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Les échelles et les facteurs de l’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives

2. Les quartiers créatifs : une construction territoriale dynamique de clusters ancrés spatialement

2.1. Les échelles et les facteurs de l’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives

L’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives se décline à trois échelles principales et répond à plusieurs facteurs déterminants.

2.1.1. Des métropoles mondiales aux espaces de coworking en passant par les quartiers urbains centraux : les échelles de l’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives

Malgré la croissance des échanges numériques et des mobilités individuelles, le lieu, l’espace et le territoire importent toujours pour les travailleurs créatifs (Evans, 2009). Leur inégale répartition spatiale en témoigne avec l’émergence et le renforcement de polarités culturelles et créatives. L’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives se décline à trois échelles. Elle est tout d’abord observable à l’échelle mondiale avec une concentration des effectifs dans les grandes métropoles telles que New-York, Los Angeles, Londres ou Paris (Scott, 2000). Ces métropoles s’affirment alors comme les centres culturels et créatifs principaux.

L’agglomération des activités culturelles et créatives est également perceptible à l’échelle des villes avec une tendance à la concentration dans les quartiers urbains centraux (Markusen, 2008). Des études statistiques menées sur les grandes villes canadiennes (Hill, 2010) ou sur des cas français comme Toulouse (Observation Veille Economie et Emploi Grand Toulouse, 2011) en attestent. Les cas de Paris et de Berlin confirment cette configuration avec une agglomération des lieux d’exposition culturels (musées, galeries) dans le centre-ville et une concentration des lieux de création artistique dans des quartiers péricentraux tels que Belleville (Boichot, 2013). A l’image du regroupement des agences d’architecture autour de l’entreprise de Rem Koolhass dans les quartiers centraux de Rotterdam (Kloosterman, 2008 ; Kloosterman et Stegmeijer, 2005), la dynamique d’agglomération dans les espaces urbains centraux est la même pour les secteurs créatifs. Cette deuxième échelle d’agglomération possède une existence historique. A partir de la Renaissance, de nombreux quartiers artistiques émergent et polarisent « les activités de création et de consommation artistiques » (Traversier, 2009, p. 7). A la fin du XIXème siècle, le quartier

de la chanson à Paris concentre tous les acteurs de la chaîne de valeur de la musique (Campos, 2009). Les auteurs, les chanteurs, les éditeurs, les agents et les directeurs de salles et de théâtres s’y croisent. Le chanteur Félix Mayol raconte ainsi sa découverte du quartier :

« A ma grande surprise, tous les éditeurs, plus une notable quantité de cafés-concerts – et non les moindres – étaient réunis, entassés à s’étouffer, dans un maigre espace, qui me parut d’autant plus restreint que je m’attendais à plus d’immensité… Aux terrasses des cafés environnants, ma compagne, qui ne voulait perdre aucune occasion de m’initier, me désigna, en me les nommant au fur et à mesure, tous les artistes qui, quotidiennement, venaient s’y retrouver à l’heure rituelle de l’apéritif, et je te prie de croire qu’il y en avait quelques-uns ! » (Mayol, 1929, p. 62).

Enfin, l’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives s’opère à l’échelle des bâtiments et des bureaux (Liefooghe, 2015a). De nombreuses entreprises et associations des secteurs culturels et créatifs ont recours à des pratiques de coopération et de mutualisation incluant la co-localisation au sein d’un même espace de travail (Deniau, 2014). Le développement des espaces de coworking s’inscrit dans cette dynamique d’agglomération des activités à une micro échelle. Ces espaces pouvant eux-mêmes être implantés dans des quartiers concentrant des activités culturelles et créatives19, l’agglomération à l’échelle des bureaux renforce la polarisation des travailleurs créatifs dans certains territoires.

Les espaces de coworking sont des bureaux professionnels partagés par des travailleurs (coworkers) n’appartenant pas à la même structure juridique (Spinuzzi, 2012). Contre le paiement d’une cotisation ou d’un loyer, les espaces de coworking offrent aux travailleurs l’accès à un espace généralement en open space composé de postes de travail connectés à Internet, d’espaces collectifs (cuisine, jardin, terrasse, cafétéria…), d’infrastructures et de matériels partagés (imprimante, salle de réunion…). Il en existe une grande variété se différenciant selon leur taille, leur statut, leur degré de spécialisation sectorielle, etc. (Liefooghe, 2013). Une distinction est possible entre des espaces « de type associatif et communautaire » et des espaces proches « du modèle classique des centres d’affaires » (Liefooghe, 2016, p. 184). Les premiers relèvent d’initiatives d’entrepreneurs souhaitant créer un espace de travail à partager avec d’autres entrepreneurs. Les seconds correspondent à des produits immobiliers proposés par des groupes tels que Multiburo. Ils s’adressent davantage à des cadres nomades salariés d’entreprises pour lesquels le travail se fait de plus en plus hors des locaux de la firme (Marzloff, 2013).

2.1.2. De l’arbitrage prix-centralité à l’effet label : combinaison des facteurs de l’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives

L’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives résulte d’une combinaison de quatre facteurs principaux. Le premier tient aux lois du marché immobilier et foncier. De par leur densité de population, d’équipements et de réseaux, les espaces urbains centraux sont privilégiés par les travailleurs créatifs (Ovidio et Ponzini, 2014). Ce désir de centralité est combiné à des contraintes financières qui entraînent mécaniquement la concentration de ces activités dans des quartiers centraux ou péricentraux dégradés aux prix de l’immobilier accessibles. Les espaces alliant ces deux critères et possédant une épaisseur historique, sociale et culturelle singulière sont particulièrement attractifs pour les travailleurs créatifs dont l’attrait pour les qualités sensibles des territoires est reconnu (Ambrosino, 2013). La constitution des polarités artistiques et créatives repose d’abord sur des choix homogènes de travailleurs créatifs arbitrant entre la centralité et les prix de l’immobilier, entre opportunités et contraintes (Boichot, 2014). Cet arbitrage est également un facteur de concentration des activités culturelles et créatives à l’échelle des espaces de

coworking. Pour les travailleurs créatifs comme pour les autres coworkers, l’une des raisons du

recours à ce type d’espaces tient à la recherche d’économie financière quant à la location d’un bureau (Capdevila, 2015). Le partage des coûts fixes liés à l’espace de travail permet aux travailleurs de se localiser dans des zones centrales à des prix abordables.

Le deuxième facteur est lié aux forces centripètes qui incitent à l’agglomération des activités. Depuis l’atmosphère industrielle d’Alfred Marshall (1919) jusqu’au cluster de Michael E. Porter (1998) et au district industriel italien de Giacomo Becattini (2004), la concentration spatiale est prônée pour profiter d’externalités positives (accès à l’information…) et de rendements croissants. Elle doit notamment favoriser la transmission de savoirs et de connaissances tacites entre les individus et donc stimuler la créativité et l’innovation. Doublée d’un réseau local, l’agglomération des activités fait émerger un bassin de compétences spécifique et une atmosphère singulière qui attribuent un avantage concurrentiel aux acteurs de ce réseau (Scott, 2006). L’ambiance créée au sein d’un territoire par la concentration d’artistes attire d’autres artistes et plus largement des travailleurs créatifs (Boichot, 2014). Ainsi, dans un effet d’entraînement, la concentration entraîne la concentration. Des forces centrifuges limitent toutefois les retombées positives de l’agglomération spatiale et incitent au contraire à la dispersion des activités dans l’espace (Sagot- Duvauroux, 2013). Les prix de l’immobilier, la congestion des espaces centraux, les risques d’espionnage ou encore les technologies numériques de communication en font partie. En favorisant les échanges à distance, les technologies de l’information et de la communication permettent aux acteurs économiques de se disperser spatialement tout en poursuivant leurs

collaborations (Picard, 2009). Pourtant, les concentrations spatiales d’activités culturelles et créatives perdurent et se renforcent. Cette dynamique s’explique par l’importance de la co- localisation pour les microentreprises. Contrairement aux grandes firmes capables de se déployer sur différents sites et de répondre aux besoins ponctuels de proximité géographique par le déplacement d’équipes de travail, les microentreprises sont davantage sujettes à la co-localisation (Rallet et Torre, 2004). Majoritairement composés par de micro organisations, les secteurs culturels et créatifs sont particulièrement concernés. Ainsi, les activités culturelles et créatives sont encouragées à se regrouper spatialement, notamment car leurs chances de survie sont plus élevées si elles appartiennent à un district culturel (Greffe et Simonnet, 2008). Au final, la territorialisation des acteurs de l’économie créative demeure forte et axée sur les espaces centraux des villes de façon à bénéficier de la logique de réseau et de face-à-face permettant de s’adapter au mode projets de ces secteurs (Vivant, 2009). C’est également cette logique qui incite les travailleurs créatifs à se concentrer dans des espaces de coworking. Au-delà de l’aspect financier, les coworkers cherchent dans ces lieux à tisser des relations avec d’autres professionnels pour sortir de l’isolement social (Boboc et al., 2014), se créer un réseau et nouer des partenariats (Spinuzzi, 2012). Les espaces de coworking constituent pour les coworkers des lieux de rencontre, d’échange en face-à-face et d’apprentissage (Capdevila, 2015 ; Fabbri et Charue-Duboc, 2013). Le troisième facteur correspond à l’effet de label territorial. Construites par les lois du marché immobilier et les forces centripètes, les polarités culturelles et créatives font émerger une image de marque associée au territoire dans lequel elles s’ancrent. La localisation au sein de ce territoire permet aux activités culturelles et créatives de bénéficier d’un effet de label exclusif partagé uniquement par les membres du cluster ou du district (Santagata, 2002). Dans le cas d’un dépôt officiel, le label garantit un droit de propriété sur les productions des travailleurs créatifs. Il présente plusieurs intérêts principaux pour les membres. Il certifie de la qualité des productions auprès des clients et des publics, assure la différenciation des productions sur le marché et véhicule une image positive de chaque activité culturelle et créative membre tout en favorisant leur visibilité (Ibid.). Dans le cas du Northern Quarter de Manchester, le cluster culturel offre aux travailleurs créatifs un effet de marque profitable à leur activité en garantissant la qualité de leurs services auprès des clients potentiels (Mommaas, 2004). En attirant de nouvelles activités culturelles et créatives, l’effet label renforce la concentration déjà existante et fait du territoire the

place to be pour les acteurs des secteurs culturels et créatifs. Cette configuration peut induire des

comportements mimétiques en termes de localisation des firmes, à l’image du quartier du Sentier à Paris où se sont concentrées plus de 300 entreprises de l’économie du net en moins de trois ans à la suite du succès de Yahoo.fr (Dalla Pria et Vicente, 2006 ; Suire et Vicente, 2008).

Le quatrième facteur tient à la mise en place de politiques visant la création de quartiers créatifs institutionnels. Ces stratégies politiques se situent dans la lignée du concept de la ville créative. Elles cherchent explicitement à créer dans la ville des espaces étiquetés « quartier créatif » dans lesquels se concentreront des activités culturelles et créatives. Suivant les choix opérés par les pouvoirs publics, ces politiques s’inscrivent préférentiellement dans l’un des trois axes d’intervention suivant : le soutien à la production artistique, le développement des industries culturelles et créatives, la stimulation de la consommation culturelle et de loisirs (Liefooghe, 2015a). La planification de quartiers créatifs par les institutions publiques s’est largement répandue comme un outil d’aménagement censé favoriser le développement et l’attractivité des territoires. Du Quartier de la Création à Nantes au 22@ à Barcelone (Morteau, 2016) jusqu’au multiples clusters culturels chinois (Keane, 2009) en passant par les cas historiques des quartiers culturels anglo-saxons (Brown et al., 2000), les exemples de telles politiques entraînant une agglomération spatiale d’activités culturelles et créatives ne manquent pas. Ces politiques illustrent l’existence de deux grandes catégories de regroupements d’activités culturelles et créatives. La première correspond à une agglomération spontanée de travailleurs créatifs liée aux trois premiers facteurs définis tandis que la seconde répond à une planification décidée par les pouvoirs publics. Les deux logiques peuvent s’entrecroiser sur un même territoire de manière à nuancer la dichotomie de cette typologie. L’agglomération spatiale des activités culturelles et créatives au sein des quartiers des Olivettes, du Panier et Berriat en est une illustration20 (voir chapitre 4). Qu’elle soit spontanée ou planifiée, cette agglomération engendre la construction de polarités qualifiées dans la littérature de cluster, de district ou de quartier culturel ou créatif. Il importe de définir ces différentes notions théoriques afin d’avancer dans la caractérisation des quartiers créatifs.

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