de la nécessité de définir les quartiers créatifs

Dans la littérature scientifique la terminologie du district, du cluster et du quartier culturel ou créatif est utilisée pour désigner les regroupements territoriaux d’activités culturelles et créatives. L’utilisation de ces différentes notions, parfois de manière interchangeable au sein d’un même texte, engendre un manque de clarté et rend nécessaire un effort de clarification (Chapain et Sagot- Duvauroux, 2015).

Différents auteurs ont recours au district culturel ou créatif (Greffe et Simonnet, 2008 ; Pilati et Tremblay, 2007 ; Santagata, 2002). Cette notion traduit la concentration spatiale d’acteurs

20 Les trois terrains étudiés ne font pas l’objet d’un étiquetage officiel « quartier créatif » ou « quartier culturel » et la

concentration des activités culturelles et créatives est spontanée. Les pouvoirs publics ont tout de même joué un rôle d’accompagnement voire d’incitation pour favoriser l’émergence de polarités créatives dans ces quartiers.

culturels et créatifs collaborant dans la production de biens et de services. Cette approche met principalement en avant les logiques marchandes et productives des regroupements d’activités culturelles et créatives en interrogeant les modalités permettant l’amélioration des performances économiques des acteurs culturels. Pour Charles Ambrosino, le district culturel « se focalise avant tout sur la production marchande de la culture et met de côté les dimensions physiques et sensibles des transformations urbaines » (Ambrosino, 2013 p. 27). La notion de district apparaît alors partiellement insatisfaisante dans le cadre de cette recherche qui vise à analyser les dimensions économiques mais aussi sociales, urbaines et culturelles des regroupements créatifs.

En parallèle, la notion de cluster culturel ou créatif est largement utilisée (Ambrosino, 2009 et 2011 ; Mommaas, 2004 ; Zarlenga et al., 2013). Le cluster est défini par M. Porter (1998) comme une concentration géographique d’entreprises privées et d’institutions publiques appartenant au même secteur d’activité et interconnectées dans un réseau de relations de compétition et de coopération. Le cluster a été transposé aux cas des activités culturelles et créatives de façon à en analyser les concentrations spatiales (Sagot-Duvauroux, 2014). Il est aussi utilisé dans les politiques publiques de soutien aux secteurs culturels et créatifs comme un outil de développement (Foord, 2008). Bien que la proximité géographique soit valorisée dans le modèle de M. Porter, l’échelle spatiale d’application demeure floue et variable (Ambrosino, 2013). Cette imprécision géographique inhérente à l’utilisation de la notion de cluster invite à la manier avec prudence. Aux côtés des districts et des clusters, les quartiers artistiques, culturels ou créatifs sont également mobilisés (Bell et Jayne, 2004 ; Boichot, 2014 ; Evans, 2009 ; Mortelette, 2014). L’utilisation du terme de quartier renvoie directement à une échelle géographique et à un territoire infra urbains (encadré 2). Bien que la définition du quartier dans ses limites et ses réalités ne soit pas aisée, le quartier artistique, culturel ou créatif correspond à une agglomération spatiale d’activités culturelles et / ou créatives au sein d’une portion d’espace urbain clairement identifiable. Cette définition sommaire peut être affinée en intégrant des dimensions historiques, urbaines, économiques et sociales. Les travaux de l’urbaniste Charles Ambrosino (2013) permettent d’avancer dans cette voie. Cet auteur définit les quartiers artistiques autour de cinq caractéristiques principales :

- Un territoire singulier marqué par une histoire, ayant une position géographique stratégique et possédant un stock immobilier disponible pour de nouveaux usages (friches urbaines et industrielles). Au-delà des considérations matérielles et économiques prédominantes dans le choix de localisation des artistes, l’histoire des lieux compte car elle est un objet mobilisable dans le

processus de création : « Ce sont des signes du passé qui peuvent alors inspirer l’artiste et devenir dans ses mains des matériaux et des repères pour ses créations futures » (Vahtrapuu, 2013, p. 110). - Un territoire support d’un réseau relationnel d’artistes. La concentration spatiale des artistes suivant des logiques économiques (prix de l’immobilier abordables) ne suffit pas à transformer un territoire en quartier artistique. Pour cela, il est nécessaire que des dynamiques collaboratives se développent au sein du quartier. L’émergence d’une dimension artistique collective ancrée dans le quartier en fait une ressource pour les artistes et un lieu à l’atmosphère créative.

- Un paysage urbain renouvelé par les artistes. Leur installation, leurs actions et leur appropriation de l’espace entraînent une transformation de l’image du territoire.

- Un espace dans lequel les différentes étapes de la chaîne de valeur se déroulent, de la création à la vente. Le quartier artistique peut tout à la fois être un lieu d’expérimentation, de production, de diffusion et de rencontre avec le public.

- Un espace d’incubation permettant l’émergence d’innovations qui seront ou non valorisées par l’économie culturelle mondialisée. En ce sens, les quartiers artistiques s’articulent avec des échelles plus larges : « Ces quartiers ne sont donc pas des générateurs d’innovations autonomes mais plutôt des polarités créatives, des plateformes où les réseaux viennent se superposer et se sédimenter » (Ambrosino, 2013, p. 28).

Pour C. Ambrosino, le développement et la médiatisation des quartiers artistiques s’accompagnent de l’installation d’activités créatives telles que des designers et des entreprises du numérique. Ces nouveaux acteurs sont attirés par l’image renouvelée des quartiers, l’atmosphère créative qui y règne et les prix de l’immobilier accessibles.

Cette définition est guidée par une approche des quartiers artistiques centrée sur les artistes et les activités culturelles. Les entreprises créatives arrivées a posteriori sont considérées davantage comme des éléments extérieurs au réseau culturel du quartier. Dans la volonté de s’inscrire en cohérence avec la typologie retenue (figure 3) et la réalité des terrains étudiés21, les activités

créatives sont dans cette recherche envisagées comme des acteurs à part entière des quartiers dans lesquels elles s’agglomèrent aux côtés des activités culturelles. Elles participent avec les artistes à la construction de polarités créatives. C’est pour rendre compte de cette approche que la terminologie « quartier créatif » est privilégiée. Dans cette perspective, les quartiers créatifs sont ici définis comme des quartiers urbains concentrant à la fois des activités culturelles et des

21 Pour rappel : les quartiers des Olivettes (Nantes), du Panier (Marseille) et Berriat (Grenoble) concentrent à la fois

activités créatives liées par des réseaux collaboratifs. Ils correspondent donc aux quartiers artistiques définis par C. Ambrosino (2013) et possèdent les mêmes caractéristiques principales. La différence tient seulement au point de vue retenu pour les analyser : centré sur les artistes dans le cas des quartiers artistiques, incluant les activités créatives aux côtés des activités culturelles dans le cas des quartiers créatifs.

Encadré 2 : Le quartier et le mythe du village.

Etymologiquement, le quartier est une portion de quelque chose divisé en quatre parties (un quartier de pomme par exemple). Par extension il désigne une portion d’espace urbain homogène et clairement identifiable (Lévy et Lussault, 2003). Les limites du quartier sont rendues visibles par l’uniformité de son bâti et peuvent être accentuées par des frontières physiques. Ainsi, les quartiers sont souvent délimités par des barrières naturelles (cours d’eau…) et anthropiques (voie ferrée, route, rempart…). Au-delà de ces dimensions physiques, le quartier relève de l’espace vécu (Brunet et al., 1992). Il existe par l’attachement de ses utilisateurs, leurs discours, leurs représentations et leurs pratiques (Reghezza-Zitt, 2012). En retour, le quartier participe à définir l’identité et l’image de ses utilisateurs. Les villes sont dotées de quartiers définis administrativement dont les limites ne coïncident que rarement avec celles des quartiers vécus. Utilisée depuis la fin du XIXème siècle par les géographes (Reclus, 1895), la notion de quartier fait débat dans les sciences sociales depuis les années 1970 (Authier et al., 2007). Deux grands courants de pensée s’opposent. Le premier valorise le quartier comme un village dans la ville, lieu socle d’une vie communautaire caractérisée par des liens d’entraide et de solidarité (Humain-Lamoure, 2007). Dans le contexte d’éclatement des lieux de vie permis par la croissance des mobilités, le second courant annonce la fin des quartiers (Ascher, 1998). L’analyse des pratiques et des représentations des individus nuance ces deux extrêmes. Des travaux montrent que si le quartier n’est pas porteur de communautés locales autonomes, il n’est pas non plus en train de disparaître (Bidou-Zachariasen, 1984 ; Di Méo, 1998 ; Noschis, 1984). Les résultats d’une enquête d’envergure menée par des sociologues22 illustrent « l’importance que revêt encore aujourd’hui le quartier, en tant que cadre de référence, lieu d’attachement, espace de pratiques et de relations, pour les habitants des quartiers anciens de centre-ville23 » (Authier, 2008, p. 42). Le quartier demeure un espace concret et symbolique possédant une signification affective et pratique pour les individus (Haumont, 2006). Les pratiques de mobilité individuelles se développent à des échelles plus larges mais sont davantage complémentaires de l’ancrage et de l’attachement au quartier que contradictoires (Ramadier, 2007).

A travers leurs discours, les individus valorisent le quartier en faisant référence à la figure du village. Cette référence vise à mettre en avant l’interconnaissance, la convivialité et la solidarité qui règnent au sein du quartier alors considéré comme un lieu privilégié de rencontre et d’échange entre les utilisateurs (Di Méo, 1994). Elle fait écho à la communauté villageoise traditionnelle des XIXème et XXème siècles marquée par un fonctionnement en vase clos partiel et une faible mobilité des individus (Mendras, 1995 ; Pelras, 2001). A l’heure de modes d’habiter de plus en plus poly-topiques (Stock, 2006), la figure du quartier- village animé d’une vie de communauté apparaît davantage comme un mythe qu’une réalité. A l’image des quartiers de Tananarive, les discours des habitants valorisant le village où tout le monde se connaît s’accompagnent parfois de pratiques contradictoires : méfiance vis-à-vis des voisins, stratégies d’évitement pour ne pas entrer en contact avec les autres habitants du quartier, etc. (Fournet-Guérin, 2006).

22 Les résultats de ce travail mené sur des quartiers anciens centraux de Paris, Lyon, Montpellier, Montreuil et

Versailles sont notamment présentés dans deux publications (Authier, 2001 et 2008).

Malgré tout, la figure du village demeure bien réelle dans l’imaginaire des individus (Lévy et Lussault, 2003). En France comme ailleurs en Europe (Murray, 2004), elle est mobilisée comme un élément de définition de l’identité sociale dans un contexte où « chacun cherche […] à donner aux autres et obtenir des autres une image de soi la plus proche de celle qu’il a de lui-même ou qu’il souhaite pour lui-même » (Benoit-Guilbot, 1986, p. 139). La figure du village est notamment invoquée par les classes moyennes installées dans les quartiers populaires de centre-ville pour justifier des choix de localisation contraints par des ressources économiques limitées (Charmes, 2005 et 2006). La mise en valeur de la ville traditionnelle telle qu’entendue par Jane Jacobs (1991)24 rend valorisable socialement et psychologiquement le fait de résider ou de travailler dans un quartier choisi en partie pour ses prix de l’immobilier abordables. Au final, le quartier demeure animé de relations sociales, d’échanges économiques, de tensions, de revendications symboliques, de mouvements d’appropriation et d’attachements. Il fait l’objet de discours empreints du mythe du village mais est en réalité un espace parmi d’autres dans les pratiques et les représentations des individus.

La définition des quartiers créatifs fait apparaître l’importance des caractéristiques du territoire dans l’émergence de dynamiques artistiques et créatives à même de transformer certains quartiers en polarités créatives. Les territoires à l’histoire singulière encore visible, à la position géographique stratégique et possédant des espaces de friche sont propices au développement de ces dynamiques. De par leur histoire, leurs caractéristiques et leur évolution, les anciens quartiers ouvriers et industriels font partie de ces territoires (Ambrosino, 2011). Ils constituent les lieux privilégiés de l’implantation de clusters créatifs qu’ils soient planifiés par les pouvoirs publics ou spontanés (Evans, 2009). L’analyse de leur trajectoire évolutive constitue donc un passage nécessaire à la pleine compréhension de ce que sont les quartiers créatifs d’aujourd’hui, et notamment des quartiers des Olivettes, du Panier et Berriat (voir chapitre 4).

2.3. Construction des quartiers créatifs : la transformation des anciens quartiers ouvriers et

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